Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Qui peut servir de médiateur entre Israël et Gaza ? par Youri Mavashev

Ce texte a été écrit avant que soit publié le plan saoudien, et dans histoire et société nous n’avons cessé de nous prononcer pour une solution dans laquelle les acteurs régionaux joueraient le plus grand rôle. Ce que disent spontanément la majeure partie des musulmans, arabes chrétiens, et peuples du Maghreb va dans ce sens “que les Etats-Unis s’en aillent et une solution sera trouvée”. Parce que ce qui peut encore aujourd’hui nuire au plan saoudien ce serait si en quoi que ce soit il parait céder aux intérêts occidentaux et donc être in fine une duperie de plus pour les Palestiniens. C’est en ce sens qu’il a besoin de l’accord de l’ONU et des forces qui à l’ONU sont considérées comme garantes de la “neutralité” à savoir la Chine, le Brésil et la Russie. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)

https://vz.ru/opinions/2023/12/19/1244037.html

Youri Mavashev est un orientaliste, directeur du Centre d’étude de la nouvelle Turquie

Le rythme de l’avancée des Forces de défense israéliennes (FDI) dans la bande de Gaza est de moins en moins compatible avec les discours de victoire. Il suffit d’étudier une carte des combats pour s’en convaincre. Les troupes israéliennes ne se risquent pas à occuper des zones de développement urbain dense, se contentant de zones rurales désertées. La question de savoir qui peut aider les belligérants à résoudre la situation par des moyens non militaires est donc très pertinente.

On a appris récemment que le groupe de contact de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) et de la Ligue des États arabes (LEA) avait présenté aux membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies un plan en 11 points pour régler le conflit. Le document prévoit, entre autres, un cessez-le-feu complet et inconditionnel, la garantie des conditions d’un acheminement rapide des fournitures humanitaires dans la région, l’interdiction de tout déplacement forcé de civils et le lancement d’un processus de règlement visant à établir une paix permanente et juste sous le contrôle des Nations unies. En outre, le plan prévoit un retour aux frontières d’avant 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale de la Palestine.

Ces initiatives sont les bienvenues, mais la partie du plan relative au règlement sous l’égide de l’ONU comporte de nombreuses pierres d’achoppement. Il est peu probable que le monde islamique accueille favorablement l’arrivée de “croisés”, même avec des casques bleus. La délicatesse du moment tient au fait qu’il s’agit de terres sacrées pour toutes les religions abrahamiques. En conséquence, la participation d’un contingent conjoint de l’ONU, et en premier lieu des États de la région, s’impose. La question est de savoir si Tel-Aviv, emporté par son élan, se satisfera de cet arrangement.

Il semble que les dirigeants israéliens, représentés par le Premier ministre Benjamin Netanyahu, aient de plus en plus de mal à résister à la solidarité morale des pays eurasiens, dont la Russie fait indubitablement partie. Surtout quand, sur l’autre plateau de la balance, il y a 18 000 civils morts, près de 2 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays et que Netanyahou assure que l’État juif n’a pas l’intention de s’arrêter.

En outre, M. Netanyahou a récemment eu l’indiscrétion de déclarer que son pays se préparait sérieusement à une éventuelle guerre avec les forces de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie. Le Hamas a déjà appelé Ramallah à rejoindre immédiatement la lutte commune, les armes à la main, et à renoncer à tout accord avec Israël.

Il semble que même un défenseur aussi constant du Hamas que le Qatar, qui finançait l’organisation, soit prêt à sacrifier des militants s’il y a autant de vies civiles en jeu. Ainsi, l’ancien Premier ministre qatari et cousin de l’actuel émir, Khalid bin Khalifa bin Abdul Aziz Al-Thani, a déclaré dans une interview au Spiegel qu’Israël aurait dû trouver et détruire les 2 000 combattants du Hamas au lieu de mener une opération d’une telle ampleur qui a tué autant de civils.

Par cette déclaration, les Qataris ont en fait élargi leur marge de manœuvre quant à la participation de Doha au règlement politique du conflit.

La Turquie, alliée du Qatar, réfléchit également de plus en plus à l’avenir de la région. Le président Erdogan a plaidé en faveur d’une implication rapide dans le mécanisme des pays garants. Selon lui, la république est prête à assumer “l’entière responsabilité” de la mise en place d’un processus politique normal à Gaza. A la condition que l’Occident fasse pression sur Israël pour qu’il mette fin aux attaques et fasse la paix avec les Palestiniens.

Cependant, la Turquie n’a guère les qualités de garant et de médiateur, étant donné son attitude partiale à l’égard du Hamas. Le parti d’Erdogan a longtemps entretenu des relations “fraternelles” avec cette organisation. Les Turcs ont des liens beaucoup plus faibles avec le Fatah. En ce sens, les monarchies du Golfe sont plus proches de la résolution de l’énigme, quelle que soit la date du début du règlement.

Outre le Qatar, il s’agit de l’Arabie saoudite. Ces dernières années, la monarchie s’est considérablement renforcée et poursuit une voie indépendante au Moyen-Orient, ayant cessé depuis longtemps d’être le “porte-monnaie des États-Unis”. Cela sera confirmé par la normalisation des relations de l’Arabie saoudite avec son vieil ennemi, l’Iran, grâce à la médiation de la Chine au printemps 2024, et par l’accueil très froid de Joe Biden en juillet 2022. A l’époque, Mohammed bin Salman Al Saud n’a même pas serré la main du chef de la Maison Blanche.

Bien sûr, cette séquence est couronnée par la récente rencontre avec le dirigeant russe Vladimir Poutine. Là, à huis clos, le prince héritier et le président russe ont discuté du règlement dans la bande de Gaza et ont publié une déclaration commune.

En tout état de cause, Riyad a probablement les meilleures chances de jouer à la fois le rôle de garant et de médiateur si nécessaire. À condition que les armes israéliennes cessent de tonner. Après tout, aucun acteur de la région, y compris la Turquie et le Qatar, ne peut dire que les gardiens de La Mecque et de Médine, lieux sacrés pour les musulmans, n’ont pas le droit d’aider leurs coreligionnaires.
Les Saoudiens sont les seuls à disposer d’une autorité incontestable.

Les voisins d’Israël, la Jordanie et l’Égypte, refusent clairement d’assumer la responsabilité de l’avenir de Gaza. En outre, ils sont trop dépendants des États-Unis pour sauver qui que ce soit. Par conséquent, Amman et Le Caire ne développent pas de modèles viables. L’Arabie saoudite, quant à elle, ne s’est pas compromise en tentant de se défausser ou en sympathisant avec le Hamas.
C’est pourquoi il est crucial qu’à la veille de la restructuration de l’architecture de sécurité au Moyen-Orient, Moscou parie sur un acteur véritablement responsable. Elle ne pourra en tirer que des avantages.

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