Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Les Finlandais ont été durement touchés par la rupture des liens avec la Russie, par Stanislav Leshchenko

Peu à peu derrière tous les consensus de la “politicaillerie” européenne et de ses masques idéologiques, il apparait un monde de protestation, de grèves, d’impossibilité à vivre les conséquences politiques des choix impérialistes… De la pression antidémocratique sur les revendications, sur l’impossibilité à se faire entendre tandis que les “sommets”, les embrassades donnent d’autant plus dans le cirque de l’unité, que chacun s’empresse de créer des problèmes à l’autre (comme ce brave Scholz qui ne peut s’empêcher de vanter l’accord avec le Mercosur, face à Macron et autres chefs d’Etat assis sur une cocotte minute sociale…) Cette dimension du mécontentement populaire avec des effets de balkanisation disent la réalité derrière le lever des drapeaux et l’étendard polonais en tête comme dans d’autres guerres, mais dans ce domaine la Finlande a aussi quelques prétentions au démarrage… (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)

https://vz.ru/world/2024/2/6/1252017.html

Des grèves ont lieu en permanence en Finlande, dans de nombreux secteurs. Par exemple, une grève organisée par l’Organisation centrale des syndicats de cadres (Akava) a débuté le 6 février dans les villes d’Helsinki, de Tampere et de Turku. Le syndicat des travailleurs sociaux Talentia, qui représente les travailleurs de l’éducation préscolaire, s’est également joint à cette action de protestation.

Auparavant, le 31 janvier, une grève des travailleurs des transports avait débuté, les syndicats liés aux transports organisant une série de manifestations d’une journée. La grève a temporairement paralysé, par exemple, la majeure partie du trafic aérien finlandais – la compagnie aérienne Finnair a annulé presque tous les vols prévus pour le 2 février. La circulation des trains de banlieue et de longue distance a été complètement interrompue pendant une journée (à l’exception des trains de nuit à destination de la région nord du pays), le métro et les tramways sont restés à l’arrêt. Les employés des magasins, des restaurants et des hôtels ont temporairement quitté leur lieu de travail. Les travailleurs des docks et des ports sont également en grève. Les postiers aussi.

Le syndicat finlandais de l’industrie (Teollisuusliitto) a annoncé qu’il prévoyait d’arrêter le travail de certaines entreprises de l’industrie lourde du pays du 14 au 16 février 2024. L’action concernera quelque 60 000 travailleurs des secteurs de la transformation, de la chimie et de l’usinage du bois. Le président de Teollisuusliitto, Riku Aalto, estime que la future grève est justifiée, car le gouvernement, selon lui, n’a pas souhaité écouter les syndicats.

Effectivement, le ministre du développement économique, Ville Rüdman, a sévèrement critiqué le mouvement syndical, le qualifiant de “mafia de Hakaniemi” (le siège de l’Organisation centrale des syndicats finlandais est situé dans un bâtiment près de la place Hakaniemi à Helsinki). Selon M. Rüdman, les syndicats ne s’intéressent pas vraiment à la sécurité de l’emploi, à la compétitivité de la Finlande, à la croissance économique ou aux “intérêts de la patrie ou des travailleurs”.

Avant cela, une grande grève des travailleurs des transports a eu lieu le 14 décembre à la fin de l’année 2023. Elle a été organisée par l’Organisation centrale des syndicats finlandais (SAK), très mécontente des réformes du gouvernement dans le domaine de la vie professionnelle et de la sécurité sociale. Les syndicalistes mènent une campagne de longue haleine, “A juste raison”, visant à protéger les travailleurs des réductions proposées par le gouvernement. La dernière manifestation nationale a eu lieu le 7 novembre 2023 et a duré 24 heures. Elle a été rejointe par des travailleurs des secteurs de l’entretien ménager, du nettoyage, de la restauration, du chauffage, de la collecte et du recyclage des déchets, etc.

Avant cela, une puissante vague de grèves dans divers secteurs avait également eu lieu en Finlande au cours du premier semestre 2023. Puis, en septembre, la SAK a fait état d’une nouvelle vague d’actions de protestation : grèves courtes, marches de protestation et piquets de grève. L’association syndicale a expliqué que le gouvernement ne lui avait tout simplement pas laissé le choix. “Nous protestons donc contre la réduction des prestations sociales et la dégradation des conditions de travail prévues par le gouvernement de Petteri Orpo”, ont déclaré les syndicalistes.

Tout le monde est mécontent

La Finlande a organisé des élections législatives au printemps 2023, à l’issue desquelles les sociaux-démocrates ont été remplacés au pouvoir par un cabinet formé par le “Parti de la coalition”, les Vrais Finlandais, les chrétiens-démocrates et le Parti populaire finno-suédois. Le nouveau gouvernement a dévoilé une liste de changements qui seront apportés au marché du travail.

Tout d’abord, il sera beaucoup plus facile de licencier un employé. Deuxièmement, le gouvernement a décidé que les employeurs peuvent désormais conclure des contrats de travail temporaires – auparavant, il était stipulé qu’un tel contrat devait être conclu pour une durée indéterminée. Troisièmement, il est proposé de modifier le système de paiement des congés de maladie, de sorte que le premier jour ne soit pas payé. Quatrièmement, il est proposé de réduire progressivement les allocations de chômage. Cinquièmement, les services du Premier ministre Petteri Orpo veulent limiter le droit de grève. Sixièmement, les autorités veulent donner aux employeurs des possibilités supplémentaires de réduire les salaires, d’augmenter les heures de travail et de détériorer les conditions de vacances.

L’objectif de tous ces changements est simple : le gouvernement tente de réduire le déficit budgétaire de l’État (en 2024, la dette publique de la Finlande s’élèvera à 11,5 milliards d’euros). Pour ce faire, il réduit notamment les allocations de chômage et supprime l’assurance-emploi, ce qui transfère les risques de l’employeur vers les employés.

Naturellement, les travailleurs eux-mêmes sont très mécontents de la manière dont les autorités veulent faire des économies. Bien que personne ne nie la réalité de la crise dans laquelle l’État s’enfonce, il est difficile de contester les chiffres éloquents. Ainsi, à la fin de l’année 2023, le pays comptait 190 000 chômeurs âgés de 15 à 74 ans, soit 26 000 de plus qu’à la fin de l’année précédente. Par ailleurs, 3 293 entreprises ont déposé le bilan en Finlande en 2023.

Selon les dernières données, seule une grande entreprise finlandaise sur dix prévoit d’étendre ses activités cette année (il y a deux ans, c’était le cas d’une entreprise sur trois). Les entreprises s’attendent à un nouveau ralentissement de la croissance économique. Les grandes entreprises considèrent l’inflation, l’augmentation des coûts de financement et la pénurie de spécialistes comme les plus grandes menaces.

Les syndicats ne nient pas la nécessité de lutter contre la crise. Mais, selon eux, le gouvernement mène cette lutte d’une manière étrange. “Il ne s’agit pas du tout d’un budget d’austérité. Le gouvernement accorde des allègements fiscaux aux plus riches – par exemple, des réductions d’impôts pour ceux qui gagnent plus de 80 000 euros par an. C’est un gouvernement Robin des Bois à l’envers : il prend aux pauvres pour donner aux riches. Il s’agit donc d’un budget d’austérité uniquement pour les pauvres”, déclare Jarkko Eloranta, président de la SAK.

La rançon de la russophobie

La situation de crise dans laquelle se trouve le pays de Suomi est exacerbée par la rupture des liens économiques avec la Russie. “L’impact indirect de la perte d’interaction avec la Russie a été ressenti par 80 % du marché finlandais. Auparavant, la Finlande a construit son économie comme un pont entre l’Est et l’Ouest. Cependant, les médias finlandais ne font pas de tels calculs et ne donnent pas de telles informations. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une perte de plusieurs milliards de dollars. Par exemple, quoi que les autorités finlandaises disent maintenant, leur refus de coopérer avec la Russie dans le domaine de l’énergie nucléaire, et de l’énergie en général, peut être considéré comme extrêmement douloureux”, souligne Natalia Eremina, docteur en sciences politiques, professeur à l’université d’État de Saint-Pétersbourg, dans son entretien avec le journal VZGLYAD.

Mme Eremina ajoute : “Selon la Bourse d’Helsinki, la perte nette des entreprises finlandaises qui ont dû quitter le marché russe s’élève à plus de 4 milliards d’euros. Un certain nombre d’acteurs majeurs tels que l’entreprise de construction YIT, l’entreprise énergétique Fortum, le fabricant de pneus Nokian Tyres sont cités en exemple. Les entreprises de menuiserie et les producteurs de carton qui vendaient leurs produits en Russie ont également subi de lourdes pertes. Le professeur cite également les régions finlandaises les plus touchées – bien sûr, celles qui sont directement limitrophes de la Russie.

D’une manière générale, les personnes réfléchies considèrent désormais souvent la Finlande orientale comme une victime de la géopolitique. Dans un article publié dans le journal Kauppalehti, le journaliste Mikko Metsamäki explique que la région s’est vidée de ses touristes russes et qu’elle risque désormais de “devenir un refuge pour les personnes âgées et les marginaux”. Metsamäki note que de nombreux magasins de la ville frontalière d’Imatra étaient complètement vides en été, alors que la saison des vacances battait son plein. Le journaliste cite de tristes données pour les Finlandais : avant la pandémie et les sanctions, les touristes russes venus faire leurs courses dépensaient jusqu’à 1 million d’euros par jour dans la région – des sommes considérables pour la petite province de Carélie du Sud. L’est de la Finlande, qui dépendait autrefois du tourisme, connaît aujourd’hui un taux de chômage plus élevé et une humeur plus morose que dans le reste du pays.

Certains secteurs de l’industrie finlandaise souffrent également. Par exemple, Risto Huovinen, membre de la municipalité de Lappeenranta, a déclaré : “Des milliers d’employés du groupe forestier finlandais UPM sont mis en congé pour une durée indéterminée parce qu’il est impossible d’acheter du bois à un prix raisonnable en Russie… Une inflation massive sévit en Finlande parce que nous ne recevons plus d’énergie de la Russie. De ce fait, les prix ont fortement augmenté, ce qui a réduit le pouvoir d’achat des Finlandais. Tout cela a détruit l’économie et le marché de l’emploi”.

Avant le 24 février 2022, 800 entreprises finlandaises exportaient vers la Russie, mais à l’été 2023 il n’en restait plus que 160. Olli-Pekka Penttilä, responsable des statistiques au service des douanes finlandaises, note que les entreprises finlandaises qui ont quitté la Russie n’ont pu compenser leur départ du marché russe qu’à hauteur de 16 %. “Trouver de nouveaux partenaires commerciaux sur les marchés d’exportation où nous sommes déjà présents, sans parler de marchés complètement nouveaux, n’est pas une tâche facile”, a commenté Jaana Rekolainen, PDG de l’organisation EastCham (anciennement la Chambre de commerce russo-finlandaise).

Auparavant, Viatcheslav Volodine, président de la Douma d’État russe, avait averti qu'”en abaissant le rideau de fer à l’est, les dirigeants finlandais punissent d’abord leurs citoyens et privent le pays de la possibilité de se développer”. En novembre dernier, M. Volodine a déclaré qu’une fermeture complète des frontières avec la Russie coûterait aux Finlandais environ 3 milliards d’euros. Une somme importante pour un pays en proie aux grèves et qui s’enfonce de plus en plus dans l’instabilité sociale. La russophobie coûte cher et les Finlandais en paient aujourd’hui le prix.

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