Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Twix le chat a donné sa vie pour la constitution d’une société civile en Russie, par Sergueï Aksionov

Au titre des textes qui le week end sont chargés par notre blog d’organiser une vision un peu moins stupide et manichéenne du monde dans lequel nous vivons, voici un petit bijou que nous a trouvé Marianne sur l’indignation qu’a provoqué en Russie la mort d’un chat parce que celui qui était chargé de l’accompagner préférait bavarder au téléphone et la préposée cheffe de wagon a prétendu appliquer le réglement d’une manière étroite, toute une manière dans le fond très soviétique de s’attaquer à la bureaucratisation, l’irresponsabilité, entre nous cela est à un degré plus élevé que la plupart de nos faits divers et de ce qu’ils provoquent dans l’opinion publique.j’aime bien le clin d’oeil final sur les petits chats qui tentent de survivre dans la SVO… A déguster sans modération … (note de danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)

https://svpressa.ru/society/article/402628/

Sur la photo : Twix le chat (Photo : t. me/KC_kotinder)

L’histoire de Twix, le chat mort après avoir été jeté par erreur d’un train près de Kirov, continue de prendre de l’ampleur. Une vidéo de surveillance a été publiée, ce qui permet de reconstituer les circonstances réelles de l’incident. L’enquête a été menée par la Compagnie fédérale des transports de voyageurs. La réaction du public est si violente et contradictoire que l’événement a pris un tour politique.

Selon la vidéo, Twix est sorti de la caisse de transport immédiatement après que son propriétaire, après avoir déambulé sur le quai de la gare de Kirov (le train allait d’Ekaterinbourg à Saint-Pétersbourg), est monté sur la couchette supérieure située sur le côté. “Le propriétaire ne réagit pas à ce qui se passe, il regarde son téléphone. Les autres se délectent de la situation, et caressent la bedaine du félin”, décrit Mash. Après avoir découvert le chat “perdu”, la provodnitsa [cheffe de wagon, qui distribue le thé, les draps, etc, NdT] tente de retrouver son propriétaire, puis demande à l’un des passagers de le faire sortir du wagon.

Le propriétaire n’a découvert la perte qu’au bout de 7 heures et demie. Ce n’est pas surprenant, car il y a tant de choses intéressantes sur le téléphone, presque tous les Russes le savent. Parfois, il est impossible de s’en détacher. Surtout pendant un long voyage. Et le chat ? Le chat est installé dans sa cage de transport, pourquoi s’en préoccuper ? Si le propriétaire avait donné l’alerte immédiatement, les employés des chemins de fer russes auraient réuni toutes leurs forces et auraient probablement trouvé le chat à la gare à temps, a suggéré Vladimir Pyastolov, directeur général de la compagnie fédérale de transport de passagers.

Il s’est avéré que ce n’était pas le propriétaire du chat, mais l’accompagnateur (le beau-père du propriétaire). Le véritable propriétaire – Edgar Garifullin – s’est d’abord montré assez calme, précisant qu’il ne demanderait pas le renvoi de la provodnitsa, qui a probablement des enfants, mais qu’il souhaitait simplement récupérer le chat, qui fait partie de la famille depuis trois ans et demi. Mais en cas de décès, il a promis de faire appel à la police, au tribunal, au bureau du procureur et même au président.

Que demandera le propriétaire de Twix au président ? Évidemment, la justice. Les coupables devront regretter amèrement ce qu’ils ont fait. Mais cela donnera-t-il des résultats ? Poutine a-t-il vraiment le temps de s’intéresser à de telles particularités ? En effet, il est le commandant en chef de l’armée russe, qui se bat sur un front de 1 000 kilomètres contre 50 pays de l’OTAN, plus les sanctions… C’est une affaire privée, s’indigneront certains. L’égoïsme n’a pas de bornes.

Le propriétaire du chat n’avait vraisemblablement pas l’intention de contacter Poutine. Et il n’en a parlé que pour effrayer les autorités compétentes, qui refusent jusqu’à présent d’engager des poursuites pénales pour traitement cruel des animaux. Mais il existe aussi un article qui punit la tentative d’atteinte à la propriété. Pour nos fonctionnaires, qu’ils soient propriétaires de chats ou de chiens, cet article est sacré. Il peut fonctionner. Sur des points de procédure.

Le calcul est correct. Presque tous les “petits chefs” ont très peur de ne pas plaire à leurs supérieurs. Ils appliqueront donc n’importe quelle décision s’ils obtiennent un feu vert. Mais il se peut qu’il n’y en ait pas. C’est pourquoi, jusqu’à présent, tout le monde est figé dans une attente anxieuse. Et seul le comité d’enquête s’est risqué à faire le premier pas : il a chargé son service des transports d’organiser une inspection des circonstances de la mort de Twix. Bastrykin n’a pas froid aux yeux.

Il est difficile de dire comment cette vérification va se terminer. Mais le principal suspect est certainement la provodnitsa. Elle a elle-même déclaré qu’à ce moment-là, elle avait beaucoup de travail sur l’entretien du wagon, qu’il était nécessaire de faire le plein d’eau, et que Twix semblait à un animal vagabond et que les passagers ont dit qu’il fallait le faire sortir. De plus, un “chien d’élite” voyageait dans le wagon et ses propriétaires craignaient qu’un chat errant ne lui transmette quelque chose. Faut-il le croire ?

Quoi qu’il en soit, la provodnitsa n’a pas eu de chance. Les chemins de fer russes l’ont suspendue de ses fonctions. Il s’agit d’une tentative de ne pas violer les droits de quiconque, de calmer les passions. Car le public (c’est dit ainsi – le public), représenté par plus de trois cent mille signataires de la pétition, exige le licenciement de la femme “pour violation de ses devoirs (un billet a été émis pour le chat) et pour traitement cruel de l’animal, ainsi que le versement d’une indemnité aux propriétaires pour préjudice moral”.

On se demande parfois qui écrivait “dans les sombres années staliniennes” des millions de dénonciations. Évidemment, des gens qui sont prêts à causer du tort à leurs voisins, que ce soit pour une bonne raison ou non, peu importe, sans rien risquer eux-mêmes. C’est moi d’Artagnan… Par curiosité, j’ai demandé à mon fils de 14 ans comment il fallait punir la provodnitsa. Il m’a répondu laconiquement : “Il faut lui mettre une amende”. Ma foi en l’humanité est revenue. En effet, quoi de plus raisonnable qu’une sanction modérée ?

D’autre part, la signature d’une pétition peut être perçue comme une activité sociale utile. Aujourd’hui, de nombreuses personnes se préoccupent non seulement d’elles-mêmes, mais aussi de ce qui se passe autour d’elles. Cela crée un terrain propice à un soutien massif non seulement pour de tels manifestes publics, mais aussi, par exemple, pour collecter des fonds destinés à l’achat de drones et à d’autres formes d’assistance à l’armée dans la zone SVO (bien qu’il ne soit pas certain que ces deux ensembles se chevauchent).

La mobilisation du public pour retrouver Twix semble être un plus sans ambiguïté. Certes, il est mort de froid et/ou déchiqueté par des chiens errants (des volontaires ont trouvé de nombreuses grandes empreintes dans la neige), mais jusqu’alors, des centaines de personnes avaient mis de côté leurs affaires et parcouru la région à la recherche de l’infortuné chat. Ils ont coordonné leurs actions via Telegram et se sont réchauffés les uns les autres en buvant du thé dans un thermos.

Les cyniques pensent qu’il s’agit d’une énergie sociale non dépensée. Selon eux, dans un État “normal” (c’est-à-dire un pays de démocratie occidentale, car il n’y a pas d’autre “normal” à leurs yeux), les citoyens qui ont de l’énergie à revendre trouvent un point d’application de leurs forces dans la grande politique au niveau fédéral et régional, ou du moins siègent dans les municipalités. Mais dans notre pays, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’y en a pas pour tout le monde et qu’il faut donc chercher des chats.

Une thèse controversée. L’âme d’autrui est impénétrable. Bien que la rapidité avec laquelle les grandes structures, y compris politiques, ont réagi à l’incident puisse indiquer qu’elles ont saisi l’occasion de se montrer dans le cadre d’un sujet sûr et non politique, à savoir la protection des animaux. Bien que les catégories “droits de l’homme” et “droits des animaux” soient ici à la surface, cela signifie qu’il s’agit également de politique.

Les chemins de fer russes ont modifié les règles de transport des animaux, ce qui est inattendu pour une structure aussi encombrante. Désormais, leur identification sera obligatoire, leurs données seront inscrites sur le billet. Et si l’animal est sans abri, il ne sera plus jeté dans le froid, mais transféré dans un refuge, comme l’a proposé la Douma d’État. L’Église orthodoxe russe conservatrice continue de qualifier la réaction du public de “réaction excessive”. Pendant ce temps, l’artiste Nikas Safronov, qui ressent clairement la conjoncture, est déjà en train de peindre un portrait de Twix.

À propos, il y a aussi des petits chats qui vivent dans les tranchées de la SVO…..

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