Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La Grande-Bretagne prête pour un coup d’État militaire ? par Vladimir Prokhvatilov (critique de C.Winch)

Face à cet article russe sur l’état économique et politique de la Grande Bretagne, Catherine Winch, notre correspondante à Londres a bien voulu éclairer le texte russe de remarques qui disent ce qu’est la situation réelle en Grande bretagne. Donc nous avons d’abord le texte de cet académicien Vladimir Prokhvatilov suivi par une analyse très fouillée de Catherine, merci à elle et à Marianne Dunlop qui a traduit ce texte. (note de DB pour histoireetsociete)

https://vz.ru/opinions/2022/10/17/1181840.html

Vladimir Prokhvatilov
président de l’Académie de la politique réelle
17 octobre 2022, 08:52

Le Daily Express, un tabloïd britannique, a publié un titre effrayant l’autre jour : “Ben Wallace est nommé ‘premier ministre d’urgence’ alors que Liz Truss a 10 jours pour sauver son poste de premier ministre”.

Ben Wallace est d’ailleurs l’actuel ministre de la guerre, et l’article de David Maddox, rédacteur en chef politique du journal, fait référence au fait qu’en marge de la conférence du parti conservateur britannique, des dirigeants conservateurs ont décidé de démettre Liz Truss de son poste de premier ministre parce qu’elle n’a pas été à la hauteur de la “grande confiance” du parti et de la remplacer par l’actuel ministre de la défense Wallace, en lui donnant des pouvoirs d’urgence.

Les députés conservateurs de la Chambre des communes ont déjà établi, mais n’ont pas encore envoyé à la “pauvre Lisa” une “marque noire”, c’est-à-dire une liste de candidats pour remplacer l’infortunée première ministre, dans laquelle l’actuel ministre de la Guerre est largement en tête. Certaines têtes brûlées parmi les conservateurs, comme l’ancienne ministre de la culture Nadine Dorries, demandent déjà ouvertement que Liz Truss quitte son poste parce qu’elle a “perdu toute crédibilité” et qu’une nouvelle élection parlementaire soit organisée. Le ministre britannique des finances, Kwasi Kwarteng, a été sommé de démissionner. Des voix s’élèvent même en faveur du retour à Downing Street de l’oie hirsute Boris Johnson. Et tout cela parce que les choses vont mal, pas seulement pour le parti Tory, mais pour toute la “Grande”-Bretagne autrefois si grande.

Liz Truss entraîne les conservateurs vers le bas du vote électoral avec une rapidité incroyable. La cote de Truss est tombée à un niveau historiquement bas. Seuls 14% des Britanniques ont une opinion positive d’elle. Près des trois quarts (73%) ont une opinion négative de la Première ministre, dont plus de la moitié (55%) sont extrêmement négatifs. Boris Johnson n’était pas non plus adoré à la fin de son mandat, mais pas à ce point. Chez les conservateurs, les partisans de Truss ne sont que 30%.

D’ailleurs, même la cote de popularité du parti conservateur s’effondre moins rapidement que l’aversion croissante du public pour l’infortunée homonyme de la défunte monarque. Pas moins de 20% de la population du Royaume-Uni voit le parti Tory d’un bon œil. Pas terrible, mais toujours plus que le nombre de fans de Liz Truss. C’est pourquoi les patrons du parti veulent remplacer la dame qui a tout gâché sur le plan économique par un ministre de la guerre dur mais pragmatique, doté de pouvoirs extraordinaires. Les conservateurs ont peu de chances de sauver le Royaume-Uni de l’effondrement économique. L’économie britannique s’effondre comme un château de cartes.

Des enquêtes récentes montrent qu’un tiers des familles britanniques économisent sur la nourriture – en achetant moins cher et de moins bonne qualité. Une famille sur dix ne mange que des repas froids pour économiser sur la cuisson sans dépenser d’argent en électricité et en gaz.

Adam Skorer, directeur général de l’association caritative National Energy Action, qui tente d’éradiquer la précarité énergétique, a déclaré au Guardian : “Les gens doivent choisir entre le chauffage et la nourriture. Cet hiver, des millions de personnes n’auront même pas ce choix. Les plus vulnérables, y compris les enfants, vont mourir de faim et de froid alors que les prix de l’énergie montent en flèche, malgré le soutien du gouvernement.”

Les directeurs d’école britanniques tirent la sonnette d’alarme, mettant en garde contre une augmentation “déchirante” du nombre d’enfants souffrant de la faim. Les enfants ont tellement faim qu’ils mangent du chewing-gum ou se cachent dans la cour de récréation parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer le déjeuner, selon les rapports des directeurs d’école à travers l’Angleterre. Dans une école de l’arrondissement londonien de Lewisham, un enfant “faisait semblant de manger dans une boîte à lunch vide” parce qu’il n’avait pas droit aux repas scolaires gratuits et ne voulait pas que ses amis sachent qu’il n’avait pas de nourriture à la maison. Et je n’invente rien – je reprends les médias britanniques, vous pouvez suivre les liens.

Selon le Child Poverty Action Group, 800 000 enfants issus de familles pauvres n’ont pas droit aux repas scolaires gratuits. La moitié des parents pourraient bientôt renoncer à utiliser des machines à laver et laver les vêtements des enfants à la main pour économiser l’électricité. En hiver, 55 % des ménages britanniques sont menacés de pauvreté énergétique, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas les moyens de payer le chauffage de leur maison. Le réseau Don’t Pay UK de non-payeurs se développe à un rythme alarmant, avec 200 000 non-payeurs. Ils organisent des rassemblements chaque semaine pour brûler leurs factures.

Mais ce ne sont encore que des broutilles, les fruits amers de la crise énergétique mûriront en hiver. La crise énergétique de cet hiver sera sans précédent et ne fera que réduire à néant la cote de popularité déjà catastrophiquement basse des conservateurs. L’autre jour, tous les journaux britanniques ont titré : “Retour à l’âge des ténèbres”. Des coupures de courant quotidiennes de trois heures seront introduites cet hiver en raison de la pénurie de gaz. Les travaillistes ont déclaré que ce qui se passe n’est “pas la faute de Poutine, mais une conséquence directe des politiques conservatrices”.

Dans sa recherche de la cause de la crise qui menace l’économie britannique d’un effondrement total, The Economist, propriété de Rothschild, ne va pas plus loin que d’énoncer les erreurs fatales du gouvernement de Liz Truss, qui a tenté d’imposer au pays une cure à sa manière : elle a annoncé une intervention dans la politique de la Banque d’Angleterre, des réductions d’impôts et des allégements fiscaux, a annulé une augmentation prévue de l’impôt sur les sociétés et a modifié les indemnités pour les banquiers.

“Dire que les choses sont devenues mauvaises, c’est ne rien dire”, écrit ce porte-parole de la City de Londres. – Le gouvernement a perdu le contrôle de l’économie.”

Et lorsque le chancelier de l’Échiquier, c’est-à-dire le ministre des finances Kwasi Kwarteng, a proposé un soi-disant mini-budget prévoyant 45 milliards de livres d’allégements fiscaux, la devise britannique s’est effondrée. La livre sterling s’est effondrée à un niveau historiquement bas. Le désastre financier n’est pas le pire qui puisse attendre la Brumeuse Albion cet hiver. Selon les médias britanniques, la pénurie de gaz en Russie peut donner lieu à une menace de black-out lorsque les centrales électriques sont fermées et que le pays est gelé. La compagnie d’énergie britannique National Grid a déjà mis en garde contre des coupures de courant, ce qui a suscité une véritable peur chez de nombreux Britanniques qui ne savent pas comment ils vont survivre au froid qui s’annonce sans électricité ni chauffage.

Dans les couloirs enfumés du pouvoir britannique, ils ont déjà réalisé l’impossibilité d’empêcher la catastrophe sociale imminente et préparent un véritable coup d’État militaire. Mais les pouvoirs d’urgence de l’un des successeurs éventuels de Liz Truss permettront-ils de réchauffer les millions de Britanniques affamés et frigorifiés s’il n’y a pas, et n’y en aura pas, de gaz russe ?

COMMENTAIRES DE CATHERINE WINCH

La situation sociale, c’est vraiment comme ça. L’auteur n’exagère pas quand il évoque la faim des écoliers, mais il aurait pu choisir un journal un peu plus respecté, comme par exemple le Evening Standard de Londres, qui mène campagne depuis une semaine sur ce sujet. Le titre de leur éditorial lançant cette campagne disait : « Tous les enfants doivent faire un bon repas par jour. » Le texte de l’éditorial disait « au moins un bon repas ». Un article parmi d’autre dans le Standard dit : « Voler pour manger : Crise de la faim pour les enfants ne pouvant bénéficier de repas scolaires gratuits mais vivant dans la pauvreté. Alors que la crise du coût de la vie s’aggrave, certaines familles sont poussées à bout. David Cohen [le journaliste] nous parle d’élèves qui volent dans les cantines scolaires et d’une mère de trois enfants surprise avec un pain sous son manteau. »

L’auteur par contre se trompe quand il dit : “Des coupures de courant quotidiennes de trois heures seront introduites cet hiver en raison de la pénurie de gaz.” On parle de coupures de courant, mais comme quelque chose qui n’est pas inévitable.

Cela aussi n’est pas prouvé : “Dans les couloirs enfumés du gouvernement britannique, ils ont déjà compris l’impossibilité d’éviter la catastrophe sociale imminente et préparent un coup d’État militaire virtuel.”

Les Anglais ne fument pas sur le lieu de travail, et je ne vois pas ce qu’est un coup d’Etat virtuel militaire. Ça personne n’en parle pour le moment. Il est clair que les laissés pour compte, qui vont souffrir encore plus, n’ont personne pour les représenter politiquement et pourraient présenter un danger pour le gouvernement sous forme d’émeutes, cependant les émeutes de 2011 ont été réprimées rapidement sans l’aide de l’armée.

Là où l’auteur se trompe complètement c’est quand il dit : « Les travaillistes ont déclaré que ce qui se passait n’était “pas la faute de Poutine mais une conséquence directe des politiques conservatrices”.”

Le leader des travaillistes, Keir Starmer, rivalise d’enthousiasme avec les Conservateurs dans son soutien pour l’Otan, pour Zelenski et contre la Russie. Le mouvement de la paix britannique, “Stop the War Coalition” est interdit au parti travailliste, un membre qui les soutiendrait publiquement serait exclu du parti. Pour Starmer, tout est de la faute de Poutine, et il est urgent de battre la Russie. Il était tout à fait d’accord avec Boris Johnson quand celui-ci est parti à Kiev au printemps dernier quand il était question de négociations, dire à Zelenski que s’il négociait avec les Russes, il perdrait le soutien des Anglais et des Américains.

C’est pour son pacifisme que dès son élection en 2015, suivie de centaines de milliers de nouvelles adhésions, il fallait abattre Corbyn : un premier ministre pacifiste ! Impensable. Une très grande partie de la population est va-t-en-guerre aussi ; il faut dire qu’aucun media ne présente d’argument pour la paix et les négociations, sauf le Morning Star, qu’on ne trouve pratiquement nulle part.

Un sondage YouGov place les Anglais numéro un dans le monde dans leur soutien pour la guerre contre la Russie :

https://www.theguardian.com/world/2022/oct/14/westerners-in-no-mood-for-concessions-to-russia-in-ukraine-poll-finds?CMP=share_btn_link

73% des Anglais disent être pour les sanctions, contre 57% en France. Si on change la question en mentionnant l’effet des sanctions sur le coût de la vie, les réponses changent un peu (les chiffres pour la France ne sont pas donnés). 65% des Anglais sont pour les sanctions antirusse même si cela a un léger impact sur le coût de la vie, 48% si l’impact est grand.

Les Anglais sont persuadés de leur supériorité morale sur le reste du monde. Ils ont apporté la civilisation partout grâce à leur empire ; seul pays d’Europe à part la Suisse à ne pas avoir été occupé/collaborant pendant la guerre, ce sont eux qui ont gagné, seuls contre les Nazis. C’est comme ça qu’ils écrivent l’histoire. Ça va leur tenir lieu de pain pendant encore longtemps je pense.

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1 Commentaire

  • John V. Doe

    L’arrogance des Anglais n’est dépassée que par l’arrogance et l’entre-soi de leur classe dirigeante. J’ai l’occasion de travailler avec ces “beaux messieurs”: ils détiennent la vérité révélée sur tout et les moyens illégaux et immoraux de l’imposer sont “éthiquement” autorisés par cette suffisance, y compris des mesures démesurées voire démentes par rapport au but à atteindre. C’est vrai sur le plan politique comme civil et associatif (si, si !). Leur agressivité et leur violence sont sans limites ni mesures. Les sites “Declassified UK” et “Declassified Australia” qui publient uniquement des études sur base des documents officiellement déclassifiés (règle des 50 ans) sont hallucinants pour qui lit l’anglais. En comparaison, le romancier John Le Carré fait de la littérature enfantine.

    Donnez-leur un peu plus de moyens et vous avez l’appareil militaro-politique US ou israélien: même mentalité, même absence de nuances, même démesure entre le but à atteindre et les moyens mis en œuvre. Citons en vrac: subversion des lois, non-respect des constitutions et volontés populaires, appareil judiciaire ridiculisé (Assange & autres journalistes en G-B), jugement aberrants et témoins réduits au silence, assassinats illégaux, abondance de meurtres politiques sans jugement, torture, emprisonnement sans jugement, lawfare interne comme externe, abus de lois secrètes au point que même 50 ans plus tard, les Brits ne peuvent publier leurs archives sans en faire disparaître illégalement une partie et caviarder le reste au point de les rendre illisibles voire inutiles. Avec l’informatisation, ce sera encore plus simple : ils appuieront sur la touche DEL comme la furher de la CEE avec ses smartphones.

    Quelques exemples pratiques locaux: un MiniVer entier est créé et subventionné pour détruire l’aile gauche du Parti Travailliste de Corbyn, des directions de journaux appliquent volontairement des censures illégales pour plaire à la Reine et ses séides, des commandos (SAS) sont envoyés impunément comme formateurs et fournisseurs d’Escadrons de la Mort en Irlande du Nord pendant des dizaines d’années, des paras armés y sont envoyés pour réprimer une marche pacifiste (Bloody Sunday) en Irlande du Nord (bis).

    Dans la 2e moitié du XXe siècle, deux révolutions de palais contre des travaillistes désobéissants sont organisées en Australie qui a pourtant tout pour leur plaire : blanc, capitaliste et inféodé à la Couronne. Ailleurs et récemment, dans le Donbass alors en paix (très relative), des assassinats politiques contre leurs dirigeants historiques sont réalisés: leur modus operandi, leur professionnalisme et leur démesure par rapport aux buts poursuivis portent en lettres de feu la signature des SAS expérimentés en Irlande du Nord, sûrs de leur impunité relative.

    A mon analyse, l’attentat contre le viaduc de Crimée porte cette même signature technique SAS+Arrogance Brits. Il tombe en plein pendant les délires de Liz Truss donc dans une parfaite fenêtre d’opportunité pour en faire porter l’aval et la responsabilité à cette incompétente notoire. Le but était d’acculer Poutine à escalader le conflit, ce qu’il a fait, faute d’alternative. Le mépris total pour les misères engendrées en conséquence dans la population Ukrainienne porte aussi leur signature. Quel autre brute pourrait être le coupable possible: les USA sont généralement moins efficaces et moins discrets, sûrs de leur impunité absolue. Les Israéliens refusent de mettre le moindre bout de peau dans l’engrenage ukrainien, ils viennent de le répéter malgré les fortes similarité des dirigeants et méthodes. Les mercenaires libres ou en agence ne disposent pas de l’équipement sophistiqué utilisé. Les autres n’ont ni le culot, ni l’intérêt, ni les capacités. Tempo, moyens, méthode, buts: tout indique les Brits et probablement les SAS ou un autre groupe semblable.

    En Afrique et autres ex-colonies britanniques, leurs ingérences sont encore pires en terme de violence démesurée par rapport aux but à atteindre mais c’est plus difficile à mettre à jour: plus loin, moins rémunérateur en terme d’audience, plus violent, moins documenté, chasse plus ouverte aux journalists. Les rares freins qui retenaient la clique anglaise faciste et imbue de sa supériorité y sont ici totalement gommés par leur racisme et leur mentalité (post-)coloniale. Un exemple entre mille: un archipel entier est confisqué à ses habitants et une des îles, préalablement vidée est vendue aux USA pour en faire une base militaire. Depuis près de 50 ans, les habitants expulsés manu militairi pétitionnent, inutilement et dans le plus grand silence médiatique, à l’ONU pour récupérer leur souveraineté et plus particulièrement leur île.

    Les propriétaires blancs et latifundiaires d’une autre ex-colonie mettent à disposition de l’armée Britannique de grandes zones pour leur entraînement en munitions réelles au mépris des habitants expropriés plus ou moins légalement. Empoisonnement chimique de la région, mutilations et morts dues aux munitions non-explosées ou perdues sont réglés de la manière coloniale habituelle: “tiens, voilà $100 et ferme ta g… sinon gare”. Quand eux contrepartie reçues par les latifundiaires, elles sont aussi secrètes que non-taxées mais elles doivent être substantielles.

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