Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Quelques rapppels historiques pour comprendre ce qui se joue à travers la guerre en Ukraine : le rôle de l’Allemagne

L’essentiel est bien sûr aujourd’hui d’avoir conscience du rôle joué dans la guerre en Ukraine de l’avancée de l’OTAN et la manière dont les USA, l’UE et l’OTAN ont fait de l’Ukraine un bastion chauvin et russophobe, en espérant encore aujourd’hui poursuivre le démantèlement de la fédération de Russie, entamée en 1991 sur l’URSS. Et sur ce point, en dehors de quelques libéraux qui comme Navalny ont déjà témoigné de leur liens étroits avec l’Occident, l’Allemagne en particulier qui partout a acheté, fait agir ses fondations, la totalité des forces politiques russes au premier rang desquels les communistes dénoncent cette volonté de l’OTAN. Le débat porte sur la manière dont la résistance nécessaire a mal été préparée. Les communistes accusent le parti du président Poutine et lui (relativement ménagé néanmoins) d’avoir perdu du temps, d’avoir cru dans l’application des accords de Minsk et de s’être fait berner par l’Allemagne, la France qui en étaient les garants et qui n’ont cherché qu’à donner du temps pour que l’OTAN forme l’armée ukrainienne, devenue armée de fait de l’OTAN. Poutine vient d’ailleurs de reprendre cette analyse et madame Merkel ancienne chancelière allemande, qui a officié entre 2005 et 2021, s’est exprimée dans le journal die Zeit concernant la guerre entre les deux pays voisins avant d’expliquer l’utilité des accords de Minsk qui selon son propre aveu ont laissé le temps nécessaire à l’Ukraine pour être formée par l’OTAN avec donc la complicité française. Les communistes russes affirment que seul le retour à l’URSS pourra protéger le pays. En fait, les références historiques sont au cœur des débats et nous allons tenter de les éclairer (1).
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Il faut aussi percevoir comment se joue la mémoire historique de l’empire tsariste à l’URSS. Et il faudrait y inclure la manière dont Lénine a conçu la question nationale au sein de l’URSS (2). Sur ce plan, il faut également consulter Staline qui a produit les textes de référence. Nous avons vu dans un texte précédent le rôle joué par le dialogue russo-allemand dans le traité de Gènes et la manière dont l’URSS qui a dû faire face à la guerre civile, menée par les Russes blancs et une partie des cosaque ukrainiens, alors que l’autre se rallie au pouvoir soviétique, mais aussi toutes les puissances européennes, les vaincus allemands et austro-hongrois, mais les vainqueurs, 14 nations dont la France (de Gaulle, adjoint de Pétain est chargé de mener l’assaut depuis la Pologne) sont aux côtés des Russes blancs. Par sa diplomatie, l’URSS arrive à signer une paix séparée avec les Allemands, puis à diviser les Anglais et les Français qui avec leur occupation de la Ruhr sont les dindons de la farce.

Nous allons voir sur plusieurs jours, diverses épisodes concernant la seule URSS en sachant que les peuples de la fédération de Russie sont tout à fait familiers avec ces épisodes, l’histoire continuant aujourd’hui à jouir dans l’enseignement, dans la recherche, dans la presse d’un grand intérêt sans équivalent malheureusement chez nous en France. L’Allemagne ne renonce jamais à envahir les terres slaves sous différentes formes mais elle a aussi un dialogue singulier avec l’URSS, c’est un peu ce qu’a joué Merkel au profit de l’OTAN mais surtout des intérêts allemands, avec des contradictions secondaires entre Allemagne et USA. La bourgeoisie française après des velléités de souveraineté s’aligne, mais il a existé à partir de 1918 alors un parti communiste qui relève le drapeau de la nation sur la base de la paix et de la justice sociale, il existe des Jacques Duclos, Marcel Cachin, Ambroise Croizat et Gabriel Péri, avec enfin Maurice Thorez, ce qui manque aujourd’hui cruellement, bien qu’il y ait au plan interne des tentatives de renouer avec les couches populaires, la classe ouvrière, il reste beaucoup de séquelles, tant dans la “désorganisation” des communistes, leur absence de formation que ce qui va avec leur connaissance de l’histoire et du monde tel qu’il est en train de se transformer, et aucune autre force n’a pu le remplacer dans ces rôles. (3).

La question de savoir qui a tronqué nos mémoires se pose plus que jamais, puisqu’aujourd’hui on voit un président croate, digne héritiers des fascistes pro-allemands qui ont conduit la Croatie à toutes les collaborations comparer toute négociations de l’Europe avec la Russie aux complaisances de l’Europe avec les nazis. le livre que vient de publier Delga sur David Glantz nous donne quelques clés de cette appropriation de la deuxième guerre mondiale par une armée allemande qui n’a jamais dénazifié malgré ses proclamations.

La paix de Brest-Litovsk avec les Allemands et les austro-hongrois le 3 mars 1918

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Nous avons du mal à percevoir sur quelle épaisseur historique, les peuples pensent une situation.
L’affaire ukrainienne a de multiples résonances dans la mémoire russe. Commençons par la paix de Brest-Litovsk signée séparément par le pouvoir soviétique avec les alliés allemands et austro-hongrois (3 mars 1918). C’est à elle que Poutine fait aussi référence quand il dit que c’est Lénine qui a accepté la création artificielle de l’Ukraine et il ajoute il ne pouvait pas faire autrement. Ce qui est la stricte vérité.(3)

Aux yeux de Lénine il était impossible d’assurer le gouvernement soviétique tant que la guerre ne serait pas terminée. Les soldats n’en voulaient plus, ils abandonnaient le front et rentraient chez eux. Il propose donc qu’on ouvre les négociations. Les Alliés ne répondent pas, Clemenceau se contente de dire qu’il ne reconnait pas le pouvoir ni des soviets, ni des commissaires des peuples. Le 26 novembre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie acceptent l’ouverture des négociations qui sont menées par Trotski, commissaire aux affaires étrangères. Les soviétiques tentent d’y inclure les alliés en vain, la France est particulièrement hostile.

Le 15 décembre, l’armistice est conclue pour un mois à Brest-Litovsk et les négociations commencent le 20. les Bulgares et les Turcs sont également présents. Les bolcheviques veulent négocier une paix sans annexions ni indemnités. Les Austro-hongrois en acceptent le principe mais mettent “sous leur protection la partie de la Pologne qui faisait partie de l’empire des tsars (la Courlande et la Lituanie). Les pourparlers traînent en longueur à partir du 7 janvier pour deux raisons :
1) une crise grave divise les Bolchéviques
2) les Allemands ont les yeux tournés vers l’Ukraine

1) la crise qui divise les Bolchéviques :
Trois thèses s’affrontent.
a) Lénine se prononce pour la paix: l’essentiel est de sauvegarder et de renforcer le gouvernement soviétique. “Il faut avoir les mains libres pour vaincre la bourgeoisie de son propre pays”. On ne peut pas jouer la révolution russe sur l’espoir d’une révolution allemande survenant dans le courant de quelques semaines.
b) Boukharine et les communistes dits de gauche se prononcent pour la guerre révolutionnaire.
c) Trotsky que soutiennent les socialistes-révolutionnaires de gauche adopte une position intermédiaire : ni la guerre, ni la paix et on démobilise l’armée. Ce sera un des conflits graves qui l’opposeront à Lénine avec la NEP et “le rôle des syndicats”. A la suite de cette négociation ratée, il doit abandonner le poste de commissaire aux affaires étrangères mais lui est confiée la réorganisation de l’armée avec d’autres.

2) Le problème ukrainien
Dès juin 1917, une rada (assemblée nationale ukrainienne) s’est tenue à Kiev. Composée de mencheviks et de SR, elle refuse de reconnaitre le gouvernement soviétique et fonde une république indépendante. Elle a le soutien des alliés comme des Allemands et Austro-hongrois. Mais elle n’a pas l’adhésion de l’ensemble des Ukrainiens, en particulier, un gouvernement s’est formé à Kharkov à l’est, deuxième ville du pays qui se rallie aux bolchéviks et fait appel aux troupes rouges, lesquelles pénètrent en Ukraine. Les Allemands et Austro-Hongrois signent le 9 février un traité avec la rada et lui abandonnent l’ouest, le pays de Cholm, en Pologne occupée. L’Ukraine accepte de les ravitailler. Le document n’a aucune efficacité puisque le jour même où il est signé les bolcheviks entraient dans Kiev.

C’est une phase nouvelle des négociations puisque comme Lénine l’avait prévu, les Allemands adressent un ultimatum à la délégation. Trotski le repousse et aussitôt ils attaquent les troupes bolcheviques dès le 18 février. Aucune résistance ne semble possible, la vieille armée tsariste est totalement désorganisée et la nouvelle armée n’est pas encore constituée. La crise s’aggrave entre Lénine, Trotski et Boukharine.

L’évolution des événements a donné raison à Lénine qui l’emporte au sein du Comité central, qui, à une voix de majorité, accepte d’envoyer un télégramme de paix immédiate. Les Allemands font attendre la réponse quatre jours terribles pendant lesquels les armées allemandes progressent, les Bolcheviks tentent en vain d’organiser la résistance, ils prennent contact avec la mission militaire française. Petrograd est menacée.
Il y a un sursaut le 23 février (la date n’est pas indifférente- cet anniversaire sera célébré chaque année par la fête de l’armée rouge), les premiers détachements révolutionnaires arrêtent les Allemands autour de Narva et Pskov). Ce même jour, les Allemands font connaitre leurs conditions. Elles sont encore plus dures que celles que Trotski a repoussées. Lénine demande leur acceptation ou il démissionnera.

La paix est signée à Brest-Litovsk le 3 mars 1918, les soviétiques abandonnent la Pologne, la Lituanie, la Courlande, la Livonie, l’Estonie. Leurs troupes doivent évacuer l’Ukraine et la Finlande.

Le 7 mars 1918, le VIIe congrès du parti communiste (bolchevik) de Russie se rallie aux thèses de Lénine. Le traité est dur, humiliant, mais l’essentiel est sauvé qui est le pouvoir des soviets: “Apprenez l’Art militaire, dit Lénine, disciplinez-vous; rétablissez l’ordre dans les chemins de fer, il faut créer l’ordre, il faut créer l’énergie, la puissance qui formeront tout ce qu’il y a de meilleur dans la révolution”. Il annonce que des temps nouveaux seront alors possibles, et que “peut-être nous lancerons notre armée à la rencontre des troupes ennemies quand le redressement qui murit dans l’âme du peuple sera accompli”.
Le 12 mars, le gouvernement, redoutant malgré la paix, un retour offensif des Allemands, s’installe à Moscou qui retrouve son prestige de ville capitale perdu au temps de Pierre le grand.
C’est essentiellement pour obtenir un répit que le pouvoir des Soviets avait accepté, selon Lénine, la paix de Brest-Litovsk. Il fallait désormais et sans délai mettre la trêve à profit. (Pravda du 21 février 1918 et rapport du VII congrès du PCR)

Le 29 avril, Lénine affirmera: “Nous les Bolcheviks, nous avons convaincu la Russie, nous l’avons conquise, maintenant il faut la gouverner”.

(1) Les éditions Delga viennent de faire paraître un livre qui présente les travaux de David Glantz, un écrivain militaire, qui n’a jusqu’ici jamais été traduit en français et sur lequel nous reviendrons. On découvre que la quasi totalité des sources exploitées en occident on été seulement des sources allemandes, les sources militaires russes ont été systématiquement écartées. On voit que la présentation de ce qui se passe en Ukraine par nos pseudos spécialistes des plateaux de télévision relève d’une certaine tradition. Évidemment la tendance s’est aggravée avec le ralliement du PCF à ces mêmes thèses et sources. J’ai heureusement dans ma bibliothèque quelques titres et ouvrages anciens épuisés qui appartiennent au temps où le parti communiste, ses historiens avait encore quelque crédibilité en la matière.

(2) Il faut en particulier relire la résolution sur la question nationale dans l’œuvre de Lénine (tome 24 P.305 édition française). C’est un texte fondamental et complexe, très court (2 pages) mais très dense.

(3) voir article : L’histoire sert à se repérer dans le présent, réflexions sur l’opportunisme des milieux dirigeants de la classe ouvrière, par Danielle Bleitrach | Histoire et société (histoireetsociete.com)

(3) Ce résumé dans ses grandes lignes est emprunté à l’excellente histoire de l’URSS de Jean Bruhat publiée dans la collection que sais-je en 1945.

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2 Commentaires

  • Daniel Arias
    Daniel Arias

    Lénine œuvres tome 24

    https://www.marxists.org/francais/lenin/oeuvres/vol_24.htm

    Résolution sur la question nationale:

    https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/05/vil19170516.htm

    Il y a également un texte de 1913 sur la même question
    Thèse sur la question nationale :

    https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1913/06/vil19130600.htm

    4. Le fait que la social-démocratie reconnaît le droit de toutes les nationalités à la libre disposition, ne signifie nullement qu’elle renonce à porter son propre jugement sur l’opportunité pour telle ou telle nation, dans chaque cas particulier, de se séparer en un Etat distinct. Au contraire, les social-démocrates doivent porter un jugement qui leur appartienne en propre, en tenant compte aussi bien des conditions du développement du capitalisme et de l’oppression des prolétaires des diverses nations par la bourgeoisie de toutes nationalités réunie, que des objectifs d’ensemble de la démocratie, et au tout premier chef, des intérêts de la lutte de classe du prolétariat pour le socialisme.

    De ce point de vue, le fait suivant mérite tout particulièrement d’être pris en considération. Il existe en Russie deux nations que toute une série de conditions, liées à l’histoire et au genre de vie, ont rendues plus civilisées et plus individualisées que les autres ; elles pourraient mettre en pratique, de la façon la plus aisée et la plus «naturelle» que soit, leur droit à la séparation. Ce sont la Finlande et la Pologne. L’expérience de la révolution de 1905 a montré que, même dans ces deux nations, les classes dominantes, grands propriétaires et bourgeoisie, renient la lutte révolutionnaire pour la liberté et cherchent à se rapprocher des classes dominantes de Russie et de la monarchie tsariste, par peur du prolétariat révolutionnaire de Finlande et de Pologne.

    C’est pourquoi la social-démocratie doit mettre en garde avec la plus grande énergie le prolétariat et les classes laborieuses de toutes nationalités, contre les mots d’ordre nationalistes à l’aide desquels «leur» bourgeoisie ne fait que les tromper ; avec ses discours douceâtres ou fougueux sur la «patrie», elle s’efforce de diviser le prolétariat et de détourner son attention de ses agissements à elle, la bourgeoisie, et de l’alliance à la fois politique et économique qui l’unit à la bourgeoisie des autres nations et à la monarchie tsariste.

    Le prolétariat ne peut ni mener la lutte pour le socialisme, ni défendre ses intérêts économiques quotidiens, sans l’union la plus étroite et la plus complète entre les ouvriers de toutes les nations au sein de toutes les organisations ouvrières sans exception.

    Le prolétariat ne peut pas conquérir la liberté autrement qu’en menant la lutte révolutionnaire pour le renversement de la monarchie tsariste et son remplacement par une république démocratique. La monarchie tsariste exclut la liberté et l’égalité en droits des nationalités ; de plus, elle est le principal rempart de la barbarie, de la brutalité et de la réaction, en Asie comme en Europe. Et la seule force capable de renverser cette monarchie, c’est le prolétariat uni de toutes les nations de Russie qui entraîne, parmi les masses laborieuses de toutes les nations, les éléments démocratiques conséquents et aptes à la lutte révolutionnaire.

    C’est pourquoi l’ouvrier qui place l’union politique avec la bourgeoisie de «sa» nation au-dessus de l’unité complète avec les prolétaires de toutes les nations agit contre son propre intérêt, contre l’intérêt du socialisme et contre l’intérêt de la démocratie.

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  • rony mondestin
    rony mondestin

    je suis enclin a “redefinie la guerre qui s”etait deroulee en Russie bolchevique de 1919 a1922. apres une minutieuse relecture des documents de lépoque.
    Je pense que c’était une guerre imperialiste contre la jeune revolution accommodee en guerre civile. L”ampleur, la diversite ,les points de conquete, des forces ” expeditionnaires “,( denomination assumee par eux memes) de Vladivostok a Mourmansk, indiquent LA VRAIE NATURE DE CETTE INTERVENTION.

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