Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Arundhati Roy prise dans la nouvelle tyrannie de l’Inde

La célèbre romancière fait l’objet de poursuites pénales pour un discours prononcé en 2010 sur le suprématisme hindou, alors que la répression autocratique de Modi s’étend à grande échelle. C’est une figure du pacifisme et de la dénonciation de la manière dont l’occident entretient des ONG aux mains des multinationales pour interdire les luttes contre le néolibéralisme. (note et traduction de Danielle Bleitrach dans histoireetsociete)

Par PRIYA CHACKO14 OCTOBRE 2023

La romancière indienne Arundhati Roy fait l’objet d’un harcèlement judiciaire. Image : Capture d’écran de CNN

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L’écrivaine Arundhati Roy, lauréate du Booker Prize et auteure de The God of Small Things, a été inculpée, ainsi que le professeur de droit à la retraite Sheikh Showkat Hussain, pour des commentaires prétendument séditieux en faveur de la séparation du Cachemire de l’Inde.

Ils s’exprimaient lors d’une conférence à Delhi en 2010, l’année même où le militant de droite Sushil Pandit a déposé la plainte sur laquelle reposent ces dernières accusations.

Près de 13 ans plus tard, le 10 octobre, le lieutenant-gouverneur de Delhi, V.K. Saxena, avec l’approbation du gouvernement de Narendra Modi, a sanctionné les poursuites. Roy et Hussain sont accusés d’avoir fait des déclarations faisant la promotion de l’inimitié sociale, de porter atteinte à l’intégration nationale et d’inciter à des infractions contre l’État et la tranquillité publique.

Il s’agit de la dernière d’une série de poursuites et d’arrestations en vertu de la loi indienne sur la prévention des activités illégales, qui a été modifiée en 2019 pour permettre au gouvernement de désigner des individus comme terroristes, sans suivre de procédure judiciaire formelle.

Roy et Hussain ne sont cependant pas poursuivis en vertu de la loi sur la sédition. (En mai 2022, la Cour suprême indienne a ordonné l’arrêt des poursuites dans de telles affaires, le temps que le gouvernement indien réexamine la loi sur la sédition datant de l’époque coloniale.)

Alors que l’Inde se dirige vers les élections nationales de 2024, la société civile de gauche libérale et les médias indépendants sont devenus des cibles de choix pour le gouvernement Modi.

Critique véhémente du parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party, Roy a profité de son discours d’acceptation du Prix européen de l’essai en septembre pour condamner davantage son gouvernement.

Elle a critiqué la normalisation du suprémacisme hindou dans la vie publique et les institutions, son capitalisme de connivence et l’inégalité économique croissante de l’Inde. Voici ce qu’elle a dit :

Les élections sont une saison de meurtres, de lynchages et de sifflets de chiens – la période la plus dangereuse pour les minorités de l’Inde, les musulmans et les chrétiens en particulier.

Ce n’est pas une de ces militantes chérie de l’Occident au contraire : dans son livre The End of Imagination, elle soutient qu’un grand nombre d’organisations non gouvernementales sont des instruments utilisés par les gouvernements occidentaux, la Banque mondiale, l’ONU et certaines compagnies multinationales pour neutraliser la résistance au néolibéralisme. C’est une figure de l’altermondialisme. Chrétienne, elle s’est retrouvée fréquemment dans les combats aux côtés de marxistes et de pacifistes.

Nous avons publié ici une analyse de cette romancière qui lui vaut d’être arrêtée dans laquelle elle dénonce le racisme indien. Née dans le Kerala elle en porte l’originalité dans la société indienne, un État dans lequel la direction communiste est plus féministe, plus pacifiste, plus égalitaire que partout ailleurs. Arundhati Roy est connue pour son activisme pacifiste, ses multiples combats « pour l’environnement, le droit foncier des autochtones, la cause indépendantiste du Cachemire et contre le fondamentalisme hindou ». Son premier essai, intitulé The End of Imagination (La Fin de l’imagination), était une réaction aux tests nucléaires indiens de Pokharan au Rajasthan. Suivront The Greater Common Good (Le plus grand bien commun), contre la politique des grands barrages menée par le gouvernement indien, et The Reincarnation of Rumpelstiltskin (La réincarnation de Rumpelstiltskin), qui analyse la privatisation des canaux de distribution de choses essentielles comme l’eau et l’électricité. Elle défend l’idée d’après-développement et a participé à sa conceptualisation, ainsi elle a participé à plusieurs forums sociaux, notamment celui de Mumbai (2004).

En mars 2002, elle est condamnée par la Cour suprême indienne pour avoir dénoncé la décision de justice autorisant la construction d’un barrage sur la Narmadâ, condamnation symbolique d’un jour de prison et de 2000 roupies (35 € au cours de février 2004). En 2004, Roy reçut le prix Sydney de la Paix pour son engagement dans des campagnes sociales et son appui au pacifisme. En 2005, elle participa au Tribunal mondial sur l’Irak. Le 29 mars 2010, le magazine indien Outlook publie le récit de sa visite dans les zones contrôlées par la guérilla naxalite maoïste. Ce récit qui veut apporter au public les raisons de cette lutte connaît un écho national et international. Bien qu’elle-même ne partage pas le projet politique et les méthodes des insurgés maoïstes, elle a été durement critiquée par la plupart des médias indiens. Son domicile a été attaqué par des membres de la branche féminine du Bharatiya Janata Party (BJP, nationalistes hindous). Le 7 mai, le ministère de l’Intérieur indien et la police de l’État du Chhattisgarh annoncent avoir enregistré une plainte contre l’auteure, pour violation des dispositions du CSPSA (loi spéciale de sécurité publique du Chhattisgarh).

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