Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

EST-CE QU’IL EST POSSIBLE DE NE PAS (LE) TRAHIR ?

Tous les 24 décembre qu’il me reste à vivre vais-je devoir subir cette caricature, cet album de famille dans lequel certains ont introduit des montages avec leur photo pour laisser croire qu’ils nous ressemblent ou pire encore que nous leur ressemblions.

Qui parmi vous se souvient de la manière dont nous avons tous été empoisonnés le jour des funérailles d’Aragon ?… enfin pas tous, ceux qui avaient été déjeuner dans un restaurant proche qui, je crois, s’appelait le Merle blanc ou alors je confonds avec les pigeons avariés qui nous ont été servis… Il faisait froid, le matin de la célébration, sur le parvis, la chaleur à l’intérieur, les chocs thermiques. j’ai été la première à vaciller (j’ai passé ma vie à m’évanouir, ça c’est plutôt amélioré avec l’âge). On m’a allongée dans un dortoir du service d’ordre, au milieu des vêtement entassés, des lainages respirant la sueur.

J’étais terrassée, incapable de bouger, un médecin est venu et m’a enfoncé dans une veine une piqure antispasmodique… il n’a rien diagnostiqué si ce n’est de l’émotion, le chagrin… Un peu plus tard des nouvelles sont parvenues, la fédération de la Seine Maritime au retour dans le train vers le Havre avait présenté des symptômes qui à l’inverse des miens ne souffraient aucune équivoque… Gisèle Moreau était rentrée chez elle, peu de temps après elle était aussi malade à crever. Elle a tout même trouvé la force de se moquer de nous au téléphone… nous avions toujours elle et moi des moments où le rire était l’ultime décence du deuil, de nos sentiments de fin d’un monde, celui de notre étonnement de voir disparaître ce prince qui avait accepté de traverser l’Histoire à nos côtés.

Je l’ai imaginé lui avec son grand chapeau, son élégance, s’inclinant et me disant : “Ne souffrez pas je n’en vaux pas la peine!” et le sourire m’est revenu… Mais non voyons cher Aragon, c’est un simple remake du complot des pigeons. Un traquenard. “Ces gens-là sont ridicules et ils nous inventent comme ils sont. Leur monde est un coupe gorge, un mauvais lieu, dans lequel ils vous empoisonnent”. Ces pigeons à la farce putréfiée ne peuvent être le simple mauvais coup d’un gargotier faisant recette non vous dis-je, cela porte la signature de Mitterrand dont vous ne vouliez pas de la légion d’honneur et qui vous a refusé les funérailles nationales. Il est allé jusque-là, il en est bien capable, il a prétendu vous interdire la nation, l’homme de la francisque de Vichy, il a pu agir ainsi, parce que nous l’avons juché là où lui et les siens pouvaient tout se permettre… Ce serait bien digne de cette pourriture de presse, Libération, qui vous a arraché vos dernières larmes d’épuisement en vous traitant de gâteux, Moscou la gâteuse ont-ils osé parodier sans le moindre talent? Vous n’imagineriez pas ce que désormais certains sont capables de faire pour obtenir un article dans cette presse-là, pour un passage à la télé? Aussi qu’allions-nous faire à l’Elysée? Cela se prend comme le Palais d’Hiver ou cela se dédaigne, mais on ne va pas chez ce radical qui représentait tout ce que vous haïssiez dans les beaux quartiers. Exactement ce qui toujours mène à la boucherie des tranchées, là où on exige qu’un gamin de vingt ans fasse la preuve qu’il est un “homme”, hier comme aujourd’hui et bien moins que demain… Dans quoi nous sommes nous commis, nous les communistes, je vous le demande ? Tout ça parce que nous détestions la grandiloquence, l’enflure, le spectacle de l’anarchie nous a donné de la retenue et ils nous ont dépouillés de l’insolence.

Ils ont tout envahi aujourd’hui, tant de bassesse, Louis vous ne nous reconnaitriez plus… “Allons, il faut parler, dire ce qu’ils ont osé? Approuver la guerre et après cela se taire comme si cela était normal, tous l’on fait et après on s’expédie vos vers mis en musique par Jean Ferrat. On vous sort du placard…

Il y a quarante ans… Il avait à peu près l’âge que j’ai aujourd’hui et un tel besoin jusqu’au bout de choses vraies et justes. Le beau tel qu’il le concevait dans son dépouillement de toute simagrée alors qu’il n’y a plus que ça, pas un être humain en qui pouvoir avoir confiance… Ne jamais retrouver la simple évidence que cela ne peut pas être autre parce qu’ainsi c’est juste, il fallait que ce soit ainsi que quelque chose enfin coïncide…. Alors que l’on découvre à chaque moment le mensonge de toute célébration, la vulgarité de ce qu’ils font de vous, de ce qu’il reste de nous…

Alors à cet âge-là, le vôtre, je le découvre maintenant quarante ans après, comment on hésite entre sauver les apparences pour ne pas avoir vécu pour rien ou défendre au contraire le peu de vérité qui subsiste en refusant de se prêter au jeu…

Mais les autres, ceux qui renient, sont encore pire, grotesques tout simplement… Moi il me reste quelque chose qui parfois ressemble au bonheur, un regard, une main que l’on serre, un rire et enfin l’impression que l’on se comprend, ce luxe de s’être grâce à vous dépouillé de tant de conformités et d’avoir atteint… presque…

Danielle Bleitrach

Que la vie en vaut la peine

C’est une chose étrange à la fin que le monde
Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit
Ces moments de bonheur ces midis d’incendie
La nuit immense et noire aux déchirures blondes
 
Rien n’est si précieux peut-être qu’on le croit
D’autres viennent ils ont le cœur que j’ai moi-même
Ils savent toucher l’herbe et dire je vous aime
Et rêver dans le soir où s’éteignent des voix

D’autres qui referont comme moi le voyage
D’autres qui souriront d’un enfant rencontré
Qui se retourneront pour leur nom murmuré
D’autres qui lèveront les yeux vers les nuages

Il y aura toujours un couple frémissant
Pour qui ce matin-là sera l’aube première
Il y aura toujours l’eau le vent la lumière
Rien ne passe après tout si ce n’est le passant

C’est une chose au fond que je ne puis comprendre
Cette peur de mourir que les gens ont en eux
Comme si ce n’était pas assez merveilleux
Que le ciel un moment nous ait paru si tendre

Oui je sais cela peut sembler court un moment
Nous sommes ainsi faits que la joie et la peine
Fuient comme un vin menteur de la coupe trop pleine
Et la mer à nos soifs n’est qu’un commencement

Mais pourtant malgré tout malgré les temps farouches
Le sac lourd à l’échiné et le cœur dévasté
Cet impossible choix d’être et d’avoir été
Et la douleur qui laisse une ride à la bouche

Malgré la guerre et l’injustice et l’insomnie
Où l’on porte rongeant votre cœur ce renard
L’amertume et Dieu sait si je l’ai pour ma part
Porté comme un enfant volé toute ma vie

Malgré la méchanceté des gens et les rires
Quand on trébuche et les monstrueuses raisons
Qu’on vous oppose pour vous faire une prison
De ce qu’on aime et de ce qu’on croit un martyre

Malgré les jours maudits qui sont des puits sans fond
Malgré ces nuits sans fin à regarder la haine
Malgré les ennemis les compagnons de chaînes
Mon Dieu mon Dieu qui ne savent pas ce qu’ils font

Malgré l’âge et lorsque soudain le cœur vous flanche
L’entourage prêt à tout croire à donner tort
Indiffèrent à cette chose qui vous mord
Simple histoire de prendre sur vous sa revanche

La cruauté générale et les saloperies
Qu’on vous jette on ne sait trop qui faisant école
Malgré ce qu’on a pensé souffert les idées folles
Sans pouvoir soulager d’une injure ou d’un cri

Cet enfer malgré tout cauchemars et blessures
Les séparations les deuils les camouflets
Et tout ce qu’on voulait pourtant ce qu’on voulait
De toute sa croyance imbécile à l’azur

Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle
Qu’à qui voudra m’entendre à qui je parle ici
N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle

Louis Aragon, 1er avril 1954 

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2 Commentaires

  • daniel GENDRE
    daniel GENDRE

    Que la vie en vaut la peine

    C’est une chose étrange à la fin que le monde
    Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit
    Ces moments de bonheur ces midis d’incendie
    La nuit immense et noire aux déchirures blondes
     
    Rien n’est si précieux peut-être qu’on le croit
    D’autres viennent ils ont le cœur que j’ai moi-même
    Ils savent toucher l’herbe et dire je vous aime
    Et rêver dans le soir où s’éteignent des voix

    D’autres qui referont comme moi le voyage
    D’autres qui souriront d’un enfant rencontré
    Qui se retourneront pour leur nom murmuré
    D’autres qui lèveront les yeux vers les nuages

    Il y aura toujours un couple frémissant
    Pour qui ce matin-là sera l’aube première
    Il y aura toujours l’eau le vent la lumière
    Rien ne passe après tout si ce n’est le passant

    C’est une chose au fond que je ne puis comprendre
    Cette peur de mourir que les gens ont en eux
    Comme si ce n’était pas assez merveilleux
    Que le ciel un moment nous ait paru si tendre

    Oui je sais cela peut sembler court un moment
    Nous sommes ainsi faits que la joie et la peine
    Fuient comme un vin menteur de la coupe trop pleine
    Et la mer à nos soifs n’est qu’un commencement

    Mais pourtant malgré tout malgré les temps farouches
    Le sac lourd à l’échiné et le cœur dévasté
    Cet impossible choix d’être et d’avoir été
    Et la douleur qui laisse une ride à la bouche

    Malgré la guerre et l’injustice et l’insomnie
    Où l’on porte rongeant votre cœur ce renard
    L’amertume et Dieu sait si je l’ai pour ma part
    Porté comme un enfant volé toute ma vie

    Malgré la méchanceté des gens et les rires
    Quand on trébuche et les monstrueuses raisons
    Qu’on vous oppose pour vous faire une prison
    De ce qu’on aime et de ce qu’on croit un martyre

    Malgré les jours maudits qui sont des puits sans fond
    Malgré ces nuits sans fin à regarder la haine
    Malgré les ennemis les compagnons de chaînes
    Mon Dieu mon Dieu qui ne savent pas ce qu’ils font

    Malgré l’âge et lorsque soudain le cœur vous flanche
    L’entourage prêt à tout croire à donner tort
    Indiffèrent à cette chose qui vous mord
    Simple histoire de prendre sur vous sa revanche

    La cruauté générale et les saloperies
    Qu’on vous jette on ne sait trop qui faisant école
    Malgré ce qu’on a pensé souffert les idées folles
    Sans pouvoir soulager d’une injure ou d’un cri

    Cet enfer malgré tout cauchemars et blessures
    Les séparations les deuils les camouflets
    Et tout ce qu’on voulait pourtant ce qu’on voulait
    De toute sa croyance imbécile à l’azur

    Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle
    Qu’à qui voudra m’entendre à qui je parle ici
    N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
    Je dirai malgré tout que cette vie fut belle

    Louis Aragon, 1er avril 1954 

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  • Michel DECHAMPS

    Horloge oui ma vie de miltant fut bel relle à commencé à la fête de l’humanité avec un immense chanteur noir américain Paul Robson .et puis les manil contre la guerre d’Algérie avec Charonne la douleur mais nous .nous sommes pas laisser faire.Et mai 68 l’arrivée à Paris des camarades vietnamiens pour la conference de Paris sur leVietnam avec les americain le parti m’a demander si j’étais d’accord d’être au service de la délégation de la RDV j’ai dit OK j’ai passés des. annees extraordinaire avfec la delaguation une bonne partie de ma vie javec deux Vietnaiens l’un etait le responsable politique à Bien Bien plu et l autre Colonel qui a fait prisonnier le generaral francais de Castri ,tous deux étaient les adjoinsde Le duc Tho , Je me rappellerais toujours quand je fut charger d’être leur chauffeur Phan Hien m’a dit:”au volant c’est toi le chef j’ai coonfiance en toi” sur la route ont s’arrretait pour piquniquer jil n’etais pas question que je fasse quoi que ce soit ,j’avais pris nla nappe pour installer les assiettes il me l’a prise des mains en me disant:”tu as travailler c’est a nous de faire le reste”. et ensemble nous avons sillonner la France à la rencontre de groupes vietnamiens de France, quand la conférence était au point mort cela restera un moment de ma vie.

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