Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Gisèle Moreau. La véritable position du PCF sur l’IVG

26 NOVEMBRE 1974

Il s’est avéré que j’ai écris sous la dictée de Gisèle, “libre et égales” et nous avons pour se faire passé toutes les deux une semaine à Bazainville à revoir toute la politique du parti depuis les origines jusque à l’écriture de ce livre en 1982. Travailler avec Gisèle était un véritable plaisir, elle avait un esprit précis et en même temps la vivacité intellectuelle d’un titi parisien et un goût de la culture qui témoignait de la qualité des dirigeants ouvriers de cette époque et dont je parle longuement dans mes mémoires. Nous avons également retravaillé ensemble les textes de Jeanette Thorez Veermerch dont il est question ici . Ils sont apparus à Gisèle dépassés sur la question du planning, mais jamais ces textes n’ont remis en question le moins du monde le refus de rendre criminel l’avortement. Je voudrais dire à quel point Gisèle qui avait d’excellent rapports avec des féministes comme Gisèle Halimi appuyait leurs combats, était en dialogue constant avec elles, mais apportait toujours cette dimension spécifique, celle de tenir compte de la situation économique des femmes des couches populaires et la manière dont cela aggravait les problèmes pour elles. Cette voix à la fois ouverte aux combats communs mais apportant les préoccupations des couches populaires est celle qui aujourd’hui manque le plus à la France de 2020. (note de danielle Bleitrach)

Légalisation de l’avortement. 26 novembre 1974 : intervention, au nom des députés du PCF, de Gisèle Moreau | Vive Le Parti Communiste Français ! (vivelepcf.fr)

Les positions défendues alors de longue date par le PCF sont largement ignorées quand elles ne sont pas scandaleusement déformées.

Emmanuelle Devos, qui vient d’incarner Simone Veil dans un téléfilm sur cet épisode, a malheureusement repris, sur France Inter, la diffamation anticommuniste selon laquelle « des communistes » se seraient opposés au projet de loi avec une « bonne partie de la droite réactionnaire ».

C’est faux ,archi faux .

Le groupe des députés PCF est le SEUL GROUPE qui a voté POUR à l’unanimité de ses membres.

Les orateurs communistes ont développé des propositions beaucoup plus avancées sur le plan social que le contenu du projet de Mme Veil.(lire sur internet le texte de l’intervention à la séance de l’Assemblée du 26 novembre 1974 de Gisèle Moreau, alors députée PCF de Paris)

Les positions du PCF sur l’avortement n’avaient pas été rédigées de la veille mais elles résultaient d’une longue formulation faite avec les intéressé-e-s, depuis des décennies, mettant les intérêts et les libertés des femmes, notamment des femmes des classes laborieuses, au centre.

Déjà en juillet 1920, les députés COMMUNISTES Marcel Cachin et Paul Vaillant-Couturier, qui allaient être fondateurs du PCF quelques mois plus tard, votaient contre la loi interdisant et punissant l’avortement.

Dans les années 50, sous l’impulsion notamment de Jeannette Vermeersch, les congrès du PCF actent un changement de position sur le contrôle des naissances auquel le Parti est désormais hostile. Mais il faux de dire que cette position contre le planning familial remet en cause la position de fond du PCF concernant l’abrogation de la loi de 1920 punissant l’avortement.

Les parlementaires communistes ont déposé plusieurs propositions de loi légalisant l’avortement bien avant le projet de 1974. Gisèle Moreau le rappelle.°Son intervention dans la discussion parlementaire permet de resituer le contexte politique.°Les progrès électoraux de la gauche, l’évolution de l’état de l’opinion publique poussent le pouvoir à reculer, à lâcher du lest sur une question de société comme l’avortement, même à mécontenter une partie de sa base. Mme Veil est envoyée au feu par le pouvoir.°Elle essuie courageusement les attaques provenant de son propre camp.°

Mais l’essentiel de l’action politique qui a abouti à la libéralisation de l’avortement a été accompli ailleurs et avant, singulièrement par les militantes et militants communistes.

Pour les communistes, le droit de ne pas avoir d’enfant est indissociable du droit de la femme et du couple à en avoir et à pouvoir les élever dignement.

°Les revendications sociales ne se limitent pas au souci humanitaire. L’approche des communistes, partant de la situation des travailleuses, est aussi différente de celle du féminisme bourgeois et ne hiérarchise pas de la même façon les préoccupations. « La loi du profit, la domination des sociétés industrielles et financières tirent avantage de la situation d’inégalité faites aux femmes » : Gisèle Moreau rappelle notre grille d’analyse.

L’accès effectif à l’IVG (comme à la contraception) est une revendication également essentielle du PCF en 1974.

La réaction recule sur le droit mais tend à faire de l’avortement une nouvelle source de profit – légal – pour des cliniques privées.« Le non-remboursement est, selon vous, madame le ministre, une mesure dissuasive.

Qui dissuadera-t-elle ?] » demande Gisèle Moreau à Simone Veil. Il faudra attendre pratiquement 10 ans avant d’obtenir le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale.Sur bien des points, la position défendue par le PCF en 1974 reste tristement d’actualité tant les intérêts capitalistes et les mouvements réactionnaires se confondent pour faire pression, aujourd’hui toujours, sur le droit à l’avortement.

2ème séance de l’Assemblée nationale, 26 novembre 1974

Intervention de Gisèle Moreau, PCF, dans la discussion sur le projet de loi relatif à l’IVG

Mesdames, Messieurs,

La façon dont se trouve posé dans notre pays le problème de l’avortement clandestin est intolérable pour les femmes et pour l’opinion publique qui, dans sa majorité, demande des changements dans ce domaine.

C’est d’ailleurs bien ce qui a conduit le gouvernement à soumettre au Parlement le projet dont nous discutons.

Ce que veulent les femmes, c’est, à la fois, maîtriser leur fécondité et pouvoir élever les enfants qu’elles ont ou qu’elles souhaitent avoir. Il n’y a aucune contradiction dans cette double volonté, car celle-ci résulte de la prise en compte des possibilités nouvelles qu’offrent notre époque : les progrès des sciences et de la médecine permettent aujourd’hui de réaliser pleinement le premier élément de cette volonté ; l’essor de la productivité rend possible le second.

De nos jours, l’angoisse que peut faire naître une maternité non désirée comme l’angoisse d’une mère peut éprouver au sujet de l’avenir de ses enfants ne devraient plus exister. Nous en sommes loin, hélas ! Ce n’est pas le fait du progrès ou de la civilisation en eux-mêmes : c’est le fruit d’un système en crise, incapable d’assumer le développement de l’économie et de satisfaire les besoins matériels et intellectuels des individus, et singulièrement des femmes.

Le drame de l’avortement clandestin est sans doute l’un des degrés ultimes de la misère et du désespoir auxquels se trouvent réduites des centaines de milliers de femmes. Son ampleur est reconnue par tous, même si l’on peut difficilement l’évaluer ; il est permis de penser que, chaque année, le nombre des avortements clandestin est de 300 000 à 400 000 – ce sont les chiffres les plus couramment avancés ; autrement dit, chaque jour, de 1000 à 1500 femmes ont recours à cette pratique.

L’inadaptation et la nocivité des lois réprimant l’avortement ne sont plus à démontrer. L’injustice sociale est patente, car ce sont des femmes de milieux modestes qui ont recours à l’avortement clandestin, et de la dans les pires conditions. En effet, dans les milieux privilégiés, le problème ne se pose pas ainsi car il est possible d’interrompre une grossesse non désirée, et dans de bonnes conditions.

Qui a recours à l’avortement clandestin ? Principalement des jeunes femmes âgées de vingt à trente ans, déjà mères de famille ; 90 p 100 d’entre elles justifient leur acte en invoquant de graves difficultés sociales.

En examinant le projet de loi qui nous est soumis, nous devons avoir présent à l’esprit le drame que représente, chaque année, l’avortement clandestin pour des centaines de milliers de femmes.

Nous avons-nous-mêmes recueilli des témoignages ; des associations nous ont fait part de ceux qu’elles ont pu connaître : ils montrent que, lorsqu’une femme a décidé d’interrompre sa grossesse, rien ne peut l’arrêter. Le refus d’une grossesse non souhaitée se révèle aussi irrépressible que le désir de maternité. Je n’en prendrai pour preuve que l’acceptation délibérée, par la femme, des moyens atroces employés pour la faire avorter, des risques graves qu’elle encourt, qui menacent sa santé, voire sa vie.

Comment s’expriment-elles, ces femmes ? (Lire la suite…)

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