Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Mao Zedong et l’évolution des droits de la femme en Chine, par Shuaijun MALLET-JIANG

Ce compte-rendu de travail d’une universitaire de Nantes n’est pas à proprement parler une ode à Mao Zedong, les deux premières lignes ne laissent aucune équivoque sur le sujet, mais il présente néanmoins une vision argumentée du “féminisme” de Mao et de ce que la Révolution communiste a apporté dans le bouleversement de la condition féminine. Partout où s’est installé le socialisme, la condition féminine, en particulier celle des prolétaires, a fait un grand bond en avant. Il serait temps de faire le bilan de tout cet apport. Il est vrai où aujourd’hui le parti communiste français demeure sous l’influence de la social démocratie sous toutes ses formes, des sociaux démocrates aux trotskistes en particulier dans le secteur international et dans la commission féminine, on a tendance pour ces dernières à confondre émancipation humaine et lynchage du mâle, et à ne plus voir l’apport du socialisme en matière d’émancipation du genre humain (note de Danielle Bleitrach pour histoire et société).

Université de Nantes
Laboratoire LLING – UMR6310,
shuaijun.mallet-jiang@univ-nantes.fr
Résumé
Malgré tous les ravages de la dictature de Mao sur la société chinoise, beaucoup reconnaissent que Mao a eu le mérite d’avoir initié le mouvement sur les droits de la femme, dans une rupture totale avec la Chine féodale où les femmes étaient dominées, non seulement par les trois systèmes d’autorité (politique, familiale et religieuse), mais aussi par leurs maris. En même temps, certaines ressources historiques nous amènent à penser que la position de Mao concernant les femmes est bien plus complexe qu’il aimait le faire croire.
Cette recherche s’articule autour des réflexions suivantes : concrètement, quelles sont les propositions initiées et les actions menées par Mao sur les droits de la femme ? Quel était le rôle joué par les femmes dans les réformes colossales réalisées par Mao ? Quelles en sont les répercussions historiques ? Dans une Chine qui est encore confrontée à d’énormes problèmes sociaux liés aux inégalités entre hommes et femmes, l’héritage de Mao exerce-t-il encore une influence, si oui, de quelle manière ?

Introduction

la proportion de femmes occupant des postes de hauts cadres dans tous les milieux de la société (éducation, administration, économie) est plus importante en Chine continentale (la RPC) que dans le reste de l’Asie ainsi que certaines sociétés occidentales. L’auteur du rapport retrace les raisons historiques du phénomène et argumente qu’il s’agirait d’un héritage culturel de certaines propositions sur les droits de la femme par Mao Zedong.

Cet argument est le point de départ du présent article, qui tentera de démontrer les relations entre Mao Zedong et l’évolution des droits des femmes en Chine. Nous verrons que les problèmes auxquels les femmes chinoises actuelles doivent faire face sont encore nombreux et divers.
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Les femmes sous la doctrine confucéenne (1)
Comme tout sujet de recherche, il est important de situer cette question dans son contexte historique. Pour ce faire, nous devons commencer par constater les situations des femmes dans la Chine féodalo-patriarcale, société régie par des canons confucianistes séculaires.
Jusqu’au renversement de la dynastie Manchoue et l’instauration de la première République en 1912, les femmes chinoises vivaient dans une société hyper-masculine fondée sur les thèses confucéennes, et dans laquelle elles devaient se soumettre aux autorités masculines tout au long de leurs vies : d’abord le père, ensuite le mari, puis le fils. Les vertus essentielles de la femme étaient les vertus d’obéissance, de docilité, de piété et de dévotion, mais surtout de chasteté envers les autorités masculines.

La perception de la femme était négative, car il était considéré que la continuité de la « lignée » ainsi que la reproduction de la société étaient uniquement assurées par l’héritier masculin. Les fonctions de la femme étaient circonscrites au cercle familial. Elle n’avait pas accès à l’éducation car l’ignorance était prônée et la stupidité était considérée comme une vertu féminine. Elle subissait certains préjudices physiques, parmi lesquels le bandage des pieds, dû à son confinement à la sphère privée. Cette pratique en faisait des êtres inutiles et coûteux qui devenaient un signe extérieur de richesse pour la famille.

Les thèses confucéennes ont été intégrées de façon inconsciente aussi bien par les hommes que par les femmes ; par conséquent, leurs principales victimes, c’est-à-dire les femmes, étaient elles-mêmes l’instrument essentiel de la reproduction du modèle patriarcal. Ce paradoxe tragique accentue la cruauté de la condition féminine dans la Chine traditionnelle.

Né en 1893 dans une famille de paysans aisés, Mao était tout à fait conscient des conditions de la femme de son époque. Dans le Petit Livre Rouge, Mao décrit l’oppression des femmes chinoises comme féodalo-patriarcale : en Chine, l’homme est généralement soumis à la domination de trois systèmes d’autorité

[l’autorité politique, l’autorité familiale et l’autorité religieuse]

… Tandis que la femme, en plus d’être dominée par ces trois systèmes d’autorité, est aussi dominée par l’homme (l’autorité du mari). Ces quatre autorités : politique, familiale, religieuse et masculine, sont l’incarnation de
l’ensemble de l’idéologie et du système féodalo-patriarcale (2).

Les conditions déplorables des femmes chinoises constatées par Mao dès son enfance seraient l’essence du moteur qui l’animera dans le mouvement d’émancipation féminine qu’il mènerait plus tard.
Ces conditions devraient aussi servir de contexte dans le jugement de la valeur historique de ses efforts.

 Le féminisme au début du XXe siècle en Chine
L’histoire du féminisme contemporain en Chine remonte à la fin du XIXe
siècle, avec l’arrivée des missionnaires occidentaux et leurs épouses. La première école pour filles est ouverte en 1844, et en 1907, le gouvernement impérial légalise l’éducation des filles. Les premières féministes sortent des élites chinoises urbaines cultivées, dont certaines se sont formées en Europe ou au Japon. L’essor du mouvement des femmes coïncide avec un courant des idées modernistes qui condamne les conditions sociales déplorables des femmes. Des associations et une presse féminine joignent leurs efforts à ceux des groupes révolutionnaires, et participent activement à la lutte pour l’émancipation des femmes.

Leurs espoirs sont cependant anéantis à l’instauration de la précaire République de la Chine en 1911, dont la Constitution les prive d’un statut de citoyennes à part entière, en les excluant notamment du droit de vote et d’éligibilité. La révolution entre 1915 et 1919 est généralement considérée comme l’âge d’or du féminisme en Chine. Dans les grands centres urbains, les femmes instruites défendent l’égalité des sexes, le droit des femmes à l’éducation et le droit à l’amour et au mariage libre.

Dans les années 1920, les féministes se trouvent écartées par le parti nationaliste dirigé par Jiang Jieshi (Chang Kaishek), et tentent de conceptualiser la question des femmes dans la doctrine marxiste avec le Parti Communiste Chinois (PCC), fondé en 1921. Nous connaissons les limites de ces mouvements intellectuels progressistes : étant portés par une élite très fermée, ils voient leur influence limitée aux élites intellectuelles vivant dans de grands centres urbains. La scolarisation, même en école publique, est le fait d’une élite socioculturelle très
limitée, et seules les filles issues de familles urbaines privilégiées peuvent en bénéficier.

La position des femmes hors des grands centres urbains reste inchangée. En dehors des grandes villes, les structures morales et les pratiques de l’Ancien Régime perdurent. La pratique du bandage des pieds, par exemple, perdure jusqu’aux années 1950 dans les campagnes reculées.

 La jeunesse de Mao : l’amour libre et la révolution
La jeunesse de Mao est marquée par l’influence des nouvelles pensées qui arrivèrent en Chine vers la fin du XIXe siècle. Il est un fervent lecteur de la revue Xin Qingnian (Nouvelle Jeunesse), parue en 1915, dont les rédacteurs Chen Duxiu et Li Dazhao devinrent quelques années plus tard les pères spirituels du marxisme-léninisme en Chine et les premiers chefs historiques du PCC.

Dans cette revue, l’émancipation des femmes est au cœur de tous les débats. Les articles traitent des thèmes directeurs tels que la dénonciation de la morale confucéenne, le mariage par entremise, le concubinage, la notion unilatérale de chasteté, les préjugés contre le remariage des veuves, et l’encouragement du suicide des femmes au nom de la vertu et de la fidélité. D’une manière sans équivoque, les articles dénoncent l’hyper-masculinité de la Chine féodalo-patriarcale entretenue par l’égoïsme des hommes.

Mao refuse de se plier à une union imposée à l’âge de 13 ans, et devient un fervent défenseur des droits des femmes. En 1918, il fonde la Société d’Étude des Hommes Nouveaux (Xinmin Xuehui) et profère le vœu de ne jamais se marier. Par ailleurs, tous les membres de la société doivent se plier aux règlements intérieurs très stricts concernant la sexualité.

Son refus absolu de la sexualité s’explique par son rejet d’un système de mariage entièrement fondé sur l’inégalité des sexes qui avilit la femme et aliène l’homme. L’idée de péché de chair est absente du puritanisme de Mao. Par conséquent, sa transition vers la lutte pour l’amour libre dans le cadre de l’égalité des sexes se fait tout naturellement à la suite du Mouvement du 4 mai 1919 (3).

Au cours de cette même année, il publie neuf articles en deux semaines sur le suicide d’une jeune fille de Changsha le jour de son mariage.
La lutte pour l’amour libre est par la suite associée à la lutte des classes. En 1927, après avoir vécu pendant quinze ans dans les villes, Mao revient à la campagne dans sa province natale du Hunan. Après ses enquêtes, il rédige un rapport à propos du mouvement paysan dans le Hunan, dans lequel il attribue un rôle révolutionnaire déterminant à la paysannerie chinoise.

Ses enquêtes l’amènent à découvrir que les paysannes pauvres, contrairement aux femmes de la classe dominante, disposent de beaucoup de liberté sexuelle, et que cette liberté peut ébranler l’ensemble de l’idéologie et des institutions féodales et patriarcales. Le sexe, comme une force potentiellement révolutionnaire, pourrait servir à la révolution sociale. La lutte pour l’amour libre et l’émancipation des femmes est ainsi associée à la lutte de la classe prolétaire

 Femmes et maoïsme : « Les femmes soutiennent la moitié du ciel. » (4)

Vers la fin des années 1930, le PCC se trouve retranché dans les campagnes à la suite de leur éviction hors des villes par les Nationalistes. Dès lors, Mao perçoit le potentiel révolutionnaire des masses rurales, et par-dessus tout, celui des femmes qui devraient être intégrées aux activités politiques et économiques. Durant toute cette période, de nombreuses réformes sont appliquées en faveur des femmes, réformes qui contribuent à un bouleversement sans précédent de la position des femmes chinoises. Pour la première fois depuis des millénaires, celles-ci ne sont plus confinées à la sphère familiale, et sont autorisées à évoluer dans la
sphère publique.


Soviet du Jiangxi: égalité dans la sphère privée
Au début des années 1930, Mao effectue personnellement des enquêtes à la campagne de la zone soviétique. Ses observations se résument principalement en deux points : tous les riches, propriétaires fonciers ou paysans, ont une femme ou même plusieurs, tandis que parmi les
deux couches sociales les plus défavorisées, seule une petite minorité a la possibilité financière d’avoir une épouse, conformément à la tradition de la dot. Dans l’esprit de Mao, la question sexuelle passe ainsi de la lutte des classes à la lutte pour l’égalité devant la sexualité (5).

En août 1930, il fait publier un décret qui donne droit à l’amour et l’union libres entre hommes et femmes. En l’espace de deux mois, quasiment tous les paysans moyens et pauvres ont trouvé des femmes.

En 1931, le gouvernement de la République Soviétique chinoise (6)
publie la Réglementation sur le Mariage qui garantit à la population la liberté d’aimer, et surtout de ne pas aimer (7).
En raison des souffrances des femmes causées par la domination féodale et le manque d’indépendance financière et physique (dont les pieds bandés), la protection des intérêts des femmes est mise en avant en cas de divorce. Dans l’histoire de la Chine, il s’agit du premier texte juridique moderne qui codifie la pratique du mariage entre individus libres et égaux.
Malgré les nombreuses déviations de gauche et de droite (8), la réforme de Mao sur le mariage est fortement révolutionnaire, étant données les morales traditionnelles qui dominent la Chine depuis de longs siècles. Isaac Deutscher, entre autres, a fait remarquer le caractère paradoxal de la révolution communiste chinoise dans le sens où « la plus archaïque des nations assimilait avidement la dernière trouvaille des doctrines révolutionnaires et la traduisait en action ».

En 1934, le gouvernement soviétique publie la Loi du mariage qui constitue un renforcement des idées de la Réglementation sur le Mariage de 1931. Voici ci-dessous quelques décrets principaux :
 Âge minimum : 18 ans pour les filles et 20 ans pour les garçons ;
 Obligation de déclarer les mariages devant les autorités ;
 Interdiction de polygamie et de concubinage ;
 Autorisation pour les enfants de choisir entre les patronymes de leurs parents ;
 Divorce par consentement mutuel : enfants automatiquement confiés à la mère, le père devant verser une contribution financière.

Ces textes servent de référence en matière de codification du mariage, et aussi de base aux réformes d’après-guerre.

 La Longue Marche (1934-1935)
En 1934, le PCC se voit obligé de quitter le Soviet de Jiangxi sous les attaques des Nationalistes. Les communistes entament une fuite de plus d’un an dans un périple à travers les montagnes, jusqu’aux régions plus reculées à l’ouest du pays. Environ deux cents femmes font partie de la marche, seulement quelques dizaines arrivent à destination, Yan’an. Pendant la marche, ces femmes contribuent énormément à l’organisation et au fonctionnement quotidien car elles s’occupent de la Communication avec les paysans (éducation, soins médicaux, propagande) et se chargent des services de logistique pour les soldats.

Dans les faits, ce sont des femmes courageuses et combatives : non seulement elles doivent supporter les souffrances physiques et morales autant que n’importe quel soldat masculin, mais elles sont aussi sujettes aux diverses souffrances liées à la féminité, telles que les menstruations, les grossesses, les accouchements. Certaines parmi elles doivent survivre à l’abandon de leurs enfants nés sur la route ; elles les confient aux paysans qui veulent bien les recueillir. Les femmes de la Longue Marche sont par la suite mythifiées au-delà des faits historiques, au service du Parti et du pouvoir de Mao. Ces femmes sont érigées en modèle de vertu communiste, et cette conception pragmatique de “femme vertueuse révolutionnaire” a
pour but d’intégrer l’ensemble des femmes prolétariennes. À partir de cette époque, ce modèle est inlassablement transmis à travers tout type d’outils de propagande, y compris les peintures, les statues, ou encore les rôles tenus par les femmes au théâtre ou au cinéma.

 La période de Yan’an (1935-1948)

À la différence de l’esprit du Jiangxi alimenté par un grand souffle de romantisme révolutionnaire, l’esprit de Yan’an se caractérise par une discipline implacable qui exige l’assujettissement de la nature humaine aux impératifs de la lutte des classes et de la résistance antijaponaise (9).

La direction du PCC, avec Mao à sa tête, continue la promotion d’une série de mesures officielles visant à l’émancipation des femmes.
 En 1937, le droit de vote et d’éligibilité est accordé aux femmes.
 En 1942, le trafic et l’esclavage de petites filles sont interdits et les esclaves libérées.
 Des communautés de femmes s’établissent à tous les niveaux administratifs.
 Le droit de se remarier est accordé aux veuves (10).
 Le mouvement anti-bandage de pieds est officialisé par la publication de lois et renforcé par la surveillance.
 Au niveau de l’éducation, la première université pour femmes ouvre ses portes en 1939.

Malgré les différentes actions menées pendant cette période, le résultat n’est pas à la hauteur des espérances de la direction du Parti. Au sein de la direction, une seule femme, Cai Chang, est membre du Comité Central du Parti, mais aucune ne participe vraiment à la formulation des réglementations, domaine qui appartient uniquement aux membres de la haute sphère.
Aux niveaux inférieurs, des écoles qui forment des femmes cadres existent, mais la formation est centrée principalement sur les théories marxistes, elle ne traite pas les problèmes spécifiques aux femmes ou le mouvement des femmes. Après la formation, leur mission principale se limite à la mobilisation et à l’encadrement des organisations féminines. Dans la région de Shaan-Gan-Ning, les femmes participent activement à la vie politique locale, elles votent massivement, parfois au grand dam d’une partie de la population masculine. En participant aux votes, les femmes se familiarisent avec le processus électoral et détiennent environ 25% des sièges des Assemblées Représentatives Populaires de tous niveaux administratifs.

Concernant la pratique des coutumes traditionnelles telles que le bandage des pieds et les mariages arrangés, peu de progrès sont constatés durant cette période, quand bien même le Comité Central serait résolu à s’y attaquer. Dans cette région en particulier, la pratique du bandage des pieds perdure au-delà de 1950, tandis que des annonces de « ventes de jeunes filles pour mariage » sont encore publiées dans des journaux locaux en 1946. Une des raisons de cet échec serait l’absence d’une application forcée des nouvelles réglementations, par crainte des révoltes sociales sévères auxquelles le Parti n’est pas en mesure de faire face.

 Lois et protection des femmes après la fondation de la République Populaire de Chine (RPC)

Tout de suite après la prise de pouvoir, la « loi de la réforme agraire » est promulguée en 1950 et garantit les droits de propriété aux femmes, au même titre que les hommes. Se fondant sur la Réglementation sur le Mariage de 1931, la loi est publiée en 1951. C’est un texte très important, le premier texte national visant à améliorer la condition féminine. D’un point de vue historique, cette loi se situe dans la lignée des réglementations sur le mariage de l’époque de Yan’an, représentant un compromis entre l’idéologie et la réalité, tandis que celle de l’époque du Soviet de Jiangxi mettait l’accent sur la liberté de l’amour. Cette loi de 1951 permet l’instauration définitive du « nouveau mariage démocratique » fondé sur le libre choix des partenaires monogamiques, avec des droits égaux pour les deux sexes et la protection des intérêts légitimes des femmes.
En 1953, dans la lignée des réglementations de l’époque Yan’an, la loi de vote est publiée afin de garantir le droit de vote aux femmes. Les femmes en tant que partie de la force de travail sont appelées au front de la construction de la nouvelle société socialiste. Elles doivent recevoir le même salaire que les hommes pour le même travail. Une égalité véritable entre sexes est fixée comme objectif, via la transformation de la société dans son ensemble.

 Le Grand Bond en Avant (1958-1961)
Le problème démographique commence à créer des remous dans la société à partir de 1954.
Deux types de réactions se mêlent : l’une néo-malthusienne et l’autre pro-nataliste. En juin 1957 Mao prononce un discours appelant à l’optimisme, déclarant que la population de 600 millions d’hommes constitue un capital. Au printemps suivant, l’optimisme mesuré de Mao est devenu délirant : grâce à la direction du PCC et à une population aussi nombreuse, la Chine peut rattraper le retard avec les pays développés en beaucoup moins de temps que ce qui a été prédit.
Pour réaliser le Grand Bond en Avant, la force travailleuse que représentent les femmes est loin d’être négligeable. Pendant cette période, la participation des femmes au travail augmente sensiblement. Avec la collectivisation du secteur agricole vient la socialisation des tâches
domestiques, dans le but de libérer les femmes de leurs domiciles et leur permettre de participer aux travaux de production. Des crèches et garderies sont créées pour garder les enfants, en même temps que des usines de préparation d’aliments et de restaurants publics pour soulager les femmes des fonctions culinaires. Ces mesures sont à double tranchant. En cas de défaillance des structures publiques, les femmes se retrouvent avec un « double fardeau » : elles doivent assumer non seulement les tâches ménagères, mais aussi la même charge de travaux publics que les hommes. De plus, malgré le slogan de « paix égale entre sexes », la discrimination salariale reste pénalisante en ce qui les concerne.
Et quand bien même les structures publiques fonctionneraient bien, elles empiètent sur l’unité familiale et détruisent la vie de famille. Beaucoup de femmes ne sont plus en mesure de garder leurs enfants au foyer ; il existe même des camps de travail unisexes qui séparent les époux. Aussi bien durant cette période que pendant les dix années de la Révolution Culturelle qui a lieu par la suite, les femmes sont dotées d’un rôle public qui les assimile aux hommes : le slogan « ce que peuvent faire les hommes, les femmes le peuvent aussi » appelle les femmes à s’habiller comme les hommes avec des tenues du même style et des mêmes couleurs. Dans le travail, les femmes sont évaluées avec les mêmes critères que les hommes, sans tenir compte des spécificités physiques propres à leur sexe. En résumé, il existe un large fossé entre la théorie d’égalité et l’expérience concrète, car l’idéologie égalitaire communiste ignore les inégalités réelles entre les sexes découlant notamment de leurs différentes constitutions physiques. Néanmoins, cette période permet effectivement une évolution extrêmement large des femmes dans la sphère publique .

1 A. S. TUMINEZ, « Rising to the Top? A Report on Women’s Leadership in Asia», Université Nationale de Singapore, 2012. [En ligne]. Disponible sur http://sites.asiasociety.org/womenleaders/wpcontent/uploads/2012/04/Rising-to-the-Top.pdf.

2 Z.D. MAO, Le Petit Livre Rouge, Édition du Peuple, 1964, chapitre 31 « Les femmes ».

3) Le Mouvement du 4 Mai est le nom donné à un mouvement nationaliste chinois, principalement dirigé contre les prétentions de l’empire du Japon sur la Chine, qui débute le 4 mai 1919.
4) Il s’agit d’un célèbre slogan de propagande attribué à Mao Ze Dong, dont l’origine exacte est cependant inconnue.
5) La morale sexuelle a joué un rôle important dans la révolution chinoise. L’une des armes les plus efficaces utilisées par le Guoming Dang (Parti Nationaliste) dans sa lutte contre le PCC fut probablement l’allégation que
les révolutionnaires collectivisaient les femmes et, par conséquent, conduisaient au chaos sexuel. Lorsque Mao Zedong créa le Soviet du Jiangxi, les rumeurs sur la collectivisation des femmes redoublèrent de virulence. Il s’agit en réalité d’une stratégie fort efficace ayant pour objectif de contrer le flux révolutionnaire dans une Chine prisonnière de la moralité confucéenne.
6) Aussi appelée Soviet du Jiangxi, elle exista de 1931 à 1937 avec le soutien de Moscou sous la présidence de Mao Zedong.
7) Jusqu’au Mouvement du 4 Mai 1919, une majorité écrasante des mariages était conclue selon la doctrine du mariage prédestiné, sous l’autorité parentale.
8) Parmi les déviations de gauche figure le cas où les soviets locaux, dans certains cantons de Ruijin, obligeaient les veuves à se remarier sous cinq jours ; parmi celles de droite, dans certains districts de Gongle, il était interdit aux femmes de demander le divorce.
9) Concernant le puritanisme et l’austérité des mœurs qui, pour beaucoup, font partie des fondements du communisme chinois, Hu affirme que la politique du couple du Parti Communiste Chinois n’a pas toujours eu
pour axiome le rigorisme moral : « Le relâchement des mœurs dans le soviet du Jiangxi, sans s’engager dans la voie de la révolution sexuelle telle que la concevait Wilhelm Reich, n’en était pas moins bien réel. » (« Mao Tsétoung, la révolution et la question sexuelle », Revue française de science politique, 23ᵉ année, n°1, 1973, p.59- 85).
10) Les femmes épouses des soldats rouges n’avaient pas les mêmes droits que le reste de la population en matière de divorce : la réglementation de 1931 leur interdisait le divorce sans l’accord du Parti ; celle publiée en 1944, pendant la période de Yan’an, leur interdisait la demande de divorce tant que durerait la guerre sino-japonaise, sauf cas très exceptionnels.

1 A. S. TUMINEZ, « Rising to the Top? A Report on Women’s Leadership in Asia», Université Nationale de Singapore, 2012. [En ligne]. Disponible sur http://sites.asiasociety.org/womenleaders/wpcontent/uploads/2012/04/Rising-to-the-Top.pdf.
Mao Zedong et l’évolution des droits de la femme en Chine
Shuaijun MALLE

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