Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Saeed Roustaee, réalisateur de Leila et ses frères : “Le cinéma existe parce que la France existe”

Cet interview et même son titre me renforce dans ce que je souhaitais écrire sur l’apport de la France au cinéma y compris le festival de Cannes, il y a longtemps que cet apport est intervenu et cela demeure comme un écho (1). Alors qu’aujourd’hui une critique française imbécile et un milieu du cinéma français misérable qui ne comprend pas le cinéma qu’il accueille demeure néanmoins un espoir pour les réalisateurs qui dans leur pays se battent pour avoir la liberté de produire et qui sont contraints à naviguer entre stéréotypes de ce que sont devenus les festivals, un marché du cinéma, le discours qu’il faut pour être admis et ce qu’ils doivent dire pour défendre leur peuple. Nous avions déjà dénoncé l’imbécilité de la critique française à propos de Chers camarades, du film coréen The decision to leave et même As Bestas, cela revient à nier complétement la lutte des classes et le rôle destructeur de l’impérialisme occidental au profit d’une vision qui limite le contexte à la conception stupide que l’occident a de ce pays, une sorte de néocolonialisme de nos “valeurs” projetées sur le réalisme de ces films, Leila et ses frères va encore plus loin dans ce système où le cinéaste doit naviguer dans une double censure imbécile. Voir notre “critique”. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Avec l’exceptionnel Leila et ses frères, en salles ce mercredi 24 août, Saeed Roustaee confirme qu’il est l’un des nouveaux prodiges du cinéma iranien. GQ s’est entretenu avec le réalisateur.

Par Adam Sanchez24 août 2022

En seulement trois films, Saeed Roustaee s’est imposé comme l’une des nouvelles voix essentielles du cinéma iranien. Après le succès surprise de l’éblouissant La Loi de Téhéran, son précédent long-métrage, le réalisateur de 33 ans revient avec Leila et ses frères. Présentée en compétition au Festival de Cannes en mai dernier, cette fresque familiale suit le quotidien d’une fratrie qui subit de plein fouet la crise économique et sociale qui s’abat depuis plusieurs années en Iran. Tous rêvent d’une vie meilleure et entreprennent d’ouvrir une boutique dans un centre commercial de Téhéran. Sauf que le patriarche a d’autres projets, bien loin des ambitions économiques de ses enfants. S’enclenche un duel qui va fragiliser la famille. 

Ne passons pas par quatre chemins : Leila et ses frères s’affirme comme l’un des très grands films de cette année et la confirmation qu’avec Saeed Roustaee, un grand nom du cinéma est né et qu’il semble fait pour rester dans les années à venir. Avec cette puissante et bouleversante chronique sociale, le metteur en scène prouve qu’il est à l’aise dans de multiples registres, la tragédie comme la comédie, et qu’à tout moment le film peut dynamiter les attendus. L’écriture de ses personnages y est subtile, dépourvue de tout misérabilisme, et donne à Leila et ses frères l’humanité qui fait sa grâce. De passage à Paris au début du mois de juillet, Saeed Roustaee s’est entretenu avec GQ.https://www.youtube-nocookie.com/embed/6YeCSiB_flQ

Votre précédent film, La Loi de Téhéran, avait été particulièrement bien reçu en France (plus de 150.000 entrées). Leila et ses frères a été accueilli de façon très positive au Festival de Cannes. Comment expliquez-vous qu’il y ait un tel engouement pour vos longs-métrages ici ?

C’est parce que j’ai de la chance ! Tout simplement. [Rires]

Quel est votre rapport au cinéma français ?

Le cinéma existe parce que la France existe, et par conséquent nous aussi existons ! Blague à part, depuis mon adolescence, le cinéma français m’inspire. C’est l’un des meilleurs au monde. Vous avez Jean-Luc Godard, François Truffaut ou Jean-Paul Belmondo qui jouait si bien dans des films pas toujours géniaux… Je me souviens aussi de La Haine de Mathieu Kassovitz ou Mon Roi de Maïwenn. Et j’en oublie d’autres. Le cinéma français m’a nourri, tout comme les films venus d’Italie, des États-Unis ou d’Iran. Mais on peut clairement dire que le monde est redevable à la France. Puis il y a le Festival de Cannes. Il y a tant de grands noms qui en sont sortis. Il y a quelque chose de particulier avec ce festival. Aucun autre n’a son influence ou son rayonnement dans le monde. Les cinéastes que j’adore sont souvent liés à Cannes.

Comment est né Leila et ses frères ? Qu’est-ce qui vous a encouragé à utiliser la sortie des États-Unis de l’accord nucléaire avec l’Iran comme contexte du film ?

Pour moi, c’est d’abord la famille qui est le noyau de ce que raconte le film. Cependant, on ne peut pas ne pas parler de l’accord nucléaire. C’est un sujet lié à la vie de chaque Iranien, dans les transports en commun, les avions, avec les amis. Tout le monde parle de cela ou y pense. On ne connaît pas de moment seul, avec soi-même, où on peut l’éviter. Si je devais réellement faire un film là-dessus, vous trouveriez ça irréel tellement c’est omniprésent dans la vie iranienne. 

Prenez l’inflation. Tous les jours depuis quinze ans, on vit avec ce fléau. Dès le moment où on entend aux infos qu’il va y avoir une réunion sur l’accord nucléaire, les prix des monnaies ou de l’art s’effondrent. Quand la réunion est annulée ou qu’elle n’a abouti à aucune résolution, l’inflation frappe à nouveau et les prix explosent. Dans le film, j’utilise l’exemple de la Kia Pride. Au moment du tournage de Leila et ses frères, la voiture valait 100 millions de tomans [environ 23 860 euros, ndlr]. Sept mois plus tard, son prix a plus que doublé. Si on prend le coût de l’huile, il a décuplé. Et cela fait plus d’une décennie que ça dure.

Vous parliez de l’influence de l’accord nucléaire sur la vie des gens mais on sent aussi le poids de la culture américaine sur les Iraniens. Dans le film, on voit très succinctement des images de Donald Trump défiler en boucle à la télévision. Mais vous ajoutez aussi d’autres détails, plus amusants, comme celui de la mère qui regarde du catch sur son téléviseur. Comment travaillez-vous ce sens du détail qui en dit aussi beaucoup sur vos personnages ?

La culture américaine est présente partout dans le monde. C’est difficile à expliquer pourquoi j’intègre certains détails dans mes films mais le personnage de la mère est hors du commun. Il est extraordinaire dans le sens où elle n’est vraiment pas comme les autres. On le voit par rapport aux décisions qu’elle prend pour ses enfants mais je voulais aussi que dans ce qui la divertit au quotidien soit particulier. J’ai pensé au catch il y a quelques années, ça m’est venu comme ça. D’un côté, la famille s’interroge constamment sur l’authenticité du catch et, en même temps, ils suivent tous très attentivement ce sport. Il y a un écho évident avec l’histoire du parrain et certaines traditions en Iran. Tout le monde se demande si c’est bien vrai, tout en s’impliquant totalement dedans. Mon film baigne constamment dans ce jeu entre la réalité et des événements tellement insensés qu’ils semblent irréels.

On trouve aussi dans le film un jeu permanent entre le drame et une forme d’ironique tragique qui surgit de certaines scènes. Comment trouve-t-on le juste milieu pour qu’un registre n’écrase pas l’autre ?

Mes histoires viennent du cœur de la vie. Je ne mets rien de l’extérieur, je ne cherche pas à injecter une émotion dans le film. Il y a un récit et sa logique, je ne prévois pas le rire ou les larmes chez le spectateur. C’est la manière dont le récit se déploie qui crée des émotions et ce que je trouve intéressant c’est justement combien elles peuvent être différentes chez les uns et les autres. À chaque fois que je me suis rendu en salles pour La Loi de Téhéran ou Leila et ses frères, afin d’observer les réactions, il n’y avait que du silence. J’ai parfois vu certains rigoler à des moments inattendus. D’une ville à l’autre, les émotions sont différentes. Je pense que ça vient du vécu de chacun. On le plaque tous sur les films. On s’identifie naturellement à eux en fonction de scènes qu’on a pu vivre, de personnages qu’on a pu croiser. 

Et malgré le poids du réel, vous arrivez à injecter des scènes très spectaculaires. Dans La Loi de Téhéran, il y avait l’arrestation impressionnante dans le bidonville. Ici, une scène d’émeute dans une usine. C’est une manière de gagner immédiatement l’attention du spectateur dans ce que vous souhaitez raconter ?

J’ai lu quelque part que les films doivent commencer avec un tremblement de terre car c’est là où quelque chose commence ! [Rires]

Taraneh Alidoosti bouleverse dans le rôle de Leila celle qui tient à bout de bras la famille Jourablou.

Vous retravaillez avec certains acteurs de La Loi de Téhéran dans Leila et ses frères mais vous introduisez aussi Taraneh Alidoosti, l’actrice qui incarne Leila. On la connait surtout grâce aux films d’Asghar Farhadi. Qu’est-ce qui vous a plu chez elle ?

J’ai écrit le rôle pour elle. Je vais vous révéler quelque chose que je n’ai jamais encore dit. Quand j’avais une vingtaine d’années, j’étais en deuxième année d’université, je venais d’achever un court-métrage et j’avais écrit un scénario d’un long-métrage. Je l’avais envoyé à Taraneh Alidoosti, en ne la connaissant pas du tout. Elle était déjà très connue et elle m’avait répondu en m’encourageant à continuer. J’ai rencontré différents producteurs qui étaient très étonnés de savoir que Taraneh Alidoosti avait accepté de jouer dans le film d’un gamin de 20 ans. Ça ne s’est pas fait, malheureusement, mais le temps a passé et j’ai toujours eu envie de travailler avec elle. J’ai ensuite écrit Leila et ses frères en pensant constamment à elle. C’est la meilleure actrice de l’histoire du cinéma iranien. Quand j’ai vu le résultat final, j’ai trouvé que c’était mieux que ce que je pensais. 

Elle incarne un personnage plein de contradictions, à la fois dans le conflit permanent avec sa famille et quand même très attachée à ce que chacun de ses membres puisse vivre une vie meilleure. 

Je ne pense pas que ce soit son personnage qui soit contradictoire, mais c’est plutôt la condition dans laquelle elle vit qui l’est. Il y a des répressions qui surgissent de partout. Sa famille est asphyxiée mais elle cherche à s’éloigner de tous les obstacles présents face à elle. Ils rêvent tous changer de vie, de catégorie sociale mais on ne leur permet pas. L’ascenseur social est cassé pour eux. C’est ce dont je voulais parler avec le film. Ils ont des espérances mais on ne leur donne pas le droit d’y accéder. 

De nouvelles figures émergent dans le cinéma iranien, comme Panah Panahi ou Abbas Amini, mais la censure semble toujours aussi dure. Beaucoup de films sont encore privés de sortie, comme Leila et ses frères. Comment se fait-il que le septième art soit aussi créatif et vivant dans un pays qui cloisonne autant l’accès à la culture ?

Je vais me taire, vous avez totalement tort ! [Rires] En vérité, en Iran, tous les gouvernements appliquent des lois différentes. Il m’a fallu par exemple un an pour avoir le droit de tourner La Loi de Téhéran là-bas, j’ai aussi changé deux fois de producteur. Pour Leila et ses frères, il y a des problèmes autour du film mais aussi sur le discours médiatique pendant sa présentation à Cannes. Cela a créé de nombreux problèmes. Je ne peux pas faire grand-chose contre tout cela. Je reste patient, je négocie. Je veux que les films puissent être diffusés sans qu’ils soient censurés. Le peuple iranien a besoin de cela. Le centre de Leila et ses frères, c’est l’humain. Je pense que le public adorerait le film et je fais tout pour qu’il ait le droit d’exister en Iran. 

(1) https://histoireetsociete.com/2022/08/30/leila-et-ses-freres-et-le-paradoxe-de-la-critique-francaise/

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