Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Les oligarques ukrainiens font les frais de leur rupture avec la Russie.

Nous savions déjà avec Elon Musk le monde impitoyable de la finance, mais celui des oligarques ukrainiens n’est pas triste non plus. En gros, ces sangsues qui avaient massivement opté contre la Russie ont perdu une part de leurs avoirs dans l’opération spéciale par exemple avec la reconquête de Marioupol. Mais la perte s’avère ne pas être seulement liée à l’offensive russe dans le Donbass et dans le sud, mais c’est aussi de la rupture des liens commerciaux que résulte l’amoindrissement de leur patrimoine et la manière dont ils ont confié leur capitaux à l’occident, aux USA, aux Allemands… Une sorte d’illustration des vertus attribuées au capitalisme d’Etat qui selon l’article caractériserait la Russie et qui aboutirait à une garantie comparable à celle que la Chine offre aux investisseurs capitalistes, locaux ou étrangers: “ne vous mêlez pas de politique et on vous laissera faire des profits, tout autant qu’ils correspondent aux choix politiques de l’Etat.” (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop pour histoireetsociete)

https://vz.ru/world/2022/12/28/1192938.html

28 Décembre 2022, 11:56 am
Photo : Danil Shamkin/NurPhoto/Reuters
Texte : Nikolay Storozhenko

Il s’avère que les personnes les plus riches d’Ukraine perdent rapidement leur fortune. On pourrait mettre cela sur le compte du conflit militaire, mais en réalité les raisons de la ruine des oligarques ukrainiens sont bien plus profondes. Ces processus ont commencé lorsque Kiev a décidé d’entamer une rupture civilisationnelle avec Moscou, soutenue, curieusement, par les États-Unis.

Traditionnellement, à la fin de l’année, le magazine ukrainien Forbes recense le capital des personnes les plus riches du pays. Cette année, il n’y a plus grand chose à compter. La liste ne comprend que deux douzaines d’oligarques. Cependant, la question de savoir si un homme d’affaires disposant d’un capital de 300 à 400 millions de dollars est digne du titre de véritable oligarque est une grande question. Le capital global des riches ukrainiens a diminué de moitié en un an – de plus de 40 milliards à 22,5 milliards de dollars. Le plus riche des Ukrainiens, Rinat Akhmetov, a perdu la moitié de cette somme.

Plusieurs personnes ont été rayées de la liste avec les mentions “perte de la citoyenneté”, “problèmes avec les affaires” et même “suspicion de trahison”. En bref, les riches pleurent aussi. Il ne manque plus que Veronica Castro.

Une nouvelle dékoulakisation

Il est difficile de compter l’argent des oligarques ukrainiens cette année, et pas seulement à cause des hostilités. L’État y est également pour quelque chose. Il y a environ un mois et demi, les avoirs de quatre habitués de cette liste (Igor Kolomoïsky, Konstantin Zhevago, Vyacheslav Boguslayev, Konstantin Grigorishin), d’une valeur totale de près d’un milliard de dollars, ont été transférés à l’Etat ukrainien. Au final, seul Zhevago a réussi à rester dans le classement.

Il est tout à fait possible que le principal oligarque ukrainien soit le prochain sur la liste. Fin novembre, on a appris que la Cour constitutionnelle d’Ukraine a repris l’audition de l’affaire concernant la privatisation illégale d’Ukrrrukprom (la société qui détenait les principaux actifs miniers de l’Ukraine post-soviétique). En 14 ans, ils ont rapporté aux oligarques 6,4 milliards de dollars de bénéfices nets. En grande partie précisément à Akhmetov.

Il est également question de priver l’oligarque de son deuxième empire, celui de l’énergie. Cette question a été rediscutée après les frappes systématiques des forces armées russes sur les installations de production et de distribution d’électricité en Ukraine. Dans les conditions des opérations de combat, le secteur de l’énergie devient un secteur “doublement stratégique” – une raison commode pour la nationalisation. 

Cependant, tous les problèmes des oligarques ukrainiens ne sont pas causés par la SVO. Les autorités ukrainiennes ont adopté une politique d’expropriation des riches locaux il y a un an. En novembre 2021, Volodymyr Zelensky a signé une loi visant à prévenir les menaces pour la sécurité nationale que représente l’influence excessive des oligarques. 

“Couper les liens avec Moscou” comme stratégie commerciale

À ce stade, il est bon de rappeler que le capital national ukrainien a, dans la plupart des cas, mené ou soutenu activement l’indépendance. Loin de la Russie, loin de Moscou. Des projets de partenariat avec des entreprises russes ? Pas intéressé !

Quelqu’un se souvient-il des accords de Kharkov et du paquet de propositions de Vladimir Poutine qui les accompagnait ? Une usine pour produire du combustible pour les centrales nucléaires, des commandes aux chantiers navals ukrainiens, une coopération dans l’aviation civile. Tout cela faisait les gros titres en 2010.

Mais il n’y avait pas que ça. Les deux Maidans ukrainiens ont été soutenus avec ferveur par le capital national ukrainien – les fameux oligarques. Y compris ceux dont les entreprises fabriquaient en même temps des produits destinés à être expédiés sur le marché russe. Aujourd’hui, il n’y en a presque aucun dans le classement Forbes, mais avant l’Euromaïdan, Petro Porochenko, Yuriy Kosyuk et Andriy Verevskiy (tous deux sont des producteurs agricoles : huile de tournesol, œufs et volaille) exportaient activement vers la Russie. 

Dans les batailles sur Internet, on a coutume de dire de ce genre de choses : “ils l’ont bien cherché”. Ce sont les liens avec la Russie qui ont fait naître les capitaux ukrainiens – et la rupture de ces liens les a naturellement détruits. L’année 2022 tire un trait sur ce long processus.

Plus des oligarques

En ce qui concerne la Russie et l’Ukraine, le mot “oligarque” n’a plus la signification qu’il avait dans les années 90. La célèbre semibankirshchyna [les 7 banques, NdT] n’existe plus, pas plus qu’un conseil informel des oligarques ukrainiens. À la fin des années 2000, quatre ou cinq personnes détenaient une participation majoritaire dans la Verkhovna Rada (Parlement) et, par le biais d’accords de coalition, elles pouvaient former le gouvernement à leur guise, adopter des lois, imposer les conditions nécessaires à la privatisation, etc. À cette époque, personne ne pouvait nommer le chef de l’Ukrenergo ou du NERC sans l’accord d’Akhmetov, et le chef de l’Ukrnafta ne pouvait être qu’une créature de Kolomoïsky.

Mais déjà à l’époque de Porochenko, l'”approbation” de ces nominations est passée des oligarques à l’ambassade des États-Unis. Pour les postes moins importants, des recommandations pouvaient être données par les ambassades du G7 ou le bureau de l’UE à Kiev.

Rien de tout cela n’a été caché. En 2019, le procureur général d’Ukraine de l’époque, Yuriy Lutsenko, a publié un article contenant une liste d’intouchables qui ne pouvaient pas être poursuivis par son bureau. La liste lui avait été remise par l’ambassadeur américain. Dans le même temps, la nomination de M. Lutsenko à ce poste a fait l’objet d’un lobbying de la part de l’actuel président américain Joe Biden. On ne comprend donc pas très bien pourquoi cela a surpris Lutsenko ? Celui qui fait dîner le procureur général le fait danser aussi.  

Je vais aller vivre à Kiev.

Mais la perte d’influence sur la politique n’est pas la seule chose que les oligarques ukrainiens et russes ont en commun. “Rmpre avec Moscou” était également pratiqué par de nombreux oligarques russes. Beaucoup se souviennent des appels constants de Vladimir Poutine à rapatrier en Russie l’argent situé dans des juridictions étrangères. Savez-vous quand il lançait ces appels ? En 2002. Aujourd’hui, cette prédiction d’il y a 20 ans s’est réalisée. Et ceux qui ont choisi l’Occident comme garant de leurs capitaux sont maintenant littéralement en train de mendier de l’argent pour vivre – voir le cas Friedman.

Par ailleurs, il existe un exemple unique de l’oligarque russo-ukrainien Konstantin Grigorishin. Il est né à Zaporojié. Après l’effondrement de l’URSS, il a obtenu la citoyenneté russe, mais il a fait des affaires en Ukraine (avec, selon ses propres estimations, 95 % de ses actifs dans ce pays). Déjà sous feu Porochenko, il avait demandé (et obtenu) la citoyenneté ukrainienne. Apparemment, dans le but de préserver ses actifs (les actifs russes en Ukraine ont commencé à être confisqués à l’époque).

L’histoire ne dit rien sur la somme qu’il a “déboursée” pour son passeport et son immunité. En tout cas, cela n’a servi à rien : sous Zelensky, il s’est fait arnaquer. Tout comme Friedman a été arnaqué et Abramovich a été dékoulakisé.

Et c’est bien fait pour eux, en fait. Pour tous ces manoirs, yachts, clubs de football, vingt ans d’ivresse à Courchevel. Et surtout, pour le fait que maintenant, implorant le pardon et l’amnistie, ils “font don” de leur capital pour aider l’Ukraine. Bien qu’auparavant, ils n’ont pas aidé la population du Donbass d’un seul centime. 

Des amis inséparables

Ainsi, tant en Russie qu’en Ukraine, les oligarques perdent leur influence. Tous deux sont soumis à la dékoulakisation – s’ils ont confié leurs capitaux à l’Occident. Mais il y a une différence essentielle entre eux. 

Les Ukrainiens sont une espèce en voie de disparition. Pas à cause de la loi de Zelensky. Mais parce que le capital national sera toujours en concurrence avec Washington pour l’influence sur le pouvoir ukrainien.

En Russie, la formule de coexistence avec les autorités a depuis longtemps fait ses preuves : investissez en Russie si vous gagnez de l’argent en Russie. Et ne vous mêlez pas de politique.

Dans l’économie de marché classique, il existe une formule : l’État est le gardien de nuit. C’est là que son rôle est censé s’arrêter. Et les grandes entreprises, les titans proverbiaux des fantasmes d’Ayn Rand, feront tout elles-mêmes. 

L’année 2022 a finalement mis fin à ces fantasmes. L’État et le capital national (le capital russe du moins) ne sont pas seulement des alliés naturels, mais les seuls à être véritablement intéressés par l’existence de l’autre. Et l’exemple de l’Ukraine montre clairement que le démantèlement de l’État et le démantèlement des oligarques se feront en parallèle : Washington n’a besoin d’aucun des deux. Ils sont simplement utilisés comme un bélier temporaire contre la Russie.

Exactement comme les Ukrainiens n’en ont pas besoin. Et c’est pourquoi ils sont condamnés. Et pas du tout à cause de la SVO et des problèmes qui l’accompagnent – ils ne font que précipiter l’inévitable.

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1 Commentaire

  • rhodine
    rhodine

    Par contre il semble que Monsieur Zelenski ait, lui quatruplé sa fortune, autrefois estimée à plus de 200 millions de dollars selon les Panama Papers

    Répondre

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