Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Sur les véritables adeptes de la “philosophie de la mort”.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que les pires adversaires du communisme, ceux qui finissent toujours par pointer leur nez derrière l’alternative libérale-libertaire du capitalisme, à savoir les fascistes, s’avèrent les partisans de “vive la mort!”. Ce que nous voyons à Gaza est exemplaire. Comment certains juifs peuvent-ils en arriver à accepter de confondre leurs voix avec celles de l’extrême-droite, c’est impossible à comprendre si l’on ne mesure pas que nul n’est protégé de cette dérive. Ce que la grande masse des Russes a vécu constitue un antidote mais il est évident que l’Europe est la proie d’un tel glissement où ceux qui nous ont vanté la liberté sont désormais prêts à l’aliéner. (note de danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop pour histoireetsociete)

https://gazeta-pravda.ru/issue/115-31464-2023-oktyabrya-2023-goda-/pro-realno-ispoveduyushchikh-filosofiyu-smerti/

La Pravda, 20-23 octobre 2023

Auteur : Andrei KRYUKOV, écrivain, Rostov-sur-le-Don.

Pourquoi l’intelligentsia ne chante plus aujourd’hui

Dans la conversation entre Jean Toshchenko, membre correspondant de l’Académie russe des sciences, et Viktor Kozhemyako, chroniqueur politique de la Pravda, “D’abord sur la pointe des pieds, puis à contretemps”, publiée dans la Pravda, n° 88 (31437) des 18-21 août de cette année, une analyse dévastatrice est faite des opinions, ou plutôt du “tournage de veste” idéologique, d’Alexander Tsipko, autrefois universitaire marxiste et aujourd’hui ardent anti-communiste, docteur en philosophie.

Le portrait de ce métamorphe qui se dégage de la conversation donne la chair de poule ! Au début, il servait le pouvoir soviétique et le parti communiste, mais lors de la “perestroïka”, il s’est avéré qu’il les détestait, “prêt à inventer n’importe quoi sur le marxisme, sur Octobre, sur l’histoire de l’URSS”. Et il cherchait les mots et les expressions les plus cinglants pour insulter et diffamer au maximum tout ce qu’il avait servi”.

Il poursuit ses recherches encore aujourd’hui. Mon attention a été particulièrement attirée par la discussion sur la récente “étonnante, la plus grande découverte scientifique” de ce scientifique : “Il déclare que le marxisme… est la philosophie de la mort”.

En effet, dans un article paru dans Nezavisimaya Gazeta, Tsipko écrit : “Qu’est-ce qui était au centre de la doctrine du communisme ? La mort de tout ce qui préservait et, comme le disaient Karl Marx et Friedrich Engels, défendait la propriété privée. En d’autres termes, l’idée du communisme était fondée sur une philosophie de la mort”.

On pourrait rire de l’affabulation du renégat et la passer sous silence. Malgré de nombreuses années d’efforts de la part de ces interprètes de droite du marxisme-léninisme dans le passé, ils n’ont pas réussi à tuer dans notre peuple le bon souvenir de la vie soviétique, ni la croyance en une organisation juste de la société selon les principes communistes. Au contraire, cette mémoire et cette foi en l’homme ne font que se renforcer. C’est pourquoi les exorcistes de serpents totalitaires sont obligés d’aller jusqu’au bout, de se donner à fond.

Mais je me suis souvenu que j’avais déjà rencontré une déclaration similaire – à propos des enseignements de Marx et de la mort. Tsipko avait un prédécesseur, également scientifique, mais mathématicien : le dissident Igor Shafarevich. Dans son ouvrage “Le socialisme en tant que phénomène de l’histoire mondiale”, il écrit : “Le socialisme est l’un des aspects de l’aspiration de l’humanité à l’autodestruction, au néant, à savoir sa manifestation dans le domaine de l’organisation sociale (…) Comprendre le socialisme comme l’une des manifestations de l’aspiration de l’humanité à l’autodestruction permet de comprendre son hostilité à l’individualité, son aspiration à détruire les forces qui soutiennent et renforcent la personnalité humaine : la religion, la culture, la famille, la propriété individuelle”. Shafarevich assimile l’adhésion au socialisme à l’adhésion à l’instinct de mort freudien, le Thanatos même.

L’œuvre de Shafarevich, sous une forme condensée, a été publiée pour la première fois il y a près d’un demi-siècle dans la célèbre collection “Des voix sous les décombres”. Je ne sais pas si Tsipko en est venu lui-même à assimiler le communisme à la mort ou s’il a été inspiré par Shafarevich, mais la continuité, me semble-t-il, est évidente.

Pourquoi les détracteurs de la doctrine de Marx sont-ils si sensibles à cet attachement aberrant à la mort ? C’est la question que je me suis posée.

Dans son article, Tsipko se lamente : “Je pense que la tragédie est que, pour une raison quelconque, la valeur de la vie humaine a chuté de façon spectaculaire en Russie au cours des dernières années. Et c’est précisément parce que la vie humaine est sans valeur pour beaucoup de nos contemporains que le socialisme à visage stalinien est devenu proche d’eux…”

Certes, dans la “nouvelle Russie”, organisée il y a trente ans selon les recettes des négationnistes du marxisme, la vie humaine est bon marché. Nombreux sont ceux à qui l’ordre nouveau a coûté la vie. C’est pourquoi nos contemporains sont devenus particulièrement “proches du socialisme à visage stalinien”, parce que sous Staline la vie de la majorité de la population était plus prospère et plus riche de sens que la vie actuelle. C’est bien là la raison. On ne peut pas tromper la mémoire historique des gens.

Les personnalités libérales en général aiment verser des larmes sur le sort du peuple. D’une sensibilité exacerbée, ce sont eux qui, dans les années de la “perestroïka”, ont applaudi en chœur la phrase de Dostoïevski selon laquelle toute l’harmonie du monde ne vaut pas les larmes d’un enfant martyrisé. En même temps, ceux que l’on appelait alors les “démocrates” ont détruit avec acharnement les fondements de l’existence établie, ont brisé le pays, dont l’effondrement a provoqué des rivières de sang et des torrents de larmes d’enfants et d’adultes.

Voici un exemple du raisonnement d’une personne proche de Tsipko sur l’échiquier idéologique : l’écrivain Dmitry Bykov (reconnu en Russie comme un agent étranger). Sur une chaîne YouTube, il a récemment déclaré : “L’Union soviétique était abjecte. Mais il y a un problème : elle a été tuée par quelque chose d’encore pire que l’Union soviétique. Il y avait une certaine strate dans l’Union soviétique pour laquelle cela valait la peine que Dieu la supporte. Il s’agissait de l’intelligentsia soviétique, en laquelle le peuple se transformait progressivement. Le peuple c’est-à-dire “ceux qui écrivent des chansons folkloriques”. L’émergence du folklore soviétique, le phénomène du CCA (supposément, le club des chansons d’amateurs – A.K.) montre que le peuple a atteint un niveau qualitativement nouveau d’intellectualité, de liberté, de critique sociale (…) Dans les années 90, cette couche a été détruite”.

Il est vrai que les intellectuels d’aujourd’hui ne chantent pas avec la guitare. Et cette “strate” insouciante, à la belle âme, roucoulant des chansons d’Okoudjava et des Nikitins, se pâmant devant les films de Strougatski et de Tarkovski, n’existe plus aujourd’hui. Ces moucherons fruitiers ont été tués par le souffle glacial du capitalisme. Ce même capitalisme que la “perestroïka” appelait de ses vœux. Aujourd’hui, les intellectuels ne sont pas intéressés par les réunions intimes dans les cuisines soviétiques des manuels scolaires ou autour des feux de camp. C’est le pouvoir soviétique qui distribuait gratuitement des cuisines avec les appartements. Dans notre quotidien marchand, il faut travailler dur pour avoir une cuisine. Et l’occupation dévorante du paiement de l’hypothèque n’incite pas à la sérénité et aux incantations vocales : “Donnons-nous la main, les amis !” Plutôt faire attention à ce que les “amis” ne vous mordent pas la main.

Mais on peut présenter aux libéraux, aux “droit-de-l’hommistes”, aux destructeurs de l’Union soviétique, une facture plus lourde encore que celle de la classe des intellectuels soviétiques frondeurs, qui s’est anémiée et a sombré dans l’oubli. Plus récemment, le 3 septembre, la Russie célébrait la Journée de la solidarité dans la lutte contre le terrorisme. Cette journée est célébrée chaque année en mémoire de l’un des terribles événements de la guerre de Tchétchénie : en 2004, des terroristes se sont emparés d’une école à Beslan, tuant plus de 300 personnes, dont la plupart étaient des enfants.

Je suis sûr que les “démocrates de la perestroïka” – les libéraux d’aujourd’hui – ne reconnaîtront jamais le lien entre cette attaque terroriste inhumaine et leurs efforts, il y a trente ans, pour liquider le pouvoir soviétique, détruire l’Union soviétique et établir une dictature capitaliste de marché sur ses ruines. Pour ma part, le lien est évident. Deux guerres sanglantes en Tchétchénie, des attentats à la bombe, des millions de Russes bloqués à l’étranger, le banditisme des années 1990, la crise dévastatrice de 1998 – la responsabilité du sang, de la pauvreté et de la souffrance d’un grand nombre de personnes incombe aux destructeurs de l’URSS, aux théoriciens et aux praticiens du passage d’un modèle socialiste à un modèle capitaliste, payé par une myriade de drames et de tragédies. Ce sont eux qui ont jeté la pierre qui a provoqué l’avalanche. Même l’opération militaire spéciale est menée aujourd’hui pour corriger les erreurs qui ont résulté de l’effondrement de l’URSS.

Mais, je le répète, nous n’attendrons pas que des renégats comme Tsipko se repentent, ce qu’ils exigeaient autrefois des communistes avec une insistance maniaque. Aujourd’hui, nos champions du libéralisme, du marché et des valeurs universelles rejettent la responsabilité de leurs graves péchés, de l’effondrement de la maison commune du peuple soviétique – l’URSS – et des “réformes” vicieuses du marché sur n’importe qui – le gouvernement, Staline, les services de sécurité et l’héritage du totalitarisme – mais pas sur eux-mêmes. Afin d’éviter toute responsabilité, de détourner l’attention d’eux-mêmes, ils forgent de toutes pièces de fausses théories sur le communisme, en lui accolant l’étiquette ridicule de “philosophie de la mort”.

En fait, depuis trois décennies, ce sont eux, leurs préconisations pernicieuses, qui nous conduisent sur des chemins tortueux et sanglants vers le lieu où l’homme est un loup pour l’homme, où c’est chacun pour soi, où seul Dieu est pour tous. Où il est de bon ton de tendre des pièges et des trappes à son prochain comme à une bête, où si l’on ne triche pas, on ne vit pas. Il y a trente ans, par leur grâce, nous avons commencé à vivre dans les conditions d’un modèle socio-économique incomparablement plus primitif que celui qui existait en URSS. Dans le modèle actuel, une personne, l’ensemble de l’organisation de la vie, est un appendice de l’étagère à marchandises du magasin, étant entièrement à son service. Cela conduit à la dégradation de l’homme, à sa mort, si ce n’est physique, du moins spirituelle.

Ainsi, si la philosophie de quelqu’un doit être appelée “philosophie de la mort”, ce ne sont pas les marxistes qui la professent, mais leurs adversaires.

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2 Commentaires

  • Romain
    Romain

    et à ceux qui rêvent encore à la dictature du prolo qui n’existera jamais à part comme fantasme des gens manipulables par des tiers et qui ne savent pas tellement rêver la liberté et la coopération, cette vidéo sur l’histoire est de bonne facture: https://www.youtube.com/watch?v=Wy5ufBnjDxM

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  • Romain
    Romain

    le mot du fascisme, c’est “nous ne gagneront pas la guerre, mais vous ne la gagnerez pas non plus'” et “je mourrai, mais vous aussi” c’est l’expression pleine et totale du désespoir et d’un besoin de soutien. Ce n’est pas autre chose, malgré tout ce que l’on met derrière le mot fachisme et qui nous éloigne d’une compréhension claire de cette étiquette. C’est tristement simple pourtant.

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