Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Les morts, la vie et le lilas d’espagne …

Maya et sa grand mère
Djaouida, Maya, Hamid et moi dans une allée du cimetière

C’est l’automne on plonge toujours plus dans la nuit, mais bientôt les jours vont recommencer à croître… Il y aura le solstice d’hiver, Noël et hannouca, à nouveau le printemps ainsi de suite…

lilas d’espagne

Il y a peu au printemps dernier, en avril 2023, j’étais en Grèce pour la Paque orthodoxe. je marchais dans un col du peloponnèse proche du Taygète. Du lilas d’Espagne charnu envahissait les talus. Regardez la photo ci-dessus, c’est cette plante haute et grégaire dont les touffes se multiplient. Leurs tiges longues, glauques et glabres , creuses , se tranchent facilement. Leur odeur est souterraine, celle de la valériane, elle attire les chats. Les fleurs sont rouges violacées, en grappes d’où le nom de lilas d’Espagne. Chaque fleur a une longue corolle éperonnée avec des lobes duquel émerge style, étamine. Cette mauvaise herbe envahit les terrains vagues et les dispute aux centaurées bleues et coquelicots rouge, aux genets d’or, quand arrive le printemps. .J’appelais jadis mon fils mon lilas d’espagne, il ressemblait aux gitans chantés par Lorca. Sur cette route grecque, tracée dans des pentes, croulant sous les orangers, les oliviers, j’ai été submergée de bonheur comme si lui et tous ceux que j’avais perdus étaient là: un choeur vibrant m”accueillait comme sur le tympan du portail de Moissac … il y a dans la nature ou dans un être, dans une chose même, parfois ce pouvoir irresistible sur vous, il apporte une joie énergique, le coeur se dilate et les larmes vous montent aux yeux, on s’ identifie cette plénitude alors comme dans l’amour …

Ce jour-là fut celui de la restitution de ceux que le deuil m’avait arraché, leur présence réelle, mais aussi le don que m’a fait la vie de me sentir merveilleusement entière, intacte à un âge avancé, celui où d’autres peu à peu sont amputés d’eux mêmes et des autres. Je marchais d’un pas allègre sur cette route grecque, je dansais presque. D’où nous vient cette fforce, ce besoin de savoir, de voir , de marcher, de découvrir? Qui m’a fait un tel cadeau, celui de retrouver ceux que j’aime de les faire pousser hors de la terre noire? Comment se fait-il que je me sente dans cette chaîne qui du fond des âges se bat comme du chiendent pour avoir sa place dans le soleil?

Au cimetière, l’été suivant cette apothéose printanière, un autre anniversaire, à célébrer, le sien, j’avais retrouvé surplombant la tombe une touffe de lilas d’espagne, et une bouffée de bonheur m’était revenue en souvenir de cette route grecque.

Ce 1er novembre, le pied de lilas était encore là, les fleurs avaient fâné mais tandis que nous lavions le marbre noir, je l’ai désignée à ma famille algérienne en tentant de leur dire ce qu’il représentait, en leur imposant silence. Aussi, comment grace à eux, il y avait dans ce rite encore de la joie. Difficile à exprimer mais les mots me sont venus. Les circonstances s’y prêtaient puisque nous ne pouvions ni les uns ni les autres ne pas penser à cette tragédie qui nous révulsait là bas au Moyen Orient. Ici la mort était paisible, là bas elle était convulsive, une étreinte contre nature, la vraie obscénité. les chiffres dépassent l’entendement, la représentation. Ce petit cimetière provençal déborderait s’il devait tous les accueillir. Devant le portail d’entrée, deux hommes âgés faisaient la quête ‘pour entretenir les monuments de nos “poilus”… Dans la tombe où reposent ma mère et mon fils, il y a une femme, ma grand mère qui a souffert de cette guerre là, son époux est mort gazé… Elle est devenue communiste et a participé à la révolte de midinette en 1920, elle a appris l’esperanto pour que les peuples aient un langage commun pas celui des marchands d’armes… Chez elle, assise par terre, je lisais Rouge midi, une bande dessinée sur Felix le chat. j’ai jeté 3 euros dans leur bivouac.

En rentrant du cimetière, j’ai découvert cette nouvelle : l’astronome britannique Martin Rees a émis hier une hypothèse sur les extraterrestes dans un éditorial pour la BBC. Pour lui l’être humain est appelé à être peu à peu remplacé par l’intelligence artificielle (IA) et il est donc plus probable qu’à l’échelle de l’univers, la forme de vie organique que nous connaissons aujourd’hui ne soit, pour les éventuelles autres civilisations, qu’un lointain souvenir entretenu par une forme d’IA plus développée. Dans le cadre du forum sur l’Intelligence artificielle qui avait lieu à Londres, il répondait au paradoxe de Fermi –du nom du physicien Enrico Fermi, qui s’interrogeait dans les années 1950 sur la raison pour laquelle aucun extraterrestre ne s’était montré. Alors que s’il existait des civilisations extraterrestres, au moins une d’entre elles, dans un système planétaire plus ancien que le nôtre, aurait dû atteindre le niveau de technologie nécessaire pour nous trouver. Jusqu’ici, rappelle Martin Rees, notre paradigme a consisté à imaginer un «grand filtre» qui rendait très compliquée toute forme de vie : il faut une planète pas trop chaude, mais pas trop froide non plus, avec de l’eau, pas trop de volcans… Nous nous serions rendus coupables d’un peu d’anthropocentrisme en imaginant que les autres formes d’existences intelligentes dépendaient d’une biologie très similaire à la nôtre. Lord Martin Rees prend le problème dans l’autre sens : peut-être qu’à l’échelle de l’univers, l’existence d’êtres organiques tels que les humains est anecdotique et que les civilisations les plus avancées sont précisément d’une autre forme que la nôtre. Allant au bout de son idée, Martin Rees estime que l’inéluctable hégémonie des machines va reléguer au rang d’état transitoire notre modeste condition humaine et la dépendance à ces planètes. Cette hypothèse part de l’idée que l’IA nous surpasserait dans de nombreux domaines. C’est vrai pour chaque spécialisation, il n’en demeure pas moins que nous nous sommes intelligents pour tout et pour rien, peut-être pour l’angoisse d’être mortels et de le savoir. D’ailleurs le savant n’a toujours pas répondu au paradoxe de Fermi: les machines extraterrestre ne nous ont pas contactés parce qu’elles n’ont pas l’essentiel ,la vie elle même cette plénitude qui nous submerge et dont le manque creuse des gouffres en nous, qui est notre aventure, ce qui doit advenir.

Il y a ceux qui imaginent un vaisseau spatial qui emporterait quelques échantillons et il y a ceux qui pensent que la terre est notre vaisseau spatial dans lequel nous faisons tous ensemble le voyage.

Combien sommes-nous, depuis le début, nous l’espèce, difficile à dire. Des scientifiques sont tout de même capables d’avancer une estimation. Selon eux, depuis l’apparition de l’homo sapiens moderne, environ 117 milliards d’humains sont nés, dont nous, les 8 milliards actuellement en vie sur Terre.Il y aurait donc eu environ 109 milliards d’humains avant nous. Cela représente 93,2 % de l’ensemble des personnes ayant vu le jour. Selon un autre point de vue, 6,8 % des humains qui sont nés sont actuellement en vie. Il y a bien dans cette foule des gens dont je ne saurais me passer et dont je ne cesserai de regretter de les avoir ratés…

Lord Martin Rees, 81 ans, cet astronome célébré, a résolu comme Asimov sa propre quête ultime: si la planète est foutue, et si je vais bientôt disparaitre pas la peine de pleurer, notre jolie planète bleue ne servira bientôt plus qu’aux robots dans lesquel on pourra installer notre cerveau comme une carte à puce pour assouvir notre immense curiosité . Effectivement ! Sans ce désir inséré, sans la vie elle-même, est-ce qu’il se trouvera des machines prêtes à tous les bricolages pour aller à la rencontre des autres? Et ce désir existera-t-il s’il n’est plus nourri de tout ce que la terre nous donne ?

je peux aller jusqu’à comprendre que la colère, la vengeance prenne la couleur de la haine, mais c’est comme cela que tout s’est pourri pour nous, nous que l’on dit être juifs, nous que l’on dit d’arrogants français, vous qui chantez comme des supporters avinés dans le métro votre antisémitisme, vous ressemblez déjà à ceux que vous croyez dénoncer .. Nous avons mal usé de notre droit à la justice en ne sachant que reproduire, encore et toujours le plagiat sans imagination…

Non, nous humains, sommes plus semblables aux énigmatiques sculptures temple d’Angkor Vat ou à celles indéchiffrables des ruines mayas qu’il faut sans cesse disputer à la jungle, mystérieux dans notre capacité à arracher la vie à la matière inerte, avec nos contradictions vers la liberté.

Les ruines qui s’accumulent au moyen Orient sous le fracas des bombes et la peur seront à nouveau la proie de la vie, avec le seul bruit des oiseaux et des enfants qui jouent, se déverseront cette eau et de cette lumière dont on prétend priver l’espèce.

Le plus tôt serait le mieux, il serait temps de trouver le moyen d’en finir avec la bande de tarés qui a décidé de nous entrainer vers la guerre, ceux qui pratiquent le deux poids, deux mesures et n’ont de capacité d’indignation que dans d’incroyables sélections de victimes… Est-ce qu’ils sont comme les complices des criminels, en train de tenter de s’accrocher aux navires en partance comme cela s’est passé au Vietnam, ou en Afghanistan ?.. Croient-ils pouvoir prendre place avec les commanditaires ? Aux côtés de dérisoires combien de fois milliardaires qui imaginent déjà pouvoir s’échapper dans des vaisseaux construits pour eux seuls: ils agissent ainsi essentiellement parce qu’ils sont dans un système qui n’en a jamais assez qu’on appelle le capitalisme autrement ils se rendraient compte qu’ils sont déjà foutus, qu’est-ce qui les empêche de voir à quel point leur peau de chagrin se retrécit? .Oui ils sont comme l’est l’intelligence artificielle un simple logiciel de plagiat, incapables de voir le nouveau.

Mais un jour ou l’autre tout va être recouvert de vie… elle va nous submerger, pourtant je ressemble étrangement à ma propre grand mère, une vieille femme, celle qui tira leçon de la première guerre mondiale, les bras de Maya qui me serrrent contre elle sont si forts que je vacille dans l’allée, un peu ivre comme on l’est à 85ans après avoir grimpé une côte et je pense à celles qui fuient…

La tombe est nettoyée mais on a laissé le pied du lilas d’Espagne, cette herbe folle qui demain refleurira en souhaitant que les touffes s’en multiplient et que l’on jette mes cendres par moitié ici et à proximité de la tombe de pascal qui se trouve à Aix en provence. En attendant je suis heureuse d’être là dans cette vie là le plus longtemps possible, minute après minute comme la bouche qui se désaltère dans la source si fraiche qu’elle vous scie les dents…

danielle Bleitrach

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5 Commentaires

  • Philippe, le belge
    Philippe, le belge

    A 85 ans, ton optimisme et ta joie de vivre font plaisir à voir. Puisse-tu réussir à les transmettre à Maya qui a bien grandi!

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  • Andeol
    Andeol

    Merci Danielle, ce texte est magnifique. Depuis tes cours de socio à la fac, combien de choses ai-je appris de toi ? Je suis l’un de ceux, si nombreux que tu ne peux t’en souvenir mais qui eux se souviennent de toi.

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    • admin5319
      admin5319

      si je te vois je te reconnais c’est sur, il m’arrive même de me souvenir de vos copies… vous mes étudiants avez été une part importante de ma vie…

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  • Pedrito
    Pedrito

    Magnifiques ces témoignages d anciens étudiants pour Danielle

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  • jay
    jay

    Oh Danielle quelles réflexions belles et sages ; juste pour dire aussi : 85 ans ne sont rien (et tout) dans le sein des saisons éternelles.

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