Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Fatalité républicaine

Voici un article de Politis qui paraît pertinent pour mesurer ce que la France doit à un certain bonapartisme que la présidentialisation de la Ve République n’a fait qu’exacerber… J’ai souligné à quel point l’exercice présidentiel mais aussi la surexposition des médias, le sentiment d’appartenir à une élite toute puissante engendrait de véritables délires, un aspect totalement hors sol qui marque tout le personnel politique et dont la mégalomanie creuse des chefs d’Etat comme Sarkozy, Hollande et Macron paraissent autant une cause (d’impunité face à la destruction nationale à laquelle ils se sont livrés) qu’une conséquence de leur mode de recrutement et d’exercice qui finit par concerner tous ceux qui prétendent à la représentation. (note de Danielle Bleitrach dans histoire et societe)

Par Hilaire de Crémiers – Publié le 26 janvier 2023

L’illusion de la gloire personnelle est le grand ressort du régime républicain, tel qu’il fonctionne en France depuis plus de deux siècles.

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Fatalité républicaine

Les événements broient les pauvres hommes. Ils ont beau se croire supérieurs à leur enchaînement, vient un moment où leur volonté n’y peut plus rien. Ils n’en ont plus la maîtrise ; ils sont emportés comme fétus de paille par la série funeste des faits dramatiques qui s’accumulent, généralement doublée par la succession calamiteuse d’implacables malchances, qui souvent ne sont que les conséquences, prévisibles mais non prévues, de choix antérieurs que la suite de l’histoire révèle désastreux. Notre France actuelle en sait précisément quelque chose. Le pays paie des décennies d’erreurs, et risque même de payer au prix fort. Pour des décisions prises en son nom par des personnes qui se sont attribué des compétences sans autre justification que le succès politicien et la nécessité électorale. Aucune responsabilité politique, civique ou morale n’affecte de telles décisions. Il n’y a que l’insuccès ou la catastrophe qui sont censés sanctionner. Et le fait est que l’homme se croit trop souvent plus qu’il n’est. Surtout en politique. Faut-il le malheur pour le rappeler à la vérité ?

Vanité humaine

L’Antiquité eut le fort et insurmontable sentiment de cette vulnérabilité de la condition humaine : toute l’histoire, toute la littérature, tout le théâtre tragique de cette époque en portent la marque. La Justice, pour les Grecs, au-delà même des dieux, la Nécessité, la Destinée ou le Sort imposent leur loi qui dépasse tous les calculs humains ; leurs desseins échappent à la perspicacité humaine trop fragile et, par nature, débile, même serait-ce face aux simples contraintes des circonstances, et fût-elle cependant parfaitement lucide. Le héros doit en tenir compte, l’homme politique aussi. Cette même conception se trouve dans le Fatum des Latins, certes plus rustres et moins subtils. Une telle vision du monde qui comportait en elle-même sa sagesse et son intelligence, a dominé de sa sévère leçon d’humilité la pensée occidentale qui sut la combiner harmonieusement – autant que faire se peut – avec l’idée providentielle et rédemptrice du christianisme.

Pourquoi ces réflexions ? Parce que l’histoire contemporaine n’échappe pas à ces moments de cruelle vérité, terribles en eux-mêmes mais qui pourraient avoir, en outre, des effets salutaires. Et, pourtant, personne n’y songe. Du moins dans le discours public. Dans les cercles de pouvoir de la République où toute notion transcendante a disparu – de vraie transcendance, la République n’étant jamais qu’une idole façonnée au gré des caprices et des ambitions –, chacun fait son malin – et surtout celui qui est au sommet –, en brandissant les hochets de l’autorité et en invoquant des « valeurs » qui n’existent que pour la satisfaction de son propre discours. Surviennent les difficultés. Ne reste plus qu’à se durcir sur des positions mal conçues ou à chercher vainement des issues impossibles, en reculant les échéances. Et l’opinion n’a plus d’autre choix qu’à se plier avec fatalisme à ce qu’on lui présente comme le sens de l’histoire ou à s’agiter dans un activisme stérile et brouillon qui ajoute aux dommages déjà éprouvés. Dans tous les cas il aurait fallu réfléchir avant et se donner les moyens quand il était encore temps. Une certaine modestie ne messied pas à la vie politique. Il est amusant de voir le chef de l’État recommander à tout bout de champ cette vertu qu’il a lui-même bravée par son prétendu volontarisme. Toute cette rhétorique n’est qu’artifice de langage.

Les dessous sordides de la vie démocratique

En France, depuis la Révolution, la légitimité politique n’est plus liée qu’à la prise de pouvoir effective, à la réussite forcenée d’une entreprise personnelle, menée avec des équipes, confirmée électoralement en usant de tous les stratagèmes que permettent les procédés démocratiques. Le droit est ainsi au service de l’ambition victorieuse. Ces pratiques se sont étendues dans le monde et beaucoup de pays en usent et en abusent, mais généralement différemment et selon leur tradition propre. En France, les caractéristiques d’une telle conception du pouvoir sont originales dans leur spécificité et se retrouvent dans les différents modes du régime issu du droit révolutionnaire. L’examen détaillé de tous les gouvernements qui se sont succédés, quelle que soit la forme, autoritaire ou parlementaire, corrobore cette analyse. C’est, d’ailleurs, parfaitement logique. Les plus hautes et les plus vastes considérations, les projets les plus audacieux se ramènent finalement à l’unique question du pouvoir, celle qui vise sa conquête, sa conservation, voire sa reconquête. Ainsi raisonnent-ils, tous sans exception, ceux qui s’imaginent – car c’est de l’imagination – être faits pour la vie politique supérieure, pour cette carrière qui les fascine et qui doit les mener au pouvoir suprême. Il ne s’agit pas ici du service rendu dans une charge publique. Tel le brave magistrat qui s’essaye à faire son devoir pour le bien du prochain. Non, il est question de cette certitude, qui habite certains devant l’attrait du pouvoir, que l’autorité de l’État, à savoir, concrètement la détention des instruments majeurs de la puissance publique, avec tout ce qui l’entoure, sont là pour eux, oui, pour lui, pour elle, – car c’est ainsi et pas autrement – et cette persuasion intime et vitale qui est considérée comme une sorte d’évidence et s’impose à un moment précis, constitue le principe originel, le fondement premier de cette légitimité démocratique dont ils se disent investis. Cette légitimité n’est tant vantée en théorie que parce que sa pratique relève en réalité de subterfuges, de complots, trames et manigances, de procédés de hautes et basses œuvres qui ouvrent dans un tel régime l’accès au pouvoir et en garantissent l’exercice et la conservation. Bien sûr, c’est moins beau que dans les manuels de doctrine. Peu importe ! L’apparence de l’appareil légal de la République couvre de ses draperies les dessous quelque peu sordides de la vie démocratique. Allez donc savoir comment fonctionnent les hautes autorités de l’État français avec ses multiples ministères et agences, et le Parlement français… et la Commission de Bruxelles, et le Parlement européen, et toutes ces instances où se nouent continuellement des trafics d’influence et dont quelques scandales révèlent de temps en temps les habituels agissements.

Légitimité incertaine

Tant que l’affaire marche, la confiance demeure. Suffisante pour continuer. Le problème naît avec le retournement de situation. La légitimité s’effondre avec son fondement qui n’est rien d’autre que la réussite personnelle. Telle est la loi démocratique en France et telle est l’implacable nécessité qui commande à tous les aléas du régime républicain, depuis que la France a rompu avec sa monarchie.

Napoléon, qui a repris à son compte les guerres de la Révolution, en donnant l’illusion d’un succès permanent, après 1812 a perdu la partie. De la guerre d’Espagne, inutile et coûteuse, à la campagne de Russie, totalement insensée dans ses buts et sa réalisation, il se voit entraîner, tout en croyant résister, sur la route fatale de son inéluctable destin qui le mène à Fontainebleau, à Waterloo, à Sainte-Hélène. Il essaye en vain de récupérer sa légitimité personnelle ; il tente à plusieurs reprises de la ressaisir. Inutilement. Et comme il a le sens du drame historique, il rehausse à Sainte-Hélène le récit de son expérience politique et militaire qui s’achève en défaite, par une glorification de sa personne et de son œuvre qu’il offre en testament à la France et qui captive à jamais l’imagination des Français. Tout homme d’État en France – ou qui se croit d’État – a, qu’il le veuille ou non, dans le fond de son esprit une image de l’Empereur, l’homme qui s’est créé sa propre légitimité. Ils en rêvent. Ils oublient que ce fut un échec et qui coûta très cher.

Napoléon III s’est perdu pareillement. Ses coups d’État réussis lui acquirent une légitimité qui s’est écroulée dans le désastre de 1870. Le lendemain, il n’existait même plus. Les républicains de Paris instituent leur gouvernement sur cette cynique constatation : « Les armées de l’Empereur sont vaincues. » La République est donc faite. La défaite de l’un fait le succès de l’autre et constitue sa nouvelle légitimité. Quelle leçon pour qui veut bien comprendre ! Mais il arrivera la même chose aux armées de ladite République. La même crédule persuasion de leur indispensable importance pour le bonheur des Français incitait les hommes politiques de la IIIe République à justifier, sur de belles raisons, leurs ambitions que leur discours parait de nobles vertus.

Hommes des circonstances et lutte des partis

Ils affranchissaient le peuple pourvu que le peuple reconnût la légitimité de leur pouvoir. Ils firent si bien qu’ils menèrent la France, après l’épreuve de la Grande Guerre, à la plus grande défaite de son histoire. « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts », proclamait Paul Reynaud, le 10 septembre 1939. Ridicule prétention qui se voulait une revendication de légitimité comme chef de guerre. On connaît la suite. En juin 40, il perdit toute légitimité en s’enfuyant sur les routes des Landes avec des lingots d’or de la Banque de France et en tuant sa maîtresse dans un accident de voiture. Son gouvernement n’existait plus et les parlementaires renonçaient à toute responsabilité pour remettre au maréchal Pétain les pleins pouvoirs.

La IVe République ne fit pas mieux quand elle se trouva dans l’impossibilité de gouverner. Les pleins pouvoirs, oui, les pleins pouvoirs – c’est oublié et, pourtant, ce fut la formule – furent remis au général de Gaulle. Sa légitimité toute personnelle ne dura que dix années, malgré sa volonté de l’asseoir plus largement et plus longuement. 1968 qui était le contrecoup, jamais vraiment explicité, de 1962, porta un coup fatal à son personnage historique. Il perdit le référendum de 1969 et, logique avec lui-même, se démit de ses fonctions. La légitimité de ses successeurs ne tint, pour chacun d’entre eux, qu’à une équation personnelle : ils étaient l’homme des circonstances et ils ne triomphaient que dans la lutte des partis. Point de légitimité historique et, au fur et à mesure, de moins en moins de légitimité jusqu’au grotesque Hollande qui parlait sans même se rendre compte qu’il était président.

Légitimité macronienne ?

Et, maintenant, Macron. Lui s’est cru légitime parce qu’il a su évincer les autres. Il s’en est fait un mérite. Il a joué sur le fait que les Français en avaient assez des fausses légitimités partisanes. Et le succès lui a garanti la sienne. Cependant, la France reste dans le même schéma. Toute la question est de savoir si pareille légitimité va tenir dans le revirement de situation.

Il se croit le maître ; il ne l’est plus. Les lois se succèdent ; le peuple n’y croit plus. Elles n’ont de cohérence que dans les discours des autorités gouvernementales. Ces mêmes autorités ont détruit au cours des dernières décennies tous les soubassements de la vie sociale. Comment concevoir des systèmes de retraite sans familles fortes, sans démographie assurée, sans professions organisées, sans métiers installés. Il faudrait commencer par le commencement ! L’État, avec ses lois, a tout pulvérisé, anéanti. Comment construire ? L’insécurité, l’immigration, la justice, aucun problème n’est résolu ni ne peut être résolu à coups de discours et de lois. La politique ne consiste plus qu’à pérorer. Les citoyens n’y comprennent plus rien. Macron n’a plus de légitimité à leurs yeux. Les Français, comme le dit fort bien Guilluy, se sentent dépossédés de tout. L’équation personnelle de Macron est réduite à néant.

Alors, il sauve la face en courant le monde et en faisant l’important sur la scène internationale. Il s’imagine y puiser un renouveau de légitimité. Il fait semblant de caresser l’Allemagne qui se moque complètement de la France comme ne le montrent que trop les dernières décisions d’Olaf Scholz, et en dépit de sommets franco-allemands où plus rien n’est en commun.

Il court après l’Angleterre qui décide de rompre définitivement avec l’Europe et d’annuler les milliers de lois qui l’ont reliée à Bruxelles. Il a essayé d’embrigader l’Italie, mais ce fut pour aussitôt la repousser. À Barcelone il s’efforce de créer un couple franco-espagnol pendant que la rue parisienne hurle contre lui.

Et la guerre est devant lui. Il présente une loi de programmation militaire qui est censée compenser les insuffisances de nos armées, accumulées pendant des années d’insouciance criminelle. La vérité est que c’est tard. Trop tard ! Et il faudrait des années de politique suivie pour reconstituer l’indispensable sécurité du pays. Le voilà pressé de tous côtés. L’OTAN, c’est-à-dire les États-Unis, la Pologne, les Pays Baltes, la Roumanie… Et Zelensky qui fait son prêche tous les jours pour obliger le monde à la guerre totale… La Russie ne l’écoutera plus. Ira-t-il jusqu’à livrer des chars Leclerc ? … Et puis… et puis un incident majeur… et puis… Il convient de ne pas oublier qu’il y a encore quelque temps il était dans la disposition de vouloir apporter en cadeau à la souveraineté européenne la dissuasion française.

Cette incapacité de saisir les véritables enjeux risque de le pousser à commettre une erreur d’appréciation. La question est de savoir si elle sera fatale. Fatale à la France, malheureusement. Fatale, en tous cas, à sa légitimité. Que faudra-t-il pour que la France change enfin de paradigme politique ? Tout est affaire de légitimité. 

Illustration : Les 60 ans du Traité de l’Élysée : dans le couple, le chancelier décide seul.

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