Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Il y a cent ans : la Commune de Bakou

Face au narratif nationaliste qui se veut antisoviétique pour mieux suivre un occident qui de fait a déjà une fois de plus sacrifié l’Arménie ne serait qu’à son entente avec Erdogan, il est bon de rappeler ce qui a pu se dessiner en Union soviétique comme terrain de paix entre des “communautés” que l’impérialisme balkanise et conduit vers l’autodestruction. Ce texte rappelle des épisodes historiques à travers lesquels un autre destin a été possible comme a tenté de l’inaugurer cet épisode fondateur qu’à été la Commune de Paris face aux guerres bourgeoises inaugurant le colonialisme (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)

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Histoire de la prospérité de la communauté arménienne en Azerbaïdjan, par Mikhail Magid

Les Arméniens de Bakou constituent une communauté unique, formée dans un environnement particulier et florissante à la fin de l’URSS. Leur nombre a atteint 300 000, soit plus de 10 % des habitants de la capitale azerbaïdjanaise.

Une caractéristique importante de Bakou est la composition multinationale de sa population. Contrairement à Erevan, majoritairement mono-ethnique, des représentants de dizaines de nations y vivaient. Malgré les conflits, la ville a longtemps préservé, à en juger par les souvenirs de ses habitants, l’amitié et la coopération entre des personnes de sang et de foi différents.

Une autre caractéristique de la vie à Bakou était le développement de l’industrie locale. Pendant longtemps, Bakou a eu le statut de premier centre pétrolier important du pays, puis il est passé à la deuxième place. C’est pourquoi les dirigeants de l’URSS ont investi beaucoup d’argent dans le développement de l’industrie, de la technologie et de la science. Cela a déterminé le mode de vie et les caractéristiques uniques de la ville dans son ensemble et de la communauté arménienne locale en particulier.

Tandis que les intellectuels humanitaires de différentes régions étaient à la recherche de valeurs et d’un sol nationaux, les spécialistes locaux développaient la production et le savoir. La capacité de créer et d’utiliser des dispositifs complexes pouvant être testés dans la pratique est particulièrement appréciée, plutôt que des hypothèses obscures et difficiles à prouver sur la nation qui a été la première à arriver dans telle ou telle région.

De plus, comme ces capacités ne dépendent pas de l’origine mais des talents personnels, une atmosphère de coopération multinationale est maintenue au sein des collectifs respectifs. Il convient toutefois d’ajouter que le culte traditionnel des Arméniens pour l’éducation a permis à nombre d’entre eux de progresser.

Quelle était la composition sociale de la communauté arménienne ?

Tout d’abord, les Arméniens occupaient des positions fortes dans la gestion de l’industrie, de la science, de l’éducation et de la médecine. Bien que les dirigeants locaux – le parti et les fonctionnaires – soient azerbaïdjanais, les cadres moyens arméniens jouent un rôle important dans l’économie.

Deuxièmement, les Arméniens occupaient des postes importants dans la main-d’œuvre qualifiée. De nombreux médecins, enseignants, ingénieurs et autres spécialistes étaient arméniens. La présence des Arméniens était également significative dans la classe ouvrière industrielle qualifiée.

Le troisième niveau est celui des artisans indépendants. Très souvent, de riches résidents de Bakou, désireux d’achever un appartement ou de construire une datcha, engageaient des constructeurs arméniens, et pour confectionner des bottes ou des robes sur mesure, ils s’adressaient à des tailleurs et des cordonniers arméniens.

La quatrième couche est étroitement liée à la troisième et croît rapidement en nombre et en richesse : c’est la bourgeoisie naissante. Les travailleurs indépendants, devenus riches, se transforment en entrepreneurs, accumulent du capital et embauchent des travailleurs. Les processus de privatisation en URSS ont commencé dans le Caucase, comme l’a montré le sociologue Georgi Derlugian. Les artisans deviennent des petits patrons d’ateliers.

La communauté arménienne de Bakou gagne en nombre et en influence. Son importance pour la société et l’économie azerbaïdjanaises est énorme. Cependant, l’émergence du nationalisme et du séparatisme karabakh associé aux idées de Miazum – l’annexion du Karabakh à l’Arménie – détruit les relations entre les deux peuples. Suite à ces tristes événements, presque tous les Azerbaïdjanais ont quitté l’Arménie et presque tous les Arméniens ont quitté l’Azerbaïdjan.

Pour la communauté arménienne de Bakou, il est impossible d’imaginer une tragédie de plus grande ampleur. J’ai eu l’occasion de parler à un nationaliste pro-turc qui m’a dit ce qui suit : “Nous avons été surpris par le comportement des Arméniens qui se sont littéralement accrochés au Karabakh. C’était un manque de vision et cela a conduit aux événements qui les ont amenés à quitter l’Azerbaïdjan. Nous avons été surpris qu’un peuple aussi intelligent et énergique ne se rende pas compte de choses aussi simples : au lieu du Karabakh, ils auraient pu obtenir l’ensemble de l’Azerbaïdjan. Non pas dans le sens où ils auraient pris le pouvoir, mais dans le sens où leur communauté compterait aujourd’hui un million de personnes et aurait une énorme influence dans tous les domaines et un niveau de vie élevé”.

Il convient toutefois d’émettre quelques réserves à ce sujet.

Tout d’abord, la classe ouvrière et les professionnels arméniens n’avaient aucun pouvoir et n’ont jamais contrôlé l’état des choses – rien n’a jamais dépendu d’eux. De nombreux Arméniens n’étaient pas favorables au séparatisme.

Deuxièmement, de nombreux Arméniens de Bakou avaient une attitude négative à l’égard du mouvement du Karabakh, sachant parfaitement qu’une flambée de nationalisme et une tentative d’annexer le Karabakh à l’Arménie provoqueraient un retour de bâton. Ils critiquent encore les partisans de Miazum, car ces événements ont privé les habitants de Bakou de leur vie habituelle et de leurs espoirs.

Les aspirations séparatistes ne coïncident pas nécessairement avec les souhaits de la majorité des Arméniens, mais l’opinion des gens ordinaires, des travailleurs, ne signifie pas grand-chose dans de telles circonstances. Il en sera ainsi jusqu’à ce que cette majorité fasse preuve d’une activité publique indépendante.

Pendant la révolution de 1905-1907, les militants ouvriers radicaux arméniens ont fait la guerre au Dachnaktsoutioun arménien nationaliste de Bakou. Nombre d’entre eux ne voulaient pas se soumettre à un programme nationaliste ou séparatiste et considéraient les travailleurs musulmans turcophones comme leurs frères. Le nom de leur chef, mort en combattant les Dachnaks, l’anarcho-communiste Sevouni (Sarkis Keleshyan), n’est connu aujourd’hui que des historiens.

Pour Sevouni, l’idéal n’était pas un petit État-nation dirigé par des oligarques et le sommet des partis politiques, mais le monde entier, une nouvelle civilisation répartie sur toute la planète ; un monde composé de collectifs multinationaux de travailleurs gouvernés par leurs assemblées et des conseils de délégués élus (qui pouvaient être rappelés à tout moment) – une association qui rappelle la Commune de Paris.

Dans la République arménienne moderne, il existe des sentiments contre le nationalisme. Ces idées anti-nationales sont particulièrement répandues chez les jeunes. Nombreux sont ceux qui se désintéressent du nationalisme, n’y trouvant aucun sens et n’y voyant aucun avantage pour eux-mêmes.

L’histoire unique de la nation arménienne est liée, avant tout, aux réalisations de scientifiques, de poètes, d’architectes et de constructeurs, de cinéastes et d’hommes politiques révolutionnaires internationalistes, tels que Sevouni ou le leader des révolutionnaires sociaux de gauche, Prosh Proshyan, c’est-à-dire des personnes qui ont lutté pour une société multinationale et la coopération de personnes d’ethnies différentes.

La communauté arménienne qui a prospéré à Bakou est un exemple de la manière dont les nations peuvent cohabiter avec succès.

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