Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La Quatrième Internationale (officielle). Réflexions sur une dérive pro-impérialiste paradoxale

On connait depuis longtemps l’infiltration dans le PS, qui a toujours été majoritairement atlantiste, de quelques dirigeants célèbres comme Jospin ou Cambadelis, mais celle dans le PCF à partir de Robert Hue et même avant ne lui cède en rien et on attend le descriptif des responsabilités de l’exécutif pour voir si le nouveau titulaire du secteur international reste bien dans cette dérive pro-impérialiste. Ce n’est pas un hasard si la dite dérive part dès la Yougoslavie avec la liste “bouge l’Europe” et l’adhésion à l’intervention américaine avec des mensonges grossiers devenus défense des droits de l’homme contre le méchant dictateur. Que ce soit dans le PS où l’infiltration du courant lambertiste ou dans le PCF avec des courants comme ceux de Christian Piquet ou Vincent Boulet sans parler de l’adhésion de gens comme Guy Hermier une certaine vision du trotskysme décrite ici est devenue majoritaire et pèse de tout son poids pour l’alignement sur l’OTAN, alors même que le débat a lieu chez les trotskistes. Le résultat de cette prise en main de la gauche est qu’il n’y a même plus de débat d’idées mais l’alignement sur ce qui est devenu un consensus auquel on ne peut échapper puisqu’il est interdit d’aller contre et la censure générale fait le reste, ce qui fait que le mouvement en faveur de la paix est complètement bloqué.

07/05/2023

Par Dimitris Scarpalezos (*)

Par rapport aux conflits passés, la guerre en Ukraine est caractérisée en Europe par une adhésion majoritaire de la gauche même « radicale » au récit manichéen de la propagande du gouvernement américain sur la question !

Dans le reste du monde, cette position génère de l’incompréhension et de la déception.

Au premier plan de cette position pro-impérialiste, et avec un impact sur le sujet qui dépasse de loin son influence sur d’autres sujets, se trouve le courant politique qui a émergé de la Quatrième Internationale officielle. Ses positions ont joué un rôle extrêmement néfaste dans le positionnement idéologique paradoxal des gauches européennes dans la mesure où elles donnent un alibi de « radicalisme de gauche » à une vision manichéenne grotesquement éloignée de la réalité et poussent à l’envoi d’armes pour assurer l’escalade de la guerre jusqu’à ce que tous les objectifs de l’OTAN soient atteints, quitte à risquer un conflit nucléaire !

Ces positions sont d’autant plus surprenantes si l’on considère les positions prises par les mouvements trotskystes et par Trotsky lui-même dans le passé.

Trotsky avait toujours pris la position de défendre « l’État ouvrier bureaucratiquement dégénéré », qu’il disait être l’Union soviétique, contre les attaques des pays impérialistes et s’était toujours opposé à toutes les entreprises colonialistes et néocoloniales sans faire aucune concession aux arguments « humanitaires » ou moralistes. Il est resté fidèle à cette position jusqu’à son assassinat par les staliniens.

Après sa mort, sous la direction de Michel Raptis (Pablo), de 1943 à 1963, la IVe Internationale a activement soutenu tous les mouvements anticoloniaux et anti-impérialistes. L’implication de la IVe Internationale, sous Michel Pablo, dans la lutte de libération du peuple algérien a été extrêmement importante. La IVe Internationale a également soutenu, de tous ses moyens, les luttes de libération des colonies portugaises. (**)

Par la suite, la Quatrième Internationale et l’une de ses sections les plus actives, la Ligue communiste révolutionnaire en France, ont fortement soutenu la lutte du peuple vietnamien contre l’intervention américaine, ainsi que tous les mouvements et révolutions anti-impérialistes de cette période tels que la révolution sandiniste au Nicaragua contre une dictature sanglante soutenue par les États-Unis.

Depuis la chute de l’URSS, cependant, le courant entame une lente dérive de ses fondamentaux et ses « principes » eux-mêmes subissent une mutation paradoxale.

Par exemple, le « droit des peuples à l’autodétermination », qui a été mis en avant pour s’opposer à l’oppression ethnique si courante dans les formes politiques du pouvoir impérialiste à l’ère de la conquête du capitalisme, s’est transformé en un dogme et un totem idéologique qui permet de justifier n’importe quoi, sans préciser les limites ni les « peuples » en question !

Lorsque l’impérialisme a instrumentalisé tous les nationalismes pour briser tous les États multinationaux qui avaient connu une forme quelconque de « socialisme », la Quatrième Internationale a continué à annoncer ses « principes » et dans les géométries variables présentées par la propagande impérialiste !

Dans le cas de l’attaque occidentale pour briser la Yougoslavie, la Quatrième Internationale (officielle), qui dans le passé avait exprimé un intérêt pour l’expérience d’une fédération qui défendait les droits des minorités mieux que tout autre pays dans le monde, est passée à une position de quasi-collaboration avec les entreprises de démantèlement et de marche vers la guerre civile, se réfugieant dans de fausses références au « droit des peuples à l’autodétermination » et à une série de « ni l’un ni l’autre… ni » pour éviter de condamner ces efforts !

Elle a commencé, au nom du « droit des peuples à l’autodétermination », à montrer sa « compréhension » pour toutes les initiatives séparatistes, sans préciser ce que signifiait ce slogan, quel « peuple » voulait « l’autodétermination », jusqu’où cela s’étendait et ce que cela signifiait pour les minorités au sein des républiques fédérées. (Cette fétichisation du droit à l’autodétermination avait poussé certains militants d’extrême gauche au point de soutenir, dans la guerre civile nigériane, le séparatisme biafrais, qui n’exprimait rien d’autre que le désir de certaines multinationales pétrolières d’avoir leur propre prairie dans le pays et de ne partager les bénéfices qu’avec une petite élite locale !)

Les sentiments de culpabilité d’une ancienne puissance coloniale qui avait colonisé les peuples musulmans les avaient conduits à considérer les Musulmans de Bosnie comme un peuple opprimé méritant « l’indépendance » (dans une république dont ils représentaient environ 40% de la population totale, oubliant en même temps que la formation de cette « nationalité » était le résultat de conversions pendant la période ottomane à la religion de l’occupant).

Il en va de même pour la Croatie, influencée par les nationalistes allemands et oustachis, collaborateurs génocidaires des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, dont le « droit à la séparation » est défendu comme principe de base, oubliant que des régions entières du pays, comme la Krajina, ont une majorité serbe, dont le « droit à l’autodétermination » est ainsi bafoué.

Enfin, dans le cas du Kosovo, qui jouissait déjà d’un statut d’autonomie (refusé au Donbass russophone), le droit à « l’autodétermination » devait être un droit sacré à la séparation, tandis que les droits de la minorité serbe étaient passés par pertes et profits ! Sur la base de la propagande officielle, le nationalisme serbe dont Milošević était accusé était beaucoup plus condamné par la IVe Internationale que les nationalismes croates pleins d’oustachis nostalgiques, de collaborateurs génocidaires des occupants nazis, ou les islamistes bosniaques, déjà défendus par les « internationalistes islamiques » du type d’Al Kaida. Le résultat a été une réaction de « ni (Milošević) ni (OTAN) », ce qui, pour les militants de gauche dans un pays qui faisait partie des agresseurs et ceux qui ont bombardé, revenait à décourager toute réaction pacifiste. Si certains ont exprimé leur opposition au bombardement de l’OTAN sans l’accompagner d’une attaque virulente contre « Milošević », ils ont été soupçonnés soit de solidarité avec les « dictateurs », soit de « nationalisme orthodoxe » s’ils venaient de pays orthodoxes !

La dérive s’est poursuivie tout au long du nouveau siècle avec une position plus qu’ambiguë dans toutes les interventions de l’impérialisme américain avec le fameux « ni Bush ni Sadam » oubliant que ce n’était pas Sadam qui bombardait les pays de l’OTAN, mais eux qui attaquaient et bombardaient l’Irak, ses infrastructures et sa population, le tout sous le faux prétexte d’« armes de destruction massive ». 

Lorsque les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ont attaqué et bombardé la Libye, soi-disant pour protéger quelques milliers d’opposants de Bengazi du « génocide », la Quatrième Internationale a répété sa position « ni ni », afin de ne pas apparaître comme complice d’un dictateur.

Malgré l’éducation « marxiste » de leurs dirigeants, ils ont oublié tous les avertissements des penseurs marxistes du passé sur les prétextes humanitaires utilisés par l’impérialisme colonial (occuper l’Afrique pour combattre le féodalisme et l’esclavage, etc.).

L’adhésion à l’image virtuelle de la réalité concoctée par les médias a depuis été assez systématique et a conduit à des réactions anémiques aux attaques des gouvernements occidentaux contre les mouvements progressistes en Amérique latine.

Le « changement de camp » complet a atteint son paroxysme avec la crise en Ukraine. Depuis les événements du Maïdan, ne voyant que l’enthousiasme « démocratique » de la jeunesse de Kiev (et ignorant les néonazis déjà à l’œuvre et les milliards investis par les Américains pour le succès de l’opération, comme s’en vantait elle-même la vice-ministre américaine Victoria Nuland), ils y voyaient une révolution populaire contre une classe oligarchique corrompue, alors qu’il ne s’agissait que de la contre-attaque de l’oligarchie nationaliste pro-occidentale contre une partie de l’oligarchie qui, tout en étant aussi corrompue que son adversaire, ne voulait pas mettre en danger la cohabitation des différentes composantes ethniques du pays. Ils faisaient entièrement confiance au récit préparé pour eux par de petits groupes de « nationaux-gauchistes » qui ne semblaient pas choqués par la glorification de Bandera et d’autres collaborateurs génocidaires des nazis, ni par la délégalisation de la langue russe même dans les régions où elle était parlée par la majorité, comme le Donbass, ni par la répression, les massacres et les exactions des hommes forts néonazis.

Dans leur « théologie », le « droit des peuples à l’autodétermination » ne signifiait que le droit de la majorité nationaliste au sein de la majorité ukrainophone de disposer du pays dans son intégralité et d’imposer un principe plutôt fasciste « un peuple, une langue et un dirigeant ».

Le massacre, perpétré par les néonazis à Odessa, d’une cinquantaine de manifestants de gauche anti-Maïdan, les assassinats de dizaines d’opposants avec la complicité des autorités, les « décommunisations » et autres mesures antidémocratiques n’étaient, à leurs yeux, que l’expression, quoique parfois regrettable, de l’exercice de ce droit !

Quant à la marche vers l’OTAN, qui fut l’une des principales raisons de la marche vers la guerre civile puis vers la guerre tout court, le silence radio au nom de grands principes (bref, pour l’une des rares fois où un « ni ni » aurait été prudent et plus conforme à la morale de la gauche radicale, depuis la première guerre mondiale avec Rosa Luxemburg et Jaurès, ils sont devenus les plus ardents défenseurs du soutien militaire aux gouvernements ukrainiens afin que la guerre se poursuive jusqu’à ce que les principaux objectifs de « l’Occident » soient atteints, c’est-à-dire un affaiblissement ou un démantèlement de la Russie (comme le voulait Brezinski dans ses réflexions sur les objectifs intermédiaires souhaitables pour parvenir à la domination mondiale des États-Unis).

Ces « ex-écologistes » qui voulaient un écosocialisme qui réduirait les émissions de gaz à effet de serre soutenaient des sanctions contre le gaz russe afin d’importer du gaz de schiste deux fois plus polluant. Ces ex-antifascistes trouvent maintenant les néo-nazis d’Azov très patriotiques et présentables, sont ravis de l’héroïsme des « gauchistes nationaux » qui vont se battre sous leurs ordres dans le Donbass et soutenir les livraisons massives d’armes, dont les meilleures finiront entre les mains des plus motivés des forces armées ukrainiennes, c’est-à-dire les « héros d’AZOV » néonazis. Ils ne se rendent pas compte qu’ils poussent au sacrifice de centaines de milliers de jeunes ukrainiens et russes pour la réalisation des objectifs des néoconservateurs américains, bien décrits dans les livres de leur principal penseur, le conseiller des présidents américains, Brezisnski.

Ils semblent inconscients des risques de glissement vers le conflit nucléaire qu’entraîne cette politique de refus de tout compromis et de tout armistice !

Pire encore, cela se fait la conscience tranquille et a conquis l’esprit d’un certain nombre d’intellectuels dont les motivations restent nobles et « révolutionnaires » !

Une fois de plus « la route de l’enfer est pavée des meilleures intentions » (même « révolutionnaires » !)

Notes :

Cet article examine la position du « Secrétariat unifié » de la 4ième Internationale, pas de toutes les organisations trotskistes. Il y a des organisations comme les « lambertistes » en France ou le WSWS aux États-Unis qui ont adopté une position anti-OTAN, anti-impérialiste.

(*) Maître de conférences (retr.) en mathématiques à l’Université Paris Diderot (P7)

(**) Il convient de noter ici que Michel Raptis (Pablo) a considéré le déraillement, la dégénérescence de la réforme soviétique vers une direction d’extrême droite, vers la restauration du capitalisme en URSS, l’intégration complète et inconditionnelle de l’espace soviétique dans l’Occident capitaliste et la dissolution de l’Union soviétique, dont la création a été la réalisation la plus importante du mouvement ouvrier mondial, d’être désastreux pour l’URSS elle-même et pour le monde entier. Pablo a consacré les dernières années de sa vie (il est mort en 1996) à la lutte contre le « nouvel ordre mondial » américain et les sanctions contre la Serbie, l’Irak, la Libye et Cuba, organisant deux grandes conférences internationales et un mouvement de solidarité avec le peuple irakien. Il a également organisé une conférence internationale pour la défense de Lénine en 1990.

Traduit de l’anglais par Christos Marsellos

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2 Commentaires

  • Les Eparges
    Les Eparges

    Merci pour cet article .
    Merci pour ces rappels …!
    Peut être que si les voix de gauche dans notre pays se sont tues il y a longtemps , c’est aussi lié aux courants trotskistes triomphants depuis … les années 65 …?
    Ah ces mouvements trotskistes , la littérature trotskistes des années post 68 ….!
    (écrasants les militants et les sympathisants , réformateurs, recherchant l’expression d’une vraie gauche , avec les injures assassines et récurrentes de “staliniens”!)
    Laissant les populations effrayées et soumises à des caricatures de gauche ….
    Quel gâchis !
    C’était la guerre froide, le triomphe de l’occident , de la vulgarité et de l’accumulation des capitaux par des particuliers et des multinationales , avant la destruction industrielle de nos pays ….!

    Répondre
  • karlmarxou
    karlmarxou

    https://youtu.be/j5ARe8CPPGU la video d’un jeune groupe de communistes pour rendre hommage aux morts d’odessa sur la page you tube du PRCF

    Répondre

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