Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Vladimir Poutine: Le bonapartisme au XXIe siècle

Cette réflexion sur Poutine et le bonapartisme est tout à fait éclairante mais elle me semble pouvoir être étendue à bien d’autres pays y compris européens. Les luttes de factions, la force des mouvements sociaux, une société proche de l’égalité des antagonismes renforce un parti de l’ordre et se donne un leader qui lui paraît apte à l’assurer. En France, Macron avait été plus ou mois chargé de ce travail mais ce qui apparaît de plus en plus c’est son inaptitude, Le Pen n’est pas plus crédible, le parti de l’ordre et le capital prêt à déléguer son pouvoir politique pour sauver sa bourse ne sait plus à quel saint se vouer et c’est vrai après l’épisode Trump de tout l’occident. En Russie, en revanche parce que l’impérialisme ne lui laisse aucun répit le pouvoir “bonapartiste” est contraint de se défendre. L’analogie historique a ses limites, le capital entre sa jeunesse triomphante du XIXe siècle et sa sénilité du XXIe, il ne peut engendrer le même pouvoir national.La recherche de l’ordre et l’équilibre des pouvoirs ne peut pas être simple reproduction surtout que la société socialiste est à sa manière tout aussi irréversible que l’était la société bourgeoise malgré le retour des rois. (note et traduction de Danielle Bleitrach)

Donald Courter

Vladimir Putin: Bonapartism in the 21st Century – United World International (uwidata.com)

Un homme aux nombreux noms

Lorsqu’il a qualifié l’effondrement de l’Union soviétique de « plus grande catastrophe géopolitique du siècle », les experts occidentaux l’ont qualifié de communiste. Les périodiques traditionnels, comme Politico et Newsweek, et les propagandistes anti-russes le disent fasciste – en raison d’un « culte de la personnalité hyper-masculin » et de « hauts niveaux de répression », entre autres concepts autoritaires.

Pour certains, Vladimir Poutine est le nouveau Josef Staline – pour d’autres, il est le nouvel Adolf Hitler. Beaucoup de soi-disant « experts » libéraux, dans leurs tentatives de donner un nom à ce concept illusoire qu’ils tentent de forger, désignent son style de leadership comme l’idéologie du poutinisme. Mais si l’on est plus réaliste, il faut mesurer que Vladimir Poutine n’aspire ni à être secrétaire général du Parti communiste ni le Führer d’un nouvel Empire russe. Le rôle qu’il joue dans la grande performance de l’histoire n’est pas non plus si original qu’il nécessite la création d’une nouvelle catégorie idéologique.

En fait, l’arrivée au pouvoir de Poutine et les forces sociales particulières dont son administration tire son autorité politique ne peuvent pas être correctement comprises à partir des capacités bornés des penseurs libéraux à comprendre les expressions politiques du XXIe siècle et leurs parallèles avec le passé. L’approche matérialisme dialectique de Karl Marx à l’histoire, cependant, offre une explication – le concept de bonapartisme.

Louis Bonaparte: Le Prince Président

L’œuvre révolutionnaire de Marx au XIXe siècle, Le XVIII Brumaire de Louis Bonaparte, explore la carrière politique du premier et dernier monarque de France – le neveu de Napoléon Bonaparte, Louis Bonaparte. Pour l’étudiant en économie politique analysant à partir d’une méthode dialectique matérialiste, l’histoire du règne de Bonaparte n’offre pas seulement un aperçu de la tourmente politique du milieu du XIXe siècle. Il constitue un archétype pour la catégorie politique du dirigeant bonapartiste – un pouvoir exécutif indépendant régnant sur une société de classes sociales connaissant un affrontement de forces égales. Car c’est au milieu des luttes politiques entre les traditions radicales de la révolution française de 1789 et les restaurations monarchiques qui ont suivi son renversement, que Louis Bonaparte a été élu président de la Deuxième République française en 1848.

Il hérite d’un pays en train d’être entraîné et divisé par les luttes politiques parlementaires entre le Parti monarchiste de l’Ordre représentant une alliance de grandes entreprises et d’intérêts, les républicains bourgeois, la montagne socialiste et les bonapartistes qui cherchèrent à restaurer l’Empire Français. À la fin de sa limite de mandat prescrite par la Constitution en 1852, les luttes intestines constantes entre ces factions les avaient rendues presque toutes politiquement ineptes à gouverner, à l’exception du plus grand allié parlementaire de Bonaparte, le Parti de l’ordre, et ces rivalités politiques avaient laissé les citoyens français dans un manque urgent de stabilité politique.

Du point de vue de classe, il semblait que les capitalistes français triomphaient des travailleurs et des propriétaires de petites entreprises du pays – représentés respectivement par la montagne et les républicains alors vaincus. Mais le Parti de l’ordre n’a pas fonctionné comme un organe politique. Sa contradiction interne entre les intérêts de l’industrie et de l’agriculture l’a rendue incapable de comprendre, « ni comment gouverner ni comment servir… ni comment coopérer avec le Président, ni comment rompre avec lui », si l’on en croit la manière dont Marx relate les événements.

Bonaparte et sa bureaucratie, « qui compte plus d’un demi-million d’individus », étaient la seule force politique capable de gouverner et de rétablir l’ordre dans le pays. Ils avaient le soutien de responsables militaires et de groupes armés associés à l’organisation pro-bonapartiste Société du 10 décembre, ainsi que le soutien populaire de masses paysannes françaises qui se sentaient depuis longtemps trahies par le reste de la société politique. Avec la seule option de la classe capitaliste française : « sauver sa bourse », étant pour cela prête à « perdre la couronne et l’épée qui est le moyen de la sauvegarder », Bonaparte a jeté la constitution et s’est déclaré empereur en 1852, établissant le Second Empire Français qui garderait “toutes les classes toutes aussi impuissantes et … à genoux”.

Un ordre politique caractérisé par une impasse de 18 ans au sein de la lutte des classes entre Français est né et les politiques de Bonaparte ont essayé d’agir sur la nation dans son ensemble pour maintenir cet équilibre. Sous son règne, des plans de reconstruction de grandes villes comme Paris, Marseille, Lyon et d’autres ont été mis en œuvre dans le but d’améliorer l’état d’infrastructure de la nation. Les programmes d’expansion des chemins de fer et de modernisation agricole ont grandement amélioré la situation française au sein de l’économie mondiale, réduit la pauvreté et transformé le pays en exportateur agricole. En ce qui concerne les réformes sociales, la politique bonapartiste a été associée au rétablissement du suffrage universel, au droit des travailleurs d’organiser des syndicats et même à la possibilité pour ces travailleurs de faire grève.

Bien que loin d’être un exemple de gouvernance au nom des intérêts de la classe ouvrière, l’administration Bonaparte accomplit beaucoup pour améliorer la vitalité de la nation, agissant comme une autorité à mi-chemin entre les expériences révolutionnaires prolétariennes de la France, la bourgeoisie industrielle émergente et son ordre féodal de plusieurs siècles.

Vladimir Poutine : Louis Bonaparte du 21ème siècle

Environ quatre ans et demi après l’élection de Vladimir Poutine à la présidence en mai 2000, le secrétaire général du Parti communiste russe Guennadi Ziouganov a déclaré qu’« un régime bonapartiste avait été établi en Russie ». Le nouveau chef de l’État du pays partageait en effet de nombreux traits similaires avec le monarque du XIXe siècle en termes de conditions dans lesquelles il est arrivé au pouvoir, sur lequel il comptait pour conserver le pouvoir, et de l’effet de son administration sur le pays.

À la veille de la présidence Poutine, la Russie s’est retrouvée dans une situation historique très similaire à celle de la France du milieu du XIXe siècle. Près de sept décennies de vie dans l’URSS socialiste – le premier État de travailleurs fédérés au monde – avaient pris fin peu de temps auparavant. La restauration capitaliste qui a suivi, sous l’administration profondément impopulaire de Boris Eltsine, a vu l’émergence d’oligarques qui piétinaient sans ménagement le travailleur et de gangsters qui tuaient en toute impunité, se souciaient peu de l’État de droit. Le nouveau régime a tenté de faire retourner la société à l’envers – ne se rendant pas compte que le pays avait été irrémédiablement propulsé vers l’avant, car le Parti communiste russe nouvellement réorganisé était tout sauf vaincu.

Dans le contexte de cette dissonance sociale, Vladimir Poutine, équipé du KGB, ou « silovik » selon les politologues occidentaux, les liens faits tout au long de sa carrière en tant qu’agent de renseignement et le soutien d’une bureaucratie d’État héritée de l’URSS, a reçu en partage la Russie par le vote populaire. Tout comme le coup d’État de Louis Bonaparte de 1852, le Parti de l’ordre a plié à sa volonté et celle de la bureaucratie de l’État, ce fut aussi comme un « grand marché » conclu entre Poutine et les oligarques, qui ont fait fortune en pillant l’économie du pays, voir ces derniers sacrifier leurs couronnes pour sauver leurs bourses. La classe capitaliste a été mise en laisse, le gangstérisme a été écrasé, et l’ordre a été rétabli.

Cet arrangement a ouvert la voie à la mise en œuvre réussie de projets prioritaires nationaux visant à développer la santé publique, l’éducation, le logement et l’agriculture. Résultant en grande partie de ces projets, la Russie est devenue le premier exportateur mondial de blé, la pauvreté a été réduite de moitié depuis le début de la présidence poutine, et les salaires ont connu des augmentations significatives à l’échelle nationale. Il est également important de mentionner l’expansion généralisée des oléoducs russes sous Poutine, qui ont eu un impact économique positif comparable à celui des plans d’expansion ferroviaire de Louis Bonaparte.

L’anti-impérialiste Bonaparte

Cependant, il y a une différence clé entre Louis Bonaparte et son homologue russe du XXIe siècle. L’ascension du premier au trône a vu la restauration éphémère d’un Empire, dont les aventures militaires infructueuses ont abouti à la déposition de son propre monarque. Dans le cas de la Russie contemporaine, Vladimir Poutine est tout sauf un empereur.

De pratiquement tous les côtés, la Russie est menacée par les bases militaires de l’OTAN, les batteries de missiles et les simulations courantes d’invasion conjointe avec des puissances hostiles à Moscou. Washington a changé de politique à la porte de la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie étant les derniers points d’éclair de l’insurrection parrainée par l’étranger. À l’intérieur du pays, le militant de l’opposition Alexeï Navalny, qui a étudié dans le cadre d’un programme de bourses de l’Université de Yale réputé pour sa production de révolutionnaires de couleur, continue d’accuser l’État russe de violer le droit international, avec l’aide des médias occidentaux.

De toute évidence, la Russie est sur ses pieds depuis l’effondrement de l’URSS, car elle a tenté de détourner les nombreuses tentatives impérialistes de l’Occident d’empiéter sur sa souveraineté. Et pourtant, les fables de Washington accusent Moscou de s’immiscer dans les élections, ainsi que de tenter de déstabiliser le tissu de la société américaine – un cas clair de projection politique. L’inaction relative du gouvernement russe à l’égard de la récente prise d’assaut du Capitole révèle à tout spectateur l’absurdité de la vision occidentale dominante dans son regard vers l’Est.

Il est vrai que la Russie n’est plus la république phare d’une fédération socialiste qui a inspiré le monde avec ses idéaux de libération révolutionnaire. Mais le régime bonapartiste de Vladimir Poutine a jusqu’à présent protégé la Russie de l’emprise dictatoriale du capital financier mondial. Tant qu’une telle administration détient le pouvoir, les anti-impérialistes occidentaux devraient lutter bec et ongles pour la protéger du harcèlement par le noyau impérial dans lequel ils vivent.

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1 Commentaire

  • Jean François DRON
    Jean François DRON

    je n’avais pas pensé à un rapprochement entre Napoléon 3 et Poutine par contre le développement proposé icci me conviens bien et jje partage sans réserve sa finalité c”est à dire que nous en occident devons défendre la Russie dans sa confrontation avec l’impérialisme yankee.Nous aons tout à perdre dans le cas où la Russie tomberai à nouveau dans les pattes d’un nouvel Eltsine en l”occurence un Corrompu du type Navalny.

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