Histoire et société

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Le monde n’a pas besoin de sanctions illégales. Le monde a besoin de paix et de développement, par Vijay Prashad

31 OCTOBRE 2023

La plupart des guerres mondiales sont nées en Europe dans une volonté cupide de nos dirigeants de dépecer la planète, aujourd’hui les temps ont changé, les autres peuples nous suggèrent d’arrêter cette logique-là… D’en adopter une autre profitable à tous. Cet intellectuel indien est venu le dire au siège des Nations Unies (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

PAR VIJAY PRASHADFacebook (en anglais seulementGazouillerSur RedditMessagerie électronique

SIÈGE DE L’ONU. Photo : ONU.

Le monde n’a pas besoin de sanctions illégales. Le monde a besoin de paix et de développement.

(Déclaration faite dans la salle du Conseil économique et social des Nations Unies le 30 octobre 2023).

Bonne après-midi. Je m’appelle Vijay Prashad. Je suis le directeur de l’Institut de recherche sociale Tricontinental. Je remercie le Groupe des Amis pour la défense de la Charte des Nations Unies, et en particulier le Représentant permanent adjoint auprès de l’Organisation des Nations Unies, M. Joaquín Pérez Ayestarán, de la République bolivarienne du Venezuela, pour cette invitation.

Mon institut, Tricontinental, a passé les huit dernières années à étudier de près l’impact des sanctions unilatérales, à examiner de près les lois relatives à ces instruments et à examiner leur impact sur les sociétés qui ont été sanctionnées. Avant de commencer à présenter certaines de nos réflexions sur ces questions, je tiens à dire qu’il est difficile de se concentrer sur quoi que ce soit, vraiment quoi que ce soit, alors que ce génocide cruel se déroule sous nos yeux à Gaza. Il est choquant que plus d’enfants palestiniens soient morts au cours de ces trois semaines à cause des bombardements israéliens qu’il n’y en a eu au total dans les zones de conflit à travers le monde depuis 2019. Aucun enfant ne devrait mourir si cruellement avant de pouvoir s’épanouir. Ni à cause de ces bombardements incessants, ni à cause de la faim induite par les sanctions unilatérales.

Il n’y a pas de moyen facile de définir les sanctions. Lorsqu’un conflit éclate entre pays, toute mesure autre que la guerre appartient à la catégorie des sanctions. Les sanctions peuvent être diplomatiques (retrait des ambassadeurs) ou économiques (obstacles au commerce). Même si les sanctions ne sont pas comme des bombes, leur impact peut être aussi meurtrier comme l’ont démontré les nombreux rapports de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur l’impact négatif des mesures coercitives unilatérales sur la jouissance des droits de l’homme, la professeure Alena Douhan (par exemple, dans ses rapports sur l’Iran, la Syrie, le Venezuela et le Zimbabwe).

Plusieurs questions se posent même avec cette définition de base des sanctions :

1) Qui peut déterminer quand un pays représente un danger ou mérite d’être sanctionné ?

2) Comment faire la différence entre les sanctions économiques extrêmes et les conflits armés ? Un embargo total n’équivaut-il pas à une déclaration de guerre ?

Dans le monde moderne, ces questions doivent être tranchées par les Nations Unies. La Charte des Nations Unies (1945) est le document juridique qui oblige les pays à l’Assemblée générale des Nations Unies et au Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) à examiner les cas de conflit et à trouver des mesures pour régler les différends ou faire pression sur les pays pour qu’ils reconsidèrent leur ligne de conduite.

Le texte central de la Charte des Nations Unies est l’article 41.

Le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée doivent être employées pour donner effet à ses décisions, et il peut demander aux Membres de l’Organisation des Nations Unies d’appliquer ces mesures. Il peut s’agir de l’interruption totale ou partielle des relations économiques et des moyens de communication ferroviaires, maritimes, aériens, postaux, télégraphiques, radiophoniques et autres, ainsi que de la rupture des relations diplomatiques.

Il y a plusieurs points importants soulevés dans cet article.

1) C’est le Conseil de sécurité qui a le pouvoir de décider d’un plan d’action fondé sur sa compréhension des événements dans le monde.

2) C’est le Conseil de sécurité qui agit sur la base de cette interprétation.

3) L’article 41 fournit une liste d’outils possibles à utiliser, mais suggère que ceux-ci ne sont pas exhaustifs.

Chaque État membre de l’ONU doit faire confiance au Conseil de sécurité pour que cette procédure fonctionne. Malheureusement, le Conseil de sécurité de l’ONU n’est pas un représentant parfait de l’opinion mondiale. Cela s’explique en grande partie par le fait que le Conseil de sécurité de l’ONU a une structure non démocratique. Sur les quinze sièges du Conseil, cinq sont occupés par des membres permanents (Chine, France, Russie, Royaume-Uni et États-Unis). Il n’y a pas de membres permanents d’Afrique ou d’Amérique latine, et le pays le plus peuplé du monde – l’Inde – n’en fait pas partie. La composition des membres permanents (dont trois pays de l’OTAN) ne donne pas confiance dans le monde. Le fait que ces pays utilisent leur droit de veto pour exercer leur propre agenda politique étroit plutôt que pour défendre la Charte des Nations Unies délégitime encore plus le Conseil de sécurité des Nations unies. La pression exercée par des pays puissants – en particulier les États-Unis – a limité la capacité du Conseil de sécurité de l’ONU à apparaître comme un arbitre neutre.

De plus, les États-Unis ont – en dehors du système onusien – exercé une politique de sanctions de manière unilatérale. Ces sanctions américaines ne font pas l’objet d’une discussion au sein du Conseil de sécurité de l’ONU et n’ont aucune crédibilité internationale. En fait, les sanctions américaines sont illégales. Il s’agit d’une violation de la Charte des Nations Unies et d’une série de traités internationaux.

L’impact de ces sanctions est monstrueux, et il a été documenté par les Nations Unies et par les différents groupes de défense des droits de l’homme. Non seulement les États-Unis refusent de permettre à leurs ressortissants (y compris les entreprises) de mener des activités commerciales normales avec le pays qu’ils décident de sanctionner, mais ils utilisent leur pouvoir sur le système financier pour amener d’autres pays et entreprises d’autres pays à mettre fin à leurs relations commerciales. Celles-ci sont appelées sanctions secondaires et tertiaires, et elles ont l’impact d’un blocus total sur les pays par ceux qui n’agissent de cette manière que par peur ou par coercition de la part des États-Unis. Le non-respect des mesures coercitives unilatérales devient la règle, et non l’exception, comme le montre la Rapporteuse spéciale Dohan dans son rapport à la 54e session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.

Conscients de la dureté de ces mesures coercitives unilatérales, les pays occidentaux ont plaidé en faveur de « dérogations humanitaires » qui permettraient à la nourriture, aux médicaments et à d’autres biens essentiels de briser le mur des sanctions. Cet argument a abouti à la résolution 2664 de l’ONU en décembre 2022 pour permettre des exemptions aux sanctions afin de « garantir l’acheminement de l’aide humanitaire en temps opportun ou de soutenir d’autres activités qui répondent aux besoins humains fondamentaux ». Mais ces « dérogations humanitaires », aussi bien intentionnées soient-elles, ne fonctionnent pas puisqu’elles ne sont prévues qu’au cas par cas et sont utilisées comme « récompenses » par la partie illégale qui applique les sanctions. Ces « dérogations humanitaires » finissent par légitimer un processus illégal.

Étant donné que ces sanctions unilatérales sont illégales, elles doivent être interdites plutôt qu’acceptées, puis modérées par des « exceptions humanitaires ». Ce qu’il est important de garder à l’esprit, c’est que les sanctions unilatérales ont sapé la capacité des pays sanctionnés à remplir leurs obligations importantes envers le programme de croissance du développement durable (ODD). Nous avons assisté à un recul en termes d’atteinte des objectifs de développement durable : seulement un tiers des pays dans le monde auraient réduit de moitié leur taux national de pauvreté entre 2015 et 2030 et près d’un sur trois (2,3 milliards de personnes) restera en situation d’insécurité alimentaire modérée ou sévère. Ces développements fondamentaux sont gaspillés par des dépenses de 2,3 trillions de dollars en armement, dont plus de 75 % sont effectuées par les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN.

Pourquoi y a-t-il eu ce recul des ODD, aussi limités soient-ils en termes de portée et d’ambition ? En raison d’une série de facteurs, mais surtout en raison de la crise permanente de la dette imposée par le Fonds monétaire international et du régime de sanctions illégal appliqué par les États-Unis.

Le monde a besoin de paix.

Le monde a besoin de développement.

Le monde n’a pas besoin de guerre.

Le monde n’a pas besoin de pauvreté.

Le monde n’a pas besoin de sanctions illégales.

Le monde n’a pas besoin de désespoir.

Le monde a besoin d’espoir.

Le livre le plus récent de Vijay Prashad (avec Noam Chomsky) s’intitule The Withdrawal : Iraq, Libya, Afghanistan and the Fragility of US Power (New Press, août 2022).

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