Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le premier changement fondamental de la monnaie depuis deux millénaires

28 DÉCEMBRE 2023

C’est effectivement un bouleversement d’une très grande ampleur et le fait est qu’il a lieu dans la crise du capitalisme à son stade impérialiste… Si la Chine n’adopte aucun des remèdes habituels c’est parce qu’elle est plus que tout autre nations consciente de la profondeur du bouleversement dans lequel elle doit prendre la tête sans le moindre modèle. (note et traduction de danielle Bleitrach dans histoireetsociété)

PAR RICHARD HOLDEN

Photo par Aleksi Räisä

Le premier changement fondamental de la monnaie depuis deux millénaires

Dans mon nouveau livre, L’argent au XXIe siècle, je replace l’argent dans son contexte historique pour expliquer pourquoi il est important et ce qui change. L’extrait suivant de l’introduction du livre soutient que l’argent en tant que moyen d’échange est essentiel à la croissance économique et à la prospérité. Et il explique que trois événements apparemment sans rapport qui se sont tous produits en 2008 – le lancement de l’iPhone, la naissance du bitcoin et la crise financière – ont jeté les bases du premier changement fondamental de la monnaie en deux millénaires.

Pendant des millénaires, le plus grand obstacle à l’efficacité économique a été l’absence d’argent. Ou, pour être un peu plus précis, l’absence de monnaie fiduciaire. Sans un moyen d’échange comme le papier-monnaie, deux personnes souhaitant commercer l’une avec l’autre auraient besoin d’avoir quelque chose que l’autre voulait. Cette « double coïncidence des désirs » est peut-être assez rare. Il est donc très utile d’avoir un moyen d’échange qui contourne ce problème. Cela aide les transactions volontaires à se concrétiser. Et cela signifie que les ressources sont utilisées plus efficacement.

Il n’est donc pas surprenant que l’argent existe depuis longtemps. Le shekel, environ un tiers d’once d’argent, est devenu la monnaie standard en Mésopotamie il y a près de 5 000 ans. [i]

Les premières pièces de monnaie ont été frappées il y a longtemps, au 5eou 6esiècle avant notre ère. Et bien qu’il y ait un différend historique sur l’identité des premiers frappeurs, la nouvelle technologie s’est répandue en Perse après la conquête de la Lydie en 546 avant notre ère, et finalement dans le monde entier.

Au fil des siècles, les monnaies sont apparues et ont disparu, les valeurs des différentes monnaies nationales ont fluctué énormément et les pièces de monnaie ont évolué en billets de banque en papier à partir de la dynastie Ming en 1375. Et de 1870 à 1971, la convertibilité des monnaies en or – l’étalon-or – était au cœur du système monétaire international. [iii] Certains pays ont introduit des billets de banque en polymère qui ont rendu la contrefaçon plus difficile, et les cartes de crédit et de débit ont facilité les transactions avec de l’argent.

Mais, fondamentalement, très peu de choses ont changé pendant près de 650 ans. À partir de l’époque de la dynastie Ming, les gouvernements nationaux, sous une forme ou une autre, contrôlaient des systèmes centralisés de monnaie fiduciaire et avaient un contrôle légal sur la monnaie qui pouvait être utilisée pour l’échange à l’intérieur de leurs frontières.

Et puis, à partir de 2008, trois phénomènes apparemment sans lien entre eux ont peut-être tout changé. Ces trois choses vont redéfinir ce que signifie « l’argent », les rôles qu’il joue et qui le contrôle. Au cours de la première décennie duXXIe siècle, nous avons eu les premiers indices que les taux d’intérêt dans les économies avancées pourraient rester remarquablement bas pendant de longues périodes, peut-être indéfiniment. Et en réponse à la crise financière de 2008, les taux d’intérêt officiels dans les pays de l’OCDE ont été réduits à pratiquement zéro et sont restés plus ou moins à ce niveau jusqu’en 2022.

En 2008, Steve Jobs, dans un dernier acte de génie, a donné naissance au smartphone avec le lancement de l’iPhone 3G. Et bien que cet événement de lancement ait mis l’accent sur la commande de pizzas en ligne, les appels à des amis et le transport de chansons et de photos dans sa poche, l’aspect vraiment révolutionnaire n’était pas encore apparent. Pour paraphraser Jobs lui-même lorsqu’il a lancé l’iPod : « c’est une banque entière, dans votre poche ». Propulsés par le smartphone désormais omniprésent, les paiements numériques avec des monnaies fiduciaires standard sont devenus beaucoup plus courants. Dans certaines régions du monde, les volumes de paiements numériques dépassent ceux de l’argent liquide.

Et en 2008, l’idée de la première monnaie décentralisée au monde, une « crypto-monnaie » appelée Bitcoin, a été annoncée dans un livre blanc apparemment obscur. Soudain, une seule idée intelligente d’une personne ou d’un groupe inconnu connu sous le nom de Satoshi Nakamoto, a mis fin aux monopoles gouvernementaux sur l’argent et a inauguré une ère de finance décentralisée.

Ce livre traite de ces 3 phénomènes : les taux d’intérêt bas, l’argent mobile et les crypto-monnaies. Il s’agit de la façon dont ils interagissent pour changer ce que fait l’argent et qui le contrôle. Et parce que l’argent est littéralement le carburant qui alimente 100 000 milliards de dollars d’activité économique mondiale chaque année, ce livre traite de notre avenir économique.

Depuis la dynastie Ming jusqu’à il y a dix ans, tout avait changé en ce qui concerne l’argent, et rien n’avait beaucoup changé. Sa forme avait changé, sa fonctionnalité s’était améliorée, mais son économie de base n’avait pas changé. Pendant des siècles, il a été un moyen d’échange centralisé, contrôlé par les gouvernements nationaux. Et cela a conféré un pouvoir énorme à ces institutions. En 2022, c’est toujours le cas, mais pour combien de temps encore ?

Notes.

[i] https://theconversation.com/when-and-why-did-people-first-start-using-money-78887

[ii] Aristote pensait que les premières pièces de monnaie avaient été frappées en Phyrgia sous le roi Midas. Hérodote croyait que les Lydiens étaient les premiers. D’autres pensent qu’il s’est produit pour la première fois sur l’île grecque d’Égine.

[iii] Eichengreen, Barry (2019). Globaliser le capital : une histoire du système monétaire international (3e éd.). Presses de l’Université de Princeton : 7.

Richard Holden est professeur d’économie à l’Université de Nouvelle-Galles du Sud, à Sydney. Il est titulaire d’un doctorat de l’Université Harvard et a précédemment fait partie du corps professoral du MIT et de l’Université de Chicago.

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2 Commentaires

  • Daniel Arias
    Daniel Arias

    Les cryptomonnaies comme le Bitcoin tirent leur valeur par le fait qu’elles peuvent être converties en monnaies légales ou du moins ayant une importance commerciale ou comme garantie de leur valeur. D’ailleurs un marché de crypto brokers s’est développé pour spéculer sur ces nouvelles monnaies avec de la “vraie” monnaie.

    Les banques centrales comme la Banque de France ne sont nationalisées que depuis 1946 et l’État contrôle uniquement la monnaie en pièces, les billets de banque et la monnaie centrale qui joue le rôle de régulateur de l’offre de crédit.

    Crédits qui eux ne sont pas des Euros banque centrale, mais des euros de chacun des établissements financiers émetteurs. Il existe ainsi des euros “la banque postale”, des euros “BNP”,… La majorité de la monnaie est propriété de banques particulières. Ils s’échangent entre banque par des mécanismes de compensation.

    Les cartes de fidélité des magasins sont aussi des monnaies qui ont cours que dans les magasins adhérents, tout comme les monnaies locales de quelques villes ou des initiatives associatives ou de commerçants.

    Toute monnaie pour conserver la valeur doit avoir un système régulateur pour éviter l’inflation de monnaie et un système garantissant sont authenticité.

    Une cryptomonnaie repose sur le principe de la blocchain pour certifier chaque élément de la monnaie. Pour faire simple un certificat numérique est émis sous forme de code comme ceux produits par l’algorithme sha256 qui est censé être unique, sans qu’aujourd’hui il ait été possible de démontrer son unicité. (l’algorithme MD5 lui a été invalidé par une équipe chinoise qui a démontré qu’il ne produisait pas de clé unique).
    Une fois ce certificat numérique émis et attaché au document à certifier, ici un Bitcoin, celui-ci est copié sur plusieurs ordinateurs, une base de données distribuée, ainsi si un individu modifie le document la clé de hachage sha256 va varier des copies sur les autres ordinateurs et sera la preuve de la falsification.

    La blockchain garanti l’authenticité d’un document numérique sans tiers de confiance, plus besoin de notaires. Le processus est fiable et repose uniquement sur l’informatique.

    Par exemple la clé générée pour le texte “histoireetsociete” est “36332c7f9070a0c2f82f4bc8e2fe969f1b885b731c918a227e131428df4f51d8”

    Comment produit-on de la monnaie avec de telles clés puisque tout le monde a la possibilité d’en créer ?

    Pour rendre rare la monnaie il faut trouver un facteur limitant, hier l’extraction d’or aujourd’hui c’est l’énergie.

    Une des règles est de fournir une preuve de travail afin de limiter la quantité de crypto monnaies en circulation.

    Chaque bitcoin est divisible jusqu’à la huitième décimale.
    Le Bitcoin est c’est aujourd’hui 21 millions de blocs, environ 1 bloc de 1 Mo est généré toutes les 10 minutes avec une récompense variable en bitcoin pour les producteurs de Bitcoins: les “mineurs”.

    Les “mineurs” sont chargés de vérifier la validité des transactions en utilisant des matériels informatiques dédiés, les rigs de minage composés de plusieurs cartes graphiques choisies pour leurs capacités de calcul très rapides. Le premier mineur qui valide un bloc gagne la prime en Bitcoin.

    Chaque bloc est comme un petit livre de compte contenant les transactions en Bitcoin.
    Le bloc contient un entête généré par une formule mathématique SHA256 qui doit être inférieur à une cible déterminée pour que le bloc soit validé et que le mineur soit récompensé.

    Avec l’évolution du matériel de minage et la puissance croissante des cartes graphiques la valeur de la cible a été diminuée rendant les validations plus coûteuses en énergie. Le Bitcoin pour garder sa valeur ne doit pas valider plus d’un bloc par 10 minutes.
    La génération de l’entête est rendue complexe en nécessitant des milliards d’opérations par seconde.

    La valeur cible de l’entête était récemment pour le bloc 812 406 : 00000000000000000004e90f0000000000000000000000000000000000000000

    alors que la cible du premier bloc était:
    00000000ffff0000000000000000000000000000000000000000000000000000

    On peut remarquer que le nombre de 0 à gauche a augmenté faisant augmenter l’intensité du calcul de l’entête, avec 19 zéro il est plus difficile d’être en dessous de la cible qu’avec 8.

    La cible est automatiquement réévaluée à la baisse ou la hausse tous les 2016 blocs validés pour maintenir un intervalle de 10 minutes quelque soit le nombre de mineurs et leur puissance de calcul connectés au réseau.

    Une cryptomonnaie n’a rien de virtuel comme le pensent certains, bien au contraire, ce sont des centrales électriques qui produisent cette monnaie avec un coût environnemental pour satisfaire l’anarchie capitaliste poussée à son comble, un marché monétaire “hors contrôle” étatique.

    La consommation électrique de production des cryptomonnaies est estimée à la production de 6 réacteurs nucléaires, 71,1 TWh/an (2018) estimation contestée jusqu’à 32 TWh/an, ce qui reste énorme. Elles utilisent aussi une partie de la bande passante d’Internet et des ressources matérielles.

    D’autant plus que cette monnaie une fois utilisée permet des achats eux produits sur des systèmes financiers classiques.

    Il ne faut pas confondre ces monnaies “anarchistes” avec les monnaies électroniques qui peuvent être introduites par des banques en utilisant également la blocchain mais dont la validation est faite par un organisme sous contrôle d’une institution bancaire. Cette solution est sobre en énergie. Le Yuan numérique s’il utilise les technologies de la blocchain pour le traçage n’est en rien une cryptomonnaie, mais bien une monnaie officielle.

    Les cryptomonaies ne devraient pas être difficiles à contrôler en s’en prenant aux mineurs dont la consommation d’énergie électrique est supérieure à la moyenne donc souvent détectable. Il existe aussi le moyen de miner en déportant le calcul dans une page Web et ainsi faire le travail à l’insu des internautes. Les sites qui proposent le streaming illégal doivent bien trouver un moyen de se financer. Là aussi une analyse des scripts permettrait de traquer les mineurs. Si ces monnaies ne sont plus convertibles sur des marchés elles perdent leur valeur et fonction de monnaie.

    Selon l’auteur la monnaie a permis le développement économique ou est-ce l’inverse ?
    Pour qu’il y ait la première marchandise il a fallut le premier produit, les premiers surplus et l’appropriation des produits, la division du travail.

    Ce qui n’est pas démenti par les évolutions de la monnaie qui reposent sans exceptions sur l’innovation technologique et l’industrie créant le support matériel de la monnaie.

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  • Vincent
    Vincent

    Le vrai problème de la monnaie, c’est qu’on considère normal qu’elle soit associée à la création de dette avec intérêts ! Que le crédit bancaire induise la création d’argent est admissible, voire nécessaire, mais que les banquiers cupides aient imposé l’usure comme une normalité est une aberration totale.
    Chez nous, la loi de 1973 obligeant la Banque de France à acheter ses devises à des banques privées contre intérêts, portée par le Ministre de l’économie Giscard d’Estaing pour l’autre Président Rothschild Pompidou est tout simplement une forfaiture, et marque le début de la courbe exponentielle de la dette irrécouvrable. Elle est illégitime.
    Il suffirait d’avoir le courage politique d’y mettre un terme.
    En l’occurrence, la répudiation de la dette illégitime devrait être clairement posée comme partie intégrante voire centrale d’un programme politique qui se voudrait cohérent ou honnête.
    Mais on a fait de la répudiation de la dette un tabou total, qui d’ailleurs nous tient utilement soumis dans les griffes de la BCE, de l’€uro, de la Banque mondiale, du FMI, etc.
    La dette est l’outil des cupides pour nous faire croire à notre soi-disant impuissance politique et nous soumettre au néo-libéralisme impérialiste, stade ultime du capitalisme: c’est la plus grande des tromperies.
    Alors que les exemples sont nombreux dans l’histoire contemporaine de pays l’ayant répudiée, et n’ont pas entrainé la crucifixion des pays l’ayant fait. Voir par exemple ce texte :
    https://blogs.mediapart.fr/cadtm/blog/130123/les-repudiations-de-dettes-de-la-fin-du-xviii-au-xxie-siecle
    Pour ce qui est du Bitcoin et autres crypto-monnaies, la dépendance de ces systèmes à un réseau de production d’électricité absolument fiable est à mes yeux une totale chimère, et une autre aberration idéologique.
    Et c’est sans parler du fait que l’utilisation d’une monnaie numérique va inévitablement de pair avec un système de gouvernance absolument totalitaire.
    C’est d’ailleurs pour cela que l’UE développe l’€uro numérique et les bases juridiques de son utilisation obligatoire en ce moment même.

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