Histoire et société

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Capitalisme d’influence : enquête sur les grands barons de l’économie française

DOSSIER 

Dans le cadre des responsabilités occultées il y a les capitalistes, les grandes familles venues pour certaines du fin fond du XIXe siècle mais qui se sont intégrés à un système de financiarisation qui veut qu’à peu près la moitié (40 %) du capital des entreprises françaises cotées en Bourse est détenu par des actionnaires non résidents. Une petite moitié d’entre eux sont des financiers américains et pour une autre petite moitié des personnes ou sociétés européennes, avec une forte représentation des paradis fiscaux du Vieux Continent (Luxembourg, Pays-Bas…). Le consensus atlantiste véhiculé par des médias totalement intégrés à ce système a cette base d’intérêts. Si aujourd’hui 28/11/2023, nous insistons sur la manière dont on vend ses “opinions” au citoyen électeur il faut bien mesurer à quel point les relations publiques en matière de “produit” politique ne sont qu’une branche de la publicité d’entreprise. (note de Danielle Bleitach pour histoireetsociete)
PHOTO : Stéphane Trapier

ENTRETIEN 

« Les acteurs financiers n’ont pas fait disparaître les grandes familles capitalistes »

LE 25/11/20237

Tristan Auvray Economiste à l’université Sorbonne Paris Nord, coauteur de L’industrie de la finance, La Découverte, 2022.

L’économiste Tristan Auvray explique comment les barons du capitalisme maximisent leur patrimoine en le concentrant dans quelques grandes firmes dont ils s’assurent le contrôle.

Bernard Arnault, Xavier Niel, Vincent Bolloré ou Martin Bouygues : que représentent ces milliardaires qui dirigent et possèdent leurs entreprises par rapport aux autres catégories d’actionnaires ?

Tristan Auvray : A peu près la moitié (40 %) du capital des entreprises françaises cotées en Bourse est détenu par des actionnaires non résidents. Une petite moitié d’entre eux sont des financiers américains et pour une autre petite moitié des personnes ou sociétés européennes, avec une forte représentation des paradis fiscaux du Vieux Continent (Luxembourg, Pays-Bas…).

En réalité, ces non-résidents européens sont parfois des sociétés appartenant de manière ultime à un groupe français, ou des familles françaises actionnaires de grandes firmes via une holding située dans ces paradis fiscaux.

Ensuite, on retrouve le secteur financier hexagonal (banques, assurances…) pour 20 % du capital des sociétés cotées, puis les ménages français autour de 12 % et l’Etat, 6 %. Le reste de l’actionnariat se répartit pour l’essentiel entre les firmes non financières.

Au-delà de la résidence, la moitié du capital des sociétés cotées, en France comme dans les grands pays européens, est détenue par des actionnaires avec des visées stratégiques, et l’autre moitié par des acteurs financiers.

Certains de ces acteurs financiers, comme BlackRock, ont à la fois un portefeuille très diversifié et des participations relativement importantes (entre 5 % et 10 %) dans un panel large de firmes.

Des figures comme Bernard Arnault, Vincent Bolloré ou François Pinault ne représentent donc pas l’essentiel des participations cotées. D’une part, leur pouvoir ne s’exerce que sur une partie des sociétés cotées et, d’autre part, la spécificité de ces individus, à l’exception de Bernard Arnault et de quelques autres, est qu’ils ne contrôlent pas majoritairement ces entreprises, ils n’y ont qu’une participation située entre 20 et 30 %.

Ainsi les familles Bouygues ou Bolloré possèdent moins du tiers du capital des entreprises de leur portefeuille. Car en vertu de la loi, le seuil de 30 % les obligerait à déclencher une offre publique d’achat (OPA) sur le groupe en question.

Or, Vincent Bolloré n’a pas les moyens, ni même sûrement l’envie d’engager toute sa fortune pour reprendre la totalité du capital de Vivendi, de même que les autres pour les entreprises qui les concernent.

Cette situation se retrouve dans les différents pays européens où le seuil de détention moyen des firmes par l’actionnaire le plus important se situe juste en dessous du niveau de déclenchement obligatoire d’une OPA, lequel varie selon les pays.

Détenir une participation de 20 ou 30 % dans une grande firme permet à ces actionnaires de référence d’avoir un contrôle de fait sur des organisations géantes très rentables, et ainsi de valoriser une partie de leur patrimoine.

Comment un actionnaire qui n’a qu’un quart du capital d’une société peut-il la contrôler ?

T. A. : L’une des raisons est la passivité de certains actionnaires. En assemblée générale, le taux de participation des actionnaires est d’environ 75 %, si bien qu’en pratique, un actionnaire dit de référence avec 20-25 % du capital pèse 30 à 35 % des votes.

Ensuite, le pouvoir des petits actionnaires s’exprime lors des assemblées générales annuelles via le vote des résolutions qui sont proposées par le conseil d’administration. Or, ce dernier reflète la position des grands actionnaires et des grands dirigeants qui y siègent, et ses résolutions sont toujours validées à des scores très élevés, de 80-90 %. Car le suivisme est considérable chez les petits actionnaires.

Enfin, les agences de conseil de vote jouent un rôle important. Certains actionnaires minoritaires, notamment les investisseurs institutionnels [organismes gérant des masses d’argent pour le compte d’autrui, comme les sociétés d’assurance-vie, NDLR], passent par de telles agences pour savoir comment voter.

Or, ces agences formulent des indications qui vont toujours dans le sens d’une maximisation de la valeur actionnariale. Si l’actionnaire de référence favorise cette maximisation, il aura les agences de conseil avec lui.

In fine, la passivité et le suivisme des actionnaires ainsi que la volonté de satisfaire les autres actionnaires par une valeur du titre la plus élevée possible permettent une coalition d’intérêts lors des assemblées générales. Une coalition qui donne à l’actionnaire de référence, qui n’a que 20 % du capital, un pouvoir prédominant.

Ces figures d’actionnaires de référence sont-elles plus importantes aujourd’hui ?

T. A. : Dans les statistiques de la Banque de France, la détention directe d’actions par des ménages est de plus en plus faible. Mais ces chiffres sont biaisés, car dans les faits, les individus passent de plus en plus par des intermédiaires financiers et les grandes familles interviennent toujours au travers de holdings. Et leurs rôles ont évolué au fil des décennies via des stratégies de diversification de portefeuille, comme l’a montré le sociologue Quentin Belot dans le cas de Peugeot.

Les actionnariats familiaux qui contrôlaient auparavant le groupe familial ont désormais placé dans d’autres firmes une partie du patrimoine qu’ils ont accumulé. En plus de sa participation dans Stellantis (ex-PSA), la famille Peugeot possède ainsi des parts dans Safran, Orpea, Spie, le groupe SEB, etc.

Cependant, à l’inverse de fonds d’investissement ou de gestionnaires d’actifs comme BlackRock qui diversifient largement, ces familles répartissent leur patrimoine dans une dizaine de sociétés seulement, avec une volonté de contrôle, en réclamant une place au sein des conseils d’administration pour influer sur les stratégies.

De Peugeot à Wendel, les sociétés familiales industrielles du début du XXe siècle se sont transformées en sociétés d’investissement de portefeuille au bénéfice d’une famille. Et c’est un membre de la famille qui est aux manettes. Une configuration qui se retrouve dans des familles à l’ascension plus récente comme les Bouygues, Arnault, Bolloré, Pinault, etc.

Qu’est-ce que cela dit de notre économie ?

T. A. : Nos économies capitalistes reposent sur une règle simple : une action = une voix. Plus on a de patrimoine, plus on a de pouvoir. Et ce patrimoine, ces familles l’ont concentré dans quelques grandes firmes.

Les travaux de Thomas Piketty et ses équipes ont montré qu’il y avait une différence dans le rendement des actifs. Plus on est fortuné, plus le rendement des actifs que l’on détient est élevé : quand le gros de la population a un Livret A rémunéré à 3 %, les plus riches possèdent des actions dont les rendements sont de 15-20 %.

Ceci est la conséquence directe des stratégies de contrôle des actifs qu’opèrent les grandes familles de manière concentrée sur quelques grandes firmes, dont les actions affichent des rendements élevés.

La distribution des richesses au sein de nos sociétés ne peut donc être déconnectée des questions de contrôle et d’accumulation capitaliste au sein des firmes privées. Les deux vont ensemble et participent à une concentration du patrimoine et du contrôle économique entre les mains de quelques-uns, et en premier lieu de ces grandes familles.

La financiarisation n’a pas remplacé le modèle préexistant des grandes familles mais a fait évoluer leurs pratiques. Les acteurs financiers, arrivés à partir des années 1980, ont eu une influence considérable sur la stratégie et la distribution du dividende, mais n’ont pas fait disparaître les grandes familles capitalistes, ni même les élites politico-économiques qui dirigent certains grands groupes.

A ces familles et ces élites, sont ainsi venus s’ajouter au sein des conseils d’administration des groupes financiers, des fonds souverains étrangers ou encore des familles étrangères. Cette diversité d’intérêts patrimoniaux influe sur les décisions de la firme mais toujours dans le but de valoriser le patrimoine de chacun de ces actionnaires.

Retrouvez notre dossier « Capitalisme d’influence : enquête sur les grands barons de l’économie française »

Capitalisme d’influence : enquête sur les grands barons de l’économie française

Ce ne sont pas seulement de grands patrons, mais de véritables barons, car ils ne se contentent pas de diriger leurs groupes respectifs en managers habiles, ils en contrôlent le capital, souvent avec des membres de leur famille. Certains, comme Bernard Arnault ou Vincent Bolloré, sont présents de longue date à l’avant-scène du capitalisme français et parfois même mondial. D’autres, à l’instar de Rodolphe Saadé ou de Daniel Kretinsky, sont montés plus récemment sur le podium hexagonal.

S’ils ont généralement bâti leur fortune sur un secteur précis de l’économie, qu’il s’agisse du luxe, de l’énergie, du transport et de la logistique, ces prudents fortunés veillent à ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier. Ainsi de Xavier Niel, parrain des start-ups françaises et des nouvelles technologies, qui a placé une partie de sa fortune dans l’immobilier, incarnation de la veille économie.

Point commun de ces grands fauves du capitalisme : en plus de leurs activités très rémunératrices, ils possèdent une bonne partie des médias français. Moins pour y faire grossir leur patrimoine que pour y gagner en influence dans le débat public, c’est- à-dire dans nos esprits, et bien sûr dans les couloirs du pouvoir. Car à leurs yeux ce qui est bon pour les barons est bon pour le royaume

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