Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le Tableau volé de Pascal Bonitzer : un plaisir qui nous honore mais… par Danielle Bleitrach

En sortant de ce film “Le Tableau volé” de Pascal Bonitzer, dans ce moment vague où l’on émerge de l’obscurité de la salle et où la lumière du jour se jette sur vous comme la lampe d’un interrogatoire de garde à vue, je me suis questionnée : “Et alors qu’est-ce que tu en as pensé?” Pas question de répondre ! Quand on est encore dans le mentir vrai de l’écran, se surimpressionnent d’autres images… En l’occurrence, cette fête de l’Humanité où Yves Saint Laurent avait présenté un défilé de mode. La rencontre entre le monde de la sophistication, celui des gens qui ont les moyens de se payer le “beau” et ce public alors encore ouvrier apte à apprécier “la belle ouvrage” : la France elle-même telle qu’on la rêve et dont on craint la disparition dans le design et le nombrilisme bavard… OUI, ce film, autour non pas d’un tableau volé mais au contraire d’un tableau retrouvé dans un modeste pavillon de banlieue de Mulhouse, décrit la même confrontation entre le milieu de l’art et un jeune ouvrier. C’est le nœud du récit, mais l’essentiel est dans le traitement de la rencontre entre deux milieux, dans des croisements où fort heureusement on se trompe, et dans lesquels se révèlent peu à peu des personnes avec des histoires ouvertes sur l’inconnu.

André Masson (Alex Lutz), commissaire-priseur dans la célèbre maison de ventes Scottie’s, dans une première scène, très forte, dans laquelle la “cliente” dépasse les limites de l’admissible par la sottise de son racisme et de ses rancœurs, ne cesse de démontrer à quel point l’esthétisme et le marché sont immoraux, imbuvables…Ce commissaire priseur est puant, il collectionne montres, voitures, il s’agit des objets, des jouets d’une quête de celui qui a été un enfant harcelé et n’émerge jamais de sa solitude. Il est désagréable, condescendant et prêt à tout pour de l’argent et très compétent. La jeune stagiaire (Louise Chevillotte) qui hait cet arriviste prétentieux ment pour rien, un jeu où l’on reste vivant comme l’acteur. Le mensonge fait partie du refus du conformisme (social, professionnel, familial, sexuel) et ce sont les personnages féminins qui forcent le destin et selon un thème cher à Bonitzer, chaque génération a des comptes à régler avec les autres. André Masson reçoit un jour un courrier selon lequel une toile d’Egon Schiele aurait été découverte à Mulhouse chez un jeune ouvrier. Pour l’arrogant spécialiste n’y a pratiquement aucune chance pour que le tableau soit authentique… Son ex épouse Bertina, Léa Drucker, sa seule amie, qui fait le même métier de commissaire priseur est plus attentive, son obsession à elle ce sont les bains… Elle l’invite à cette escapade. Ils ne perdront pas leur temps, lui explique-t-elle puisqu’il y a cet extraordinaire musée de l’automobile. Pascal Bonitzer n’insiste pas là-dessus, mais c’est un lieu chargé d’histoire. Cette usine de filature créée en 1880 avait 640 ouvriers. Les filatures sont de plus en plus délocalisées, l’empire Boussac se délite et en 1957 l’usine est rachetée par les frères Schlumpf. Ceux-ci sont le symbole d’une escroquerie, la filature ne bénéficie de leur part d’aucune amélioration mais tous les profits passent dans l’achat de voitures de luxe qui en 1973 sont exposés dans le grand hall et en 1976, les 20 ouvriers restants sont licenciés, des scellés sont posés et en 1977 est décidée la construction d’un « Musée Schlumpf » par la volonté des deux frères fondateurs et liquidateurs. Le musée s’étend sur 17 000 m2.

L’histoire d’une spoliation ouvrière à laquelle répond celle du tableau. La famille ouvrière, la mère son fils et les compagnons du travail de nuit ont acquis cette maison avec tout ce qu’elle contenait dans un viager. L’ancien propriétaire était le complice policier des nazis et il a reçu en paiement de sa complicité dans l’envoi de la famille juive en camp de concentration ce tableau.

La force du film est alors dans la manière dont Pascal Bonitzer va créer le contexte de cette relation entre le monde de l’art et celui ouvrier comment il la traite en comédie de mœurs, sans que tout soit nécessairement expliqué, la manière de nous faire sourire alors même que nous sommes confrontés à l’Histoire, d’y reconnaitre l’inattendu d’êtres humains qui y résistent, malgré le lourd passif. L’invite faite au spectateur de s’impliquer dans la découverte au niveau qui lui convient, assuré comme il l’est de trouver matière à intérêt dans chaque personnage et ses résistances… le plaisir d’être déconcerté …

Quand André Masson et son ex épouse découvrent le tableau, un chef d’œuvre dans un logis où tout est médiocre, l’on a un des moments exceptionnels qui incitent au respect du film et de l’équipe de tournage : en découvrant le tableau, le couple de commissaire priseur est secoué par un éclat de rire nerveux, une insulte pour les ouvriers, le gouffre entre les deux milieux pourrait être immonde, il l’est d’ailleurs et la dignité ouvrière, celle de leur notaire s’opposent avec une simplicité morale et puissante à l’apparente insoutenable légèreté de l’être des ces “nantis” snobs… Il faut beaucoup d’intelligence à Léa Drucker et Alex Lutz pour faire sentir cela et dans le même temps nous faire basculer l’instant d’après ce qu’il y a de personnel, de respectabilité dans ce fou rire nerveux face au chef d’œuvre. D’ailleurs l’intelligence est ce qui domine dans ce film, l’ironie atténue l’intolérable une simple politesse, un crédit à la perspicacité du spectateur… On peut rire sans se détourner du fondamental…

C’est dans ce genre de scène qu’effectivement l’on sait pouvoir éprouver du respect pour le cinéaste, respect politique mais aussi respect pour le savoir-faire des acteurs, de tous ceux qui contribuent à cette œuvre collective. Alors ce film, “le tableau volé” de Pascal Bonitizer, apporte un plaisir de qualité et laisse l’honnête homme ou femme que vous souhaitez être maitre de son regard… donc ne boudez pas cette histoire cousue main par un cinéaste qui connait tous les métiers à l’œuvre dans un film : scénariste, acteur, metteur en scène, critique au départ … Le film comme de la belle ouvrage…

Alors pourquoi non pas de la réserve, mais le regret de ce que nous aurait apporté un film de Lubitsch auquel le travail de Pascal Bonitzer fait irrésistiblement penser. La touche légère, la perfection de Lubitsch est difficile à atteindre… la fin qui chez Lubitsch nous mènerait en crescendo, ne déçoit pas mais il y a une retombée, la galerie des personnages est un peu distendue. La déconvenue est légère et ne nuit pas à la réussite de l’ensemble parce que l’on conserve l’adhésion au propos, ce à quoi aspire et qu’apporte ce film : la croyance en l’art, de la lucidité et une infinie tolérance. Chaque description de ces deux mondes, les apparitions de personnages qui ne sont pas secondaires comme Alain Chamfort au bout du rouleau, tous disent une quête et ils reçoivent l’appui de celui qui sait ce qu’il est, le jeune ouvrier. La leçon de Lubitsch est retenue, la nécessité des péripéties comme l’arnaque déjouée, qui fait sourire et nous réconcilie avec l’humanité… Même si chacun reste à sa place, cette place est reconquise par le miracle de l’œuvre d’art, et par le “cabotinage” d’acteurs qui ne veulent qu’être applaudis.

Danielle Bleitrach

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1 Commentaire

  • Chabian
    Chabian

    Merci pour cette lecture du film. Oui, il y a du réalisme et de la férocité. Oui, il y a une description des différences sociales. Et pourtant, ces deux mondes restent étrangers. Et le jeune ouvrier est à la fois reconnu et dépaysé quand il est ovationné (plus que longuement) par les héritiers du propriétaire juif spolié. Et le message final (l’ouvrier touche si peu à son gain de 10 %) : “l’argent ne fait pas le bonheur”, pire, il crée des menaces entre jeunes du quartier, est rapidement énoncé.
    Pire : la vente aux enchères devient le sujet du film.
    En fait, les œuvres de fiction sociale construites en partant d’un point de vue ouvrier comme cadre de lecture et de critique sociale, sont très rares. La plupart tombent rapidement dans un compromis bourgeois où l’ouvrier est un prétexte, un contrepoint. (D’un point de vue ouvrier, on n’aurait pas manqué de s’appesantir sur l’histoire de ce musée de bagnoles – merci de votre explication).
    Au total, ce film m’a paru léger, agréable dans sa dénonciation caricaturale mais en même temps réaliste, mais sans génie, sans atteindre à une vraie perturbation dérangeante. Dans mon ciné-club, les autres étaient satisfaits et ne comprenaient pas ma sensation d’un manque…

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