Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Pasolini : des oiseaux petits et gros… et des intellectuels de gauche pour le dépassement de la lutte des classes…

Totò et son fils Ninetto errent dans la périphérie et les campagnes qui entourent Rome. Chemin faisant, ils rencontrent un corbeau. Le corbeau leur raconte l’histoire de frère Ciccillo et de frère Ninetto (eux aussi interprétés par Totò et Ninetto Davoli), deux moines franciscains à qui Saint François d’Assise ordonne d’évangéliser les faucons (les puissants) et les passereaux (les humbles).

Si les deux moines réussissent à évangéliser les deux « classes » d’oiseaux, ils échouent à mettre fin à leur rivalité, les faucons continuant à tuer les passereaux : Saint François leur explique la guerre dans une perspective marxiste et les invite à reprendre leur évangélisation.

La parenthèse du récit du corbeau étant refermée, le voyage de Totò et Ninetto continue. Le corbeau les suit en continuant à pérorer. Les personnages rencontrent successivement des propriétaires terriens dans le champ desquels ils se soulagent et qui les chassent à coup de fusil, une famille vivant dans la misère et à qui Totò ordonne de le payer ou de quitter la maison, un groupe d’acteurs itinérants à bord d’une Cadillac, un congrès de « dentistes dantesques », un propriétaire à qui, cette fois, c’est au tour de Totò de devoir de l’argent. Enfin, ils se retrouvent aux funérailles du dirigeant communiste Togliatti et finalement rencontrent une prostituée.

À la fin du film, les deux, fatigués du bavardage du corbeau, le tuent et le mangent.
Le film précise dans un sous-titre : « Pour qui aurait des doutes ou aurait été distrait, nous rappelons que le corbeau est un intellectuel de gauche, disons ainsi, d’avant la mort de Palmiro Togliatti. » Nous il s’agirait d’avant la mort de l’autre grand T à savoir Maurice Thorez et l’invention de l’eurocommunisme…

Le corbeau qui invite à la réconciliation de classe serait donc l’intellectuel de gauche ? Oui pour un temps et celui-ci est déjà derrière nous, après c’est l’exaltation des réactionnaires en état de désespoir, la gauche sert encore à amplifier les batailles médiatiques, le harcèlement contre ceux que l’on veut mater, ceux qui tentent de résister à l’empire et dont on découvre les turpitudes… Il ne subsiste pas réellement d’intellectuels, de pensée critique, d’engagement aux côtés de la “classe ouvrière” et où le rôle est désormais assumé par des Onfray, des BHL et autres éditorialistes, même si dans la foulée de ce temps des illusions il y a la poursuite du croassement en faveur du dépassement de la lutte des classes ou l’affirmation dans la foulée des temps jadis l’idée de que le communisme étant déjà là point n’est besoin de socialisme, ou d’étapisme… C’est-à-dire d’une démocratie prolétarienne, le socialisme, qui aurait le mauvais goût d’interdire aux faucons de tuer les passereaux… A la gauche a succédé un conformisme avec de grands bavardages indignés sur les thèmes médiatiques de l’heure qui sont le complément indispensable des mises en jugement de ceux qu’il faut destituer ou simplement assouplir… Par parenthèse, mon interlocuteur qui accusait le PCF de tous les maux face à l’homosexualité m’a aussi déclaré dans la foulée que Pasolini avait été exclu du PCI pour homosexualité, ce qui est vraiment nier la dimension politique de la relation entre Pasolini et le PCI, un appui incontestable à la position dominante médiatique de ceux qui ont fait de son assassinat une simple affaire de mœurs. C’est bien digne de notre époque et de sa réduction du politique au sociétal pour mieux tenter d’étouffer la violence de classe par l’anecdotique et le fait divers. A contrario de Pasolini, l’écrivain comme le cinéaste.

Dans un tel contexte de négation de la lutte des classe et de l’impérialisme, pour enrôler certaines consciences toujours en état de révolte sans grand danger et qui à l’inverse d’Assange ne termineront pas dans quelques culs de basse fosse, il suffit de pratiquer le chantage à la notoriété, contrôler les médias, l’édition, les festivals et tout ce qui assure la promotion du travail artistique, pour obtenir de la souplesse de l’échine, les intellectuels, les artistes sont comme les autres ils ont besoin de vivre. Mais la vanité, le conformisme engendrent la médiocrité, il suffit de se prendre pour un intellectuel et avoir ce sens du confort qui caractérise tout être humain qui a renoncé à se battre, ce qui débouche inévitablement sur de petits arrangements avec sa conscience, la cécité, voire l’interdiction pure et simple partout où on s’est fait un nid douillet, il est aisé alors de hurler avec les loups, de même croasser après ceux qui risquent de perturber ce confort moral et le plus souvent matériel, le corbeau n’est pas seul, il agit en bande, cultive la mentalité de groupe, l’autovalorisation. Il y a même des cohabitations douillettes entre l’intellectuel de gauche, ses indignations et son alter ego, le fasciste qui vient parler au nom du populo… L’intellectuel organique n’est déjà plus l’intellectuel de gauche, il n’est plus que le faire valoir d’Hanouna … Ce que Pasolini disait être le nouveau fascisme qui n’avait même plus besoin de transcendance héroïque.

Pasolini affirme avoir choisi Totò comme protagoniste du film, alors même qu’il ne le connaissait pas personnellement, car il estimait que son masque représentait de manière exemplaire les deux caractères typiques des personnages de contes de fées : l’extravagance et l’humanité. Ce jugement s’est confirmé par la suite, lorsque les deux hommes ont commencé à travailler ensemble. Quand l’exigence d’humanité, le refus de la guerre et de l’exploitation devient une extravagance, nul mieux qu’un vieux clown clochard peut dénoncer les pitres mussoliniens qui occupent le pouvoir et les corbeaux qui veulent crever les yeux des pauvres en les espérant déjà morts…

Totò nait à Naples sous le nom d’Antonio Clemente : il est le fils illégitime d’un aristocrate, le marquis Giuseppe De Curtis, et d’Anna Clemente. Antonio grandit dans un milieu défavorisé et il y est surnommé Toto. Après diverses reconnaissances paternelles, il se fait légalement adopter par un aristocrate, le marquis Francesco Maria Gagliardi Focas, ce qui lui permet ensuite, alors qu’il a grandi dans la pauvreté, de porter à l’état-civil le nom complet de Antonio Griffo Focas Flavio Angelo Ducas Comneno Porfirogenito Gagliardi De Curtis di Bisanzio. Il peut ainsi faire reconnaître une impressionnante série de titres de noblesse, hérités de son père adoptif, parmi lesquels prince, comte palatin, duc de Macédoine, exarque de Ravenne et chevalier du Saint-Empire, tout en demeurant Toto, une sorte de parodie digne du théâtre napolitain et de la comedia del arte. Il commence sa carrière avec des numéros d’improvisation et d’imitations dans des petits théâtres de Naples. Après être parti pour Rome vers 1922, il gagne en notoriété et en 1930 il possède sa propre compagnie de théâtre et part en tournée en Italie pour diverses revues (riviste), toutes chaleureusement accueillies du public. En 1933, alors qu’il est déjà un acteur reconnu au théâtre, où il est parfois le partenaire d’Anna Magnani. Aveugle de l’œil gauche depuis 1938 à la suite d’un décollement de rétine, Totò est victime en 1957 d’une maladie de l’œil droit. Il reste aveugle durant un an, puis récupère partiellement la vue, ce qui lui permet de recommencer à travailler. Du fait de ses problèmes de vision, il doit renoncer définitivement au théâtre, mais tourne pour le cinéma jusqu’à la fin de sa vie. A titre d’anecdote, dans le film le corbeau apprivoisé s’obstinait à vouloir lui crever les yeux. À la fin de sa vie, il tourne à trois reprises avec Pier Paolo Pasolini. La première de leurs collaborations, Des oiseaux, petits et gros (Uccellacci e uccellini), vaut à Totò une mention spéciale au Festival de Cannes 1966. Totò est mort d’une crise cardiaque, le 15 avril 1967, à Rome, à l’âge de 69 ans.

Le réalisateur a mis en scène dans le même film des acteurs choisis dans la rue et sans expérience de jeu et des monstres sacrés du cinéma comme Totò, dans la conviction que certains personnages nécessitaient des interprétations radicales : la brutalité ou la légèreté naturelle de l’amateur et le cadre et l’expérience de l’acteur professionnel. Ce qui est une innovation sera repris dans d’autres films non seulement de Pasolini mais de tout un courant du cinéma qui se débat avec le “réalisme”, voire avec un marxisme radical comme Straub et Huilliet. Totò a défini Pasolini comme un homme intelligent et imaginatif, avec une méthode de mise en scène différente de celle à laquelle le comédien était habitué. Totò, grand improvisateur sur le plateau et habitué à avoir toujours carte blanche, a été au contraire contraint dans ce film à respecter ponctuellement les lignes du scénario et les instructions du réalisateur.

Pier Paolo Pasolini a déclaré à propos du film :

« Des oiseaux, petits et gros est le film que j’ai aimé et que je continue d’aimer le plus, d’abord parce que, comme je l’ai dit à sa sortie, c’est “le plus pauvre et le plus beau” et ensuite parce que c’est le seul de mes films qui n’a pas déçu les attentes. Collaborer avec lui [avec Totò] “tout droit sorti de ces films horribles qu’une intelligentsia stupide redécouvre aujourd’hui” a été très agréable : c’était un homme bon, sans agressivité, de bonne pâte. Je tiens également à rappeler qu’en plus d’être un film avec Totò, Des oiseaux, petits et gros est aussi un film avec Ninetto, un acteur de force, qui a commencé sa joyeuse carrière avec ce film. J’ai vraiment aimé les deux personnages principaux, Totò, une riche statue de cire, et Ninetto. Les difficultés n’ont pas manqué lors du tournage. Mais au milieu de tant de difficultés, j’ai eu la joie de mettre en scène Totò et Ninetto : un stradivario et un zuffoletto. Quel beau petit concert. »

— Pier Paolo Pasolini

Oui ce film est un aussi un beau petit concert et pour moi qui à l’époque était une fanatique de Messiaen (1) mais aussi de Hanns Eisler, des musiques de Brecht, une synthèse pleine de moquerie.

Générique d’ouverture
L’idée de faire chanter le générique du film était insolite. En effet, du titre du film aux noms des acteurs, du réalisateur, du monteur, de l’architecte, du photographe, etc., tous les noms sont annoncés en chanson par Domenico Modugno, donnant aux titres eux-mêmes un effet évocateur. La bande originale du film est sortie sur CD, intitulée Uccellacci e uccellini, composée par Ennio Morricone et publiée par GDM Music7,8. Une partie de la bande originale consiste en des arrangements du duo Bei Männern, welche Liebe fühlen de La Flûte enchantée de Mozart.

(1)Ence moment, je dois dire que ce seraient moins les oeuvres sur les oiseaux que j’aime toujours autant mais la musique du Quatuor pour la fin du temps  qui me semblerait d’actualité

Print Friendly, PDF & Email

Vues : 180

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.