Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Il y a 10 ans : comment le soulèvement populaire à Kharkov a été écrasé, par Dmitri Rodionov

Effectivement, je me souviens de ce soulèvement et de la force de ce sentiment pro-russe à Kharkov, nous avions rencontré lors de notre premier voyage en Crimée, des femmes qui étaient venues dans l’hôtel du parti communiste où nous étions. Pour rejoindre la Crimée elles avaient accompli un véritable exploit, c’était tout l’est de l’Ukraine qui était en pleine ébullition, les trains passaient avec difficulté et il fallait attendre des heures pour passer aux points de contrôle que tentaient d’instaurer les autorités qui étaient issues du coup d’Etat et reconnues par personne. Marioupol était un enjeu entre la population pro-russe et des bandes armées financées par les oligarques qui s’étaient emparés de la mine, mais ils attendaient aussi de savoir comme le vent allait tourner. Le maire de Kharkov qui avait le double passeport ukrainen-israélien était pro-russe, il a fini par être exécuté par les hommes de main de Kolomoïsky (qui lui aussi avait un passeport israélien mais aussi chypriote, Etats-Unis) qui était devenu le gouverneur de Dnipro et de ses supporters voyous (qui créeront les événements d’Odessa) avait mis la main entre autre sur la banque et l’aviation ukrainienne, avait installé la chaine de télévision qui fera la campagne de Zelensky. C’est lui qui installe le président géorgien déchu en Ukraine… BHL et Glucksmann suivront… Déjà ce sont les régiments Azov qui font régner la terreur au nom de ces oligarques… L’atmosphère était stupéfiante mais en Crimée devenue Russe c’était par contraste le calme absolu et la joie générale … (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop pour histoireetsociete)

https://svpressa.ru/politic/article/408400/

Il y a dix ans, le soulèvement dans la deuxième ville d’Ukraine a été voué à l’échec par manque d’armes et de soutien de la part de la Russie.

Svobodnaya Pressa poursuit sa série de publications sur les événements tragiques et héroïques d’il y a dix ans.

Les événements du “printemps russe” en 2014 ont couvert tout le sud-est de ce qui était alors l’Ukraine. Cependant, seules la Crimée et le Donbass sont parvenus à leurs fins. Il ne fait aucun doute que d’autres régions avaient également de telles chances, en premier lieu Kharkov, qui était la deuxième ville d’Ukraine par sa taille et sa population, et où le sentiment pro-russe n’était pas plus faible qu’à Donetsk et Lougansk.

Depuis le 22 février, des rassemblements anti-Maïdan sont organisés près du monument de Lénine sur la place de la Liberté, qui est devenu un symbole de la résistance, et le 1er mars, des activistes ont pris d’assaut le bâtiment de l’administration d’État et ont planté un drapeau russe sur le toit.

Le 7 avril, la République populaire de Kharkov a été proclamée en même temps que la DNR, mais le lendemain, Kiev a jeté toutes ses forces sur Kharkov et a réussi à réprimer complètement la résistance.

Youri Apoukhtine, l’un des leaders du “Printemps russe” à Kharkov, qui a passé trois ans et demi dans les murs du SBU, a partagé sa vision des raisons de ce qui s’est passé.

– Le cycle des événements du Printemps russe a déterminé le destin de milliers de personnes dans le sud-est qui y ont été indirectement ou directement impliquées”, explique l’interlocuteur à Svobodnaya Pressa.

Les manifestations spontanées ont déclenché un puissant mouvement qui a rassemblé des gens aux convictions différentes, mais unis par une seule chose : le rejet de l’ukronazisme et le désir d’unité avec la Russie. Il s’agissait de la formation d’une résistance populaire, dirigée non pas par les élites locales et les forces politiques qui avaient disparu sans laisser de traces, mais par des personnes nommées et nourries par la rue, des personnalités brillantes et extraordinaires, capables de s’enflammer et de diriger.

Pour moi, tout s’est terminé par des arrestations répétées, des interrogatoires, des perquisitions, des années de prison et finalement un échange contre des prisonniers de guerre ukrainiens.

SP : Comment tout cela a-t-il commencé à Kharkov ?

– À Kharkov, l’Euromaïdan a été soutenu par une misérable bande de marginaux nationalistes locaux, et combattu par des milliers de personnes qui se sont rassemblées sur la place principale de la ville, sans toutefois souhaiter défendre le gouvernement en faillite de Yanoukovych.

Au moment du putsch, à Kharkov, le 22 février, le congrès des députés de tous les niveaux se tenait sous la direction du Parti des régions. J’étais délégué au congrès et tout se passait sous mes yeux. Environ cinq mille délégués attendaient des actions décisives de la part du président légitime et la restauration du pouvoir légitime au moins dans une partie de l’Ukraine. Une impressionnante délégation des autorités russes était présente au congrès.

Yanukovych et son équipe ont fui Kiev et sont arrivés à Kharkov, mais, prostrés, ils ne se sont pas présentés au congrès et ont poursuivi leur fuite vers Donetsk. Le congrès, hormis les proclamations, n’a pris aucune décision et a été soudainement interrompu (apparemment sur ordre de Moscou). Tout le monde s’est dispersé et cela s’est arrêté là.

Le lendemain, 23 février, les gens commencent à affluer spontanément sur la place principale, près du monument de Lénine, et à l’heure du déjeuner, il y a déjà plusieurs milliers d’habitants de la ville, qui s’inscrivent dans la milice, apportent de la nourriture et de l’argent, des vêtements, du bois pour le feu. C’est ainsi que le mouvement de résistance est apparu spontanément.

Sur la photo : au pied du monument à Lénine sur la place de la Liberté à Kharkov, 2014. (Photo : TASS/Valery Sharifulin)

Plus de 40 000 habitants de Kharkov ont participé au rassemblement du 1er mars, et du rugissement de dizaines de milliers de voix scandant “Russie !!!!! Russie !!!”, les fenêtres de l’hôtel voisin tintaient.

Les autorités locales de Kharkov et d’autres villes du sud-est n’ont pas soutenu le mouvement populaire et ont fait de leur mieux pour l’étouffer.

Le mouvement de protestation de masse dans le sud-est a été une surprise totale pour Kiev, Moscou et les élites ukrainiennes ; personne ne s’attendait à ce que le peuple lui-même se soulève et défende ses droits. Les manifestations étaient spontanées et non organisées.

Participants à un rassemblement de soutien au président ukrainien Viktor Yanukovych sur la place Lénine à Donetsk, 2014. (Photo : TASS/Dmitri Rogouline)

À Kharkov, sur la base du Forum civique, qui réunissait environ deux douzaines d’organisations pro-russes, le mouvement Yugo-Vostok [Sud-Est, NdT], que je dirigeais, a été créé et enregistré. En juin, il a été interdit par le tribunal. Avec les communistes, nous avons organisé des manifestations et des rassemblements de masse dans la ville. De sa propre initiative, le mouvement Yugo-Vostok a établi des contacts avec les groupes pro-russes de Donetsk et, lorsqu’ils ont été repoussés, avec le groupe Pushilin-Purgin.

SP : Qu’est-ce qui, selon vous, a manqué à la victoire du “printemps russe” ?

– La prise des administrations régionales à Kharkov et dans le Donbass s’est faite spontanément, aucun objectif précis n’a été fixé et aucune action ultérieure n’a été planifiée. Il n’y a pas eu de coordination entre les villes.

Participants à un rassemblement de soutien au président ukrainien Viktor Yanukovych sur la place Lénine, 2014. (Photo : TASS/Dmitri Rogouline)

Moscou ne s’y intéressait pas non plus ; il s’agissait de résoudre la question de la Crimée, et la résistance dans d’autres régions allait à l’encontre de leur volonté.

En conséquence, par manque d’organisation et sans le soutien des élites locales et de Moscou, le “printemps russe” n’a gagné qu’en Crimée. Les manifestations qui s’y sont déroulées n’étaient pas très différentes de celles des autres régions du Sud-Est, et seul le soutien de la Russie a permis de remporter la victoire.

La victoire en Crimée a encouragé la population du Sud-Est, et tout le monde pensait qu’il en serait de même pour d’autres villes. Mais la Russie avait déjà pris la décision de limiter le Printemps russe à la Crimée, et le reste du Sud-Est, sans son soutien, était voué à la défaite.

Les autorités de Crimée ont commencé à faire de la propagande dans les régions du sud-est, à rassembler les représentants de ces régions, à les persuader d’organiser des manifestations et d’exiger de sortir de l’Ukraine, en les convainquant que la Russie les soutiendrait sans aucun doute. Mais les autorités russes étaient loin d’avoir cette intention. Moscou avait décidé de faire de l’Ukraine un pays neutre. À partir de la mi-avril, elles ont commencé à se concentrer sur la résolution du problème du Donbass en fédéralisant l’Ukraine et en créant une autonomie pour le sud-est. Cette solution convenait à l’oligarchie de Donetsk, qui cherchait à préserver ses biens et son influence dans le Donbass.

Un milicien populaire à un barrage routier près de la colonie de Metalist, 2014. (Photo : TASS/Stanislav Krasilnikov)

À cette fin, une autre tentative a été faite pour unir les forces de résistance dans le cadre du projet “Sud-Est”, rebaptisé plus tard “Novorossiya”, qui visait à fédérer l’Ukraine et à créer une autonomie dans le sud-est du pays.

Soudain, la ruée du groupe de l’ex-colonel du FSB Strelkov vers Slaviansk a brouillé les cartes, ce qui a déterminé d’autres actions ambiguës et contradictoires dans le Donbass. D’après les souvenirs de Strelkov, il était censé résister pendant au moins quatre jours et l’aide devait ensuite arriver, mais il s’est retrouvé abandonné. Après la déclaration de Poutine sur l’opportunité de reporter le référendum sur le statut des républiques, la mission de Strelkov était vouée à l’échec et il dut quitter Slaviansk par ses propres moyens.

À cette époque, la décision de transformer l’Ukraine en un État fédératif avait déjà été prise et les négociations sur la conclusion des accords de Minsk avaient commencé sur les conditions de cessation des hostilités et le statut spécial du Donbass au sein de l’Ukraine.

Un panneau d’affichage avec l’affiche “Russes d’acier. 300 hommes de Strelkov” dans une rue de Donetsk, 2014. (Photo : TASS/ Zurab Javakhadze)

Lorsque tous les participants au mouvement de protestation ont lu le texte de l’accord, nous ne pouvions pas y croire. Six mois de confrontation, depuis les rassemblements pacifiques jusqu’aux hostilités à grande échelle avec l’utilisation de véhicules blindés et d’avions, des milliers de morts et d’emprisonnés, la défaite de l’ennemi, la “marche des prisonniers” à travers Donetsk et le triomphe de la victoire… Il était difficile d’imaginer, après tout ce qui s’était passé, qu’il serait possible de s’arrêter sans obtenir de résultats.

Des militaires de l’armée ukrainienne capturés traversent le centre de Donetsk accompagnés d’un convoi armé, 2014. (Photo : TASS/Konstantin Sazonchik)

La suite des événements a montré que les accords de Minsk ne pouvaient en aucun cas mettre fin au conflit, car les mécanismes de rétablissement de la paix qu’ils prévoyaient n’éliminaient pas les causes qui en étaient à l’origine. Cette idée n’a mené nulle part et a finalement abouti à une impasse.

Le “printemps russe” et le mouvement de protestation dans le sud-est, qui est parti de la base, ont montré que les sentiments pro-russes sont très forts dans ces régions et que les gens sont prêts à les défendre, car l’Ukraine s’est révélée être une marâtre. Mais le véritable élan populaire qui unissait tout le monde et la croyance en la possibilité de “rentrer à la maison” n’intéressaient personne.

Les manifestations populaires de masse n’ont pas réussi et ne pouvaient pas réussir. L’expérience historique montre que de telles manifestations sans structure d’organisation ne mènent pratiquement à rien si elles ne sont pas reprises et dirigées par les élites ou soutenues de l’extérieur par les structures des États intéressés.

Le mouvement de protestation dans le sud-est n’était pas dans l’intérêt de l’élite ukrainienne et des dirigeants russes, et l’explosion populaire sans précédent s’est retrouvée sans soutien.

La politique de non-ingérence et la tiédeur des décisions prises n’ont pas eu de succès sérieux et ont, à bien des égards, engendré les problèmes d’aujourd’hui. L’Ukraine est restée un État d’une seule ethnie, les intérêts de la population du sud-est n’ont été protégés d’aucune manière et la région s’est retrouvée sous un régime d’occupation.

Dans toute société, les événements tragiques doivent mûrir, puis le mécanisme de déclenchement met les forces sociales en mouvement. La base sociale doit mûrir et des forces motrices doivent émerger dans la société, capables de réaliser les transformations attendues. En 2014, la société était prête, mais il lui manquait la force motrice nécessaire, et le mouvement de protestation a été vaincu.

Avec le temps, il faudra évaluer, en tenant compte de tous les facteurs, les causes et les conséquences objectives et subjectives du printemps russe, qui ont abouti à des résultats aussi ambigus. La Russie s’est retrouvée à devoir résoudre le problème de l’Ukraine par la force, en démilitarisant et en dénazifiant brutalement le pays. Il n’y avait pas d’autre alternative.

SP : Pourquoi pensez-vous que Kiev a déployé toutes ses forces pour réprimer les manifestations à Kharkov et non à Donetsk ou à Lougansk ?

– C’est à Kharkov que les manifestations ont été les plus puissantes, mais les élites locales ne nous ont pas soutenus et ont essayé d’étouffer les manifestations. Le maire Kernes m’a invité à deux reprises et m’a demandé d’y mettre fin. Nous ne sommes pas parvenus à un accord.

Le ministre de l’intérieur Avakov a envoyé les forces spéciales “Jaguar” de Vinnitsa à Slaviansk et, en chemin, elles ont nettoyé Kharkov le 8 avril (66 personnes ont alors été emprisonnées).

Arsen Avakov (au premier plan à droite) après une réunion de la Verkhovna Rada, 2014 (Photo : TASS/Maxime Nikitine)

Nous n’avons reçu aucune aide ou soutien de la Russie, ils nous ont seulement invités à la télé.

Sans l’aide de l’élite locale ou kiévienne et le soutien de la Russie, nous étions condamnés, Kiev aurait de toute façon envoyé une expédition punitive à Kharkov et nous aurions été écrasés, nous n’avions pas d’armes du tout. La tentative d’organiser un soulèvement armé à la mi-avril s’est bornée à des discussions. Nous n’allions pas recevoir d’armes, ni de Donetsk ni de la Russie.

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