Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’intérêt passionné d’une étudiante cubaine pour la poésie chinoise est pour elle source d’inspiration

On peut considérer que cet article fait partie de tous ceux que la presse chinoise consacre aux relations privilégiés entre le parti communiste chinois et le parti communiste cubain, mais il y a plus : les Chinois apprécient réellement qu’une Cubaine découvre ce qu’est la poésie dans l’univers intellectuel mais aussi politique chinois, que leur littérature soit initiation à une connaissance de leur histoire. Et pour tenter de le faire comprendre à des Français, je voudrais les inviter à lire un article scientifique publié en français par une sinologue Céline Wang qui tente d’expliquer l’importance de la poésie dans l’œuvre de Mao Ze Dong. Elle tente de nous faire comprendre que celle-ci – d’une très haute qualité – est aussi révélatrice de la pensée politique que des textes théoriques ou le petit livre rouge parce que peut-être la meilleure manière d’exprimer ce qu’apporte une telle poèsie: c’est l’expression de ce à quoi l’on croit au plus profond de notre être et qui n’a de sens que dans le partage(1). (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Une lauréate cubaine qui perçoit ce qu’est la poésie dans l’univers chinois

Par Xinhua Publié: Oct 16, 2022 19:00   Yinet Ferrer, lauréate du premier prix du cinquième Concours international de récitation de poésie classique chinoise de 2022 à Cuba, a déclaré qu’elle avait été inspirée par la poésie chinoise.

En présentant « Bu Suan Zi Yong Mei » ou « Ode à la fleur de prunier » en anglais, l’un des poèmes les plus célèbres du défunt dirigeant chinois Mao Zedong, Ferrer a obtenu de participer dans le concours en ligne et ce jusqu’à la finale.

« Même si j’ai reçu de nombreux prix au cours de ma vie étudiante, aucun d’entre eux ne me rend plus fier que celui-ci », a déclaré l’étudiante en langue chinoise de l’Institut Confucius de Cuba à La Havane.

Ferrer, qui travaille comme psychopédagogue au lycée Jose de la Luz y Caballero dans le quartier El Cerro de La Havane, a commencé à étudier « Ode à la fleur de prunier » trois mois avant le concours.

« Au milieu des défis actuels du monde, la poésie chinoise m’a inspirée », a déclaré Ferrer, 26 ans, à l’agence de presse Xinhua.

« Ce poème envoie un message très fort d’optimisme, de foi et de persévérance pour surmonter les obstacles, quelles que soient les circonstances. »

Elle a commencé à étudier le chinois en 2015, s’inscrivant à un cours à la Maison des arts et traditions chinois dans le quartier chinois de La Havane. Elle a déclaré que la poésie chinoise lui avait permis d’ouvrir sur de vastes connaissances sur la riche culture chinoise et son éthique de travail.

« Je veux écrire un roman sur la présence chinoise à Cuba, mais c’est un plan d’avenir », a-t-elle déclaré. « Pour le moment, j’apprécie beaucoup le prix. »

Au cours des dernières années, l’étude de la langue et de la culture chinoises s’est développée à Cuba grâce au travail d’organisations sociales et d’institutions telles que l’Institut Confucius, qui a vu des milliers d’étudiants diplômés depuis sa fondation en 2009.

Le professeur de langue chinoise Chang Xiaoyu a déclaré à Xinhua que la poésie continue d’être un outil efficace pour enseigner la vaste histoire de la Chine.

« Les poèmes chinois transmettent la beauté de notre langue, ce qui constitue effectivement une plate-forme pour promouvoir nos valeurs, nos principes et notre philosophie de vie », a déclaré Chang.

Controverse autour d’un poème de Mao Zedong « Neige, sur l’air de “Printemps au jardin de Qin” », par Céline Wang*

Voici des extraits de cet article dont je vous conseille de prendre connaissance pour vous sensibiliser avec des aspects de la culture chinoise sur lesquels les Français manquent de repères. Je ne vais pas publier cet article très long mais quelques aspects qui je l’espère vous donneront envie de le lire en entier. Ce qui vous permettra à la fois de mesurer la nature de la rencontre de cette Cubaine avec la poésie de Mao Zedong, cette initiation à l’histoire millénaire autant qu’à la pensée de ce dirigeant communiste et les difficultés de traduire tout cela…

En Chine, la maîtrise des règles littéraires était le privilège des lettrés qui détenaient en même temps le pouvoir administratif. De cette appartenance au groupe social cumulant culture et pouvoir, le poète tirait un prestige immense. La poésie en Chine n’est pas un pur art de langage, visant à exprimer l’émotion esthétique par le rythme, l’harmonie et l’image, elle joue également un rôle éducatif ou propagandiste. La dédicace que Mao Zedong ֻ毛泽东 1893-1976) calligraphie à la demande du poète Xu Chi 徐迟 (1914-1998) en septembre 1945 à Chongqing le montre bien : « la poésie exprime la conviction (shi yan zhi 诗 言 志) » (1 . En tant que lettré, participant à l’administration de la société, sa conviction n’est pas dissociable d’impératifs moraux ou sociaux.

Étudier la poésie de Mao, c’est donc aussi connaître ses aspirations politiques et les buts qu’il poursuit ; l’homme de lettre est inséparable du personnage politique. Dans l’histoire de la Chine impériale, il n’est d’ailleurs pas rare qu’un souverain se soit fait un nom dans l’art des vers, jouissant ainsi d’un prestige éminent auprès de la population.

*Céline Wang est maître de conférences à l’université Paris Diderot et membre de l’UMR 8173 Chine-Corée-Japon.

https://www.persee.fr/doc/etchi_0755-5857_2008_num_27_1_915

Lorsque Edgar Snow présente « La Longue Marche » (Changzheng ९࢔ ,(poème écrit en langue classique par Mao Zedong, dans son célèbre ouvrage Red Star over China en 1937 2 , c’est sans doute la première fois qu’un de ses poèmes est rendu public. Le deuxième poème de Mao publié est « Neige » (xue ຳ), paru à Chongqing en 1945 où il eut un grand retentissement. En 1957, la revue Shi kan ᇣע) Études de poésies) publie dans son premier numéro « 18 poèmes en style ancien » de Mao Zedong , celui-ci connaît alors une consécration en tant que poète, qui vient s’ajouter à celle de dirigeant de l’État.

De nos jours, plus d’une centaine de poèmes de Mao Zedong ont été publiés . Ils reflètent son engagement révolutionnaire et sa carrière politique avant et après 1949, et partant l’histoire de la Chine durant plus d’un demi-siècle ; ils révèlent son idéal politique, sa façon de penser, ses sentiments ainsi que ses goûts esthétiques. Il apparaît donc tout aussi nécessaire de les prendre en compte que d’étudier ses textes théoriques. « Qin yuan chun – Xue » ަ(« Neige, sur l’air de “Printemps au Jardin des Qin”, ci-après, « Neige ») est probablement le poème le plus célèbre de Mao et celui qu’il appréciait le plus. La dizaine de versions calligraphiées qu’il en a réalisées témoigne de l’importance qu’il lui accordait .

C’est également celui qui a provoqué le plus de controverses. Sa publication en 1945 fit sensation à Chongqing et dans tout le pays. Certains y répondirent par un poème apologétique, tandis que d’autres y trouvèrent l’occasion de mettre en cause sa personnalité et sa pensée.

Cette polémique, qui dépassa de loin le cadre littéraire, était étroitement liée aux circonstances et peut être envisagée comme une manière de prélude à la guerre civile qui devait opposer nationalistes et communistes. N’ayant fait que peu l’objet de recherches, cette polémique est cependant mal connue. Tout en se référant à un ouvrage chinois récemment consacré à ce poème, la présente étude apporte quelques précisions complémentaires sur les circonstances historiques de sa publication, ainsi qu’un commentaire plus nuancé sur le texte lui-même, en s’appuyant sur des travaux tant occidentaux que chinois.

Le contexte du poème, ainsi que son contenu touche aux rapports entre le pouvoir et les lettres. On n’ignore pas que Mao, n’a jamais vraiment fait confiance aux intellectuels, leur étant même hostile . Les campagnes successives qu’il a lancées contre ceux-ci, du mouvement de rectification (zhengfeng, mars 1942) à Yan’an jusqu’à la Révolution culturelle, en témoignent. Cependant durant la guerre sino-japonaise et jusqu’à la fin de la guerre civile, Mao Zedong adopte une toute autre attitude à leur égard particulièrement dans les zones gouvernées par les nationalistes. Nous allons voir les moyens qu’il met en œuvre pour rallier de nombreux intellectuels, après avoir obtenu l’adhésion de la majeure partie des paysans.

Traduction et commentaire


Avant d’entrer dans le vif du sujet, reportons-nous au texte et à sa traduction. « Neige » a déjà été traduit à plusieurs reprises en langues occidentales. Une première traduction, datant de 1947, est due à l’écrivain anglais Robert Payne (1911-1983) dans son ouvrage intitulé Mao Tse-Toung The Poems of Mao Zedong, introduit et traduit par Willis Barnstone est l’ouvrage le plus récent sur le sujet (juillet 2008). L’ouvrage comporte trois parties. Une introduction portant sur la vie et sur la carrière révolutionnaire de Mao, ainsi que sur sa poésie ; une traduction de 35 de ses poèmes établis à partir de l’édition de Pékin de 1963 avec le texte chinois en regard ; un appendice enfin, dans lequel est reproduite la calligraphie du poème « mont Liupan »
.
Il existe également plusieurs traductions françaises, notamment celle de Ho Ru ۶ڕ ,professeur à l’université de Nankin et traducteur officiel des poèmes de Mao en français et une autre due à la plume de Paul Demiéville (1894-1979), professeur au Collège de France , qui est probablement la traduction française faisant autorité. En dépit de ces nombreuses versions déjà existantes, nous en proposons une nouvelle assortie d’un commentaire, afin d’essayer de serrer au plus près le texte chinois et d’en restituer avec précision les enjeux politiques.


Il apparaît nécessaire, avant de commenter ce poème d’en expliquer certains termes. Qinyuan chun (littéralement, Jardin de Qin au Printemps) est un des « airs » utilisés dans les poèmes classiques, le rôle de ces « airs » était de fixer le nombre des vers, la mesure et les rimes, ainsi que de servir de titre au poème. « Xue » ຳ, est en fait le véritable titre du poème.


Neige, sur l’air de « Printemps au Jardin de Qin »

février 1936
Vue du pays du Nord,
Mille lis que la glace enferme,
Dix mille lis de neige tourbillonnant.
Là-bas, en deçà, par-delà la Grande muraille,
Rien que la steppe à perte de vue ;
Du Grand fleuve, de l’amont à l’aval,
Le flot impétueux s’est soudain figé.
Les chaînes montagneuses dansent, serpents d’argent,
Les massifs (glacés) s’élancent, éléphants de cire,
Disputant les hauteurs au Seigneur du Ciel.
Ce n’est que par beau temps,
Qu’on la voit, parée de rouge, drapée de blanc,
Ensorcelante, belle à ravir.
Fleuves et montagnes comme autant de charmes,
Amenant d’innombrables héros à rivaliser de courbettes.
Dommage que l’empereur des Qin et le conquérant des Han
N’ait pas brillé par leur culture ;
Que l’ancêtre des Tang et le fondateur des Song
Aient quelque peu manqué de talents poétiques ;
Et qu’en son temps, béni par le Ciel, Gengis Khan
N’ait su que bander son arc et tirer le grand aigle royal.
Mais tout cela est du passé.
Pour dénombrer les grands hommes,
Tournons plutôt notre regard vers le présent.

« yuanchi laxiang ଺唞⪰ွ » : initialement « yuan qu la xiang ଺唟╙ွ». Suivant la suggestion de l’écrivain et poète Zang Kejia ፔ܌୮(1905-2004), en janvier 1957, Mao a modifié deux caractères de ce vers :
chi 唞 qui a le sens de galoper, courir à cheval, à la place de qu 唟 : s’empresser, pousser, galoper, et la ⪰ : cire, à la place de la ╙ : la 12elune : en plein hiver. Ainsi le verbe chi 唞 : galoper, s’accorde avec celui du vers précédent : wu ፘ danser, et les substantifs déterminants la ⪰ cire,et yin 卼 argent, renvoient l’un et l’autre à la couleur blanche : celle de la neige.
Qinhuang : le premier empereur des Qin régna de 221 à 210 av. J.-C. Hanwu ዧࣳ : il s’agit de Han Wudi le sixième empereur des Han antérieurs (140 à 86 av. J.-C.).
Wencai ֮७ au sens propre : éclatant, brillant ; par extension, il désigne le talent littéraire de quelqu’un.
Tangzong ାࡲ : l’empereur Taizong, deuxième empereur de la dynastie Tang, régna de 626 à 649 après J.-C. Songzu ݚల, le fondateur de la dynastie des Song du Nord, fut empereur de 976 à 997 après J.-C.
Fengsao ଅ : ici feng ଅ: se réfère à Guofeng ഏଅ (Chansons des Royaumes : titre de la première partie du Livre des odes ᇣᆖ); et sao à Lisao ᠦ (Tristesse de l’éloignement : première pièce du recueil des Elégies de Chu ᄑ, titre d’un célère poème de Quyuan ࡹ) 340 ? -278 ? avant J.-C.), du pays de Chu ᄑ, à l’époque des Royaumes combattants).

Au sens large, le mot fengsao désigne les œuvres poétiques.
Le poème comporte deux strophes. Dans la poésie traditionnelle chinoise, la première partie est souvent consacrée à la description du paysage et est moins signifiante que la seconde. Il s’agit d’un procédé classique dans lequel le poète exprime sa pensée et son sentiment à travers ce qu’il décrit. Le tableau de la nature sous la neige dans le vaste pays du Nord que Mao brosse ne reflète pas simplement la beauté du paysage, mais aussi sa grande ambition politique. Cette partie s’achève en effet sur une métaphore qui peut donner lieu à diverses interprétations : le soleil d’un beau jour, jette des reflets rouges sur la neige ; la terre, ainsi vêtue, est comparée à une belle, enveloppée de blanc, parée de rouge. Paul Démiéville l’explique
ainsi : « C’est naturellement la patrie qui est évoquée aux vers 11-15, sous sa parure hivernale de neige blanche comme soie, rougie par le soleil d’un beau jour. » Tandis que Guy Brossolletnote que « le rouge est la couleur du bonheur de l’amour, celle des jours de fête, des ornements impériaux et de la robe de mariage des jeunes filles » . Le rouge symbolise également la révolution communiste (on le trouve dans des expressions telles que Armée rouge, zones rouges, Capitale rouge, etc.) ; ainsi ces vers
n’expriment-ils pas seulement les charmes de la terre chinoise, ils peuvent aussi être interprétés comme l’annonce de la future victoire communiste.

Dans la seconde strophe, du paysage de la patrie l’auteur passe aux hommes qui la peuplent : des héros innombrables s’inclinent devant elle. Il évalue en quelques vers le poids de l’histoire de la Chine par rapport à son temps, énumérant cinq héros qui sont des empereurs fondateurs ou éminents des plus grandes dynasties qu’ait connues le pays, – à commencer par le premier empereur des Qin, non sans ironiser sur leur manque de culture . À l’égard de l’empereur Wudi des Han, la critique de Mao est quelque peu partiale, car Han Wudi était non seulement éminent par ses mérites militaires, mais aussi par ses talents littéraires. C’est sans doute pour mettre en avant la perfection des grands hommes d’aujourd’hui que Mao affecte de réduire sans distinction les héros de jadis à de simples guerriers. Si dans cette liste des grands empereurs Mao n’oublie pas Gengis Khan dont les descendants établiront la dynastie mongole qui durera de
1260 à 1367, il ne mentionne cependant aucun empereur mandchou. Est-ce lié à un souci de concision ou au nationalisme anti-mandchou que Mao sent devoir nécessairement afficher ? Le poème s’achève sur cette conclusion : « Mais tout cela est du passé/Pour dénombrer les grands hommes/tournons plutôt notre regard vers le présent ».


Comment interpréter ces mots qui constituent l’idée directrice du poème ou, en tout cas, le nœud des discussions sur sa signification ? Comme dans les poèmes classiques, chaque trait de la description est ambigu et chaque vers peut être interprété de différentes façons. Toute traduction implique une manière
d’interprétation. Le premier et le troisième de ces vers présentent moins d’ambiguïté, ils sont donc plus faciles à rendre. Le deuxième, en revanche, est d’un abord plus malaisé. La confrontation des diverses versions françaises et anglaises le montre bien.

Ho Ju traduit en ces termes :
Tout cela est passé, pour trouver des hommes vraiment grands,
Regardons plutôt le présent .
Paul Demiéville choisit :
Mais tout cela, c’est du passé … S’il vous faut des gaillards ayant vraiment du style, Regardez le jour d’aujourd’hui !
Guy Brossolet propose la traduction suivante :
Mais tout cela est du passé, pour dénombrer les hommes capables de la séduire (la terre), Cherchons plutôt dans le présent .
Jean Billard écrit :
Mais tous appartiennent au passé, aujourd’hui, parmi nous,
Vivent les hommes de qualité .
Robert Payne traduit en anglais par :
All have passed away, only today are there men of great feeling .
Jerome Ch’ên propose la version suivante :
All are past and gone ! For men of vision, we must seek among the present
generation
Chunhou Zhang et C. Edwin Vaughan donnent la traduction suivante :
All have passed away, those that can be counted brilliant characters,
Are still to be seen at the present .
Willis Barnstone traduit ainsi :
They are all gone. Only today are we men of feeling .
Autant de versions, autant de façons différentes de rendre la même locution. Les divergences portent essentiellement sur l’expression shu feng liu renwu, chacun des mots employés ayant plusieurs sens. Ainsi, le mot« shu ᑇ », comme substantif, désigne « nombre, chiffre, plusieurs » ; comme verbe, il a le sens de « shu yi shu » ᑇԫᑇ : « compter, énumérer, dénombrer », dans ce cas le complément « fengliu renwu » ଅੌԳढ sera
au pluriel. Mais certains exégètes l’interprètent comme « shu de zhao » ᑇ ൓㷂 : qui peut être compté au nombre [des grands hommes]… », ou « cheng de shang » ጠ൓Ղ : celui qui est digne d’être (ou : ceux qui sont
dignes d’être )… , dans ce cas, « fengliu renwu » peut être mis au pluriel ou au singulier. Le terme « fengliu » a aussi plusieurs sens : 1. talentueux, remarquable ; 2. noblesse de caractère, haute tenue morale, conduite exemplaire ; 3. manières distinguées, air élégant ; 4. affranchi des conventions sociales, caractère bohème ; 5. galanterie, mœurs légères, libertinage. Si nous rendons cette expression par grands hommes, c’est que dans lecontexte du poème, il nous semble que les deux premiers sens de cette expression conviennent mieux. Ce vers nous fait penser à un célèbre poème de Su Shi ᤕሊ (1037-1101), intitulé « Niannujiao. Chibihuai gu » ࢚؉ᐅ– ߧᕻᡖײ) Souvenirs du passé à la Falaise rouge): « Dajiang dongqu, langtaojin, qiangu fengliurenwu ՕװࣟۂΔ௡ෟጐΔՏײଅੌԳढ »
(Le fleuve puissant coule vers l’Est, balayant les héros du temps passé).
Mao emploie la même expression que Su Shi, « fengliu renwu » qui désigne, chez l’un comme chez l’autre, les hommes remarquables, même si les grands hommes dans « Neige » sont différents des héros du passé.
Lequel choisir ? Et faut-il traduire fengliu renwu, au pluriel ou au singulier ? Dans les versions citées, cette expression est rendue au pluriel, quelque soit le sens choisi. Cependant au milieu des années 1940, elle a été
interprétée comme une allusion faite par l’auteur à lui-même, ou, ainsiqu’il le prétendit lorsqu’il fut interviewé par un journaliste anglais, au généralissime Jiang Jieshi ᓏտف) 1887-1975). Dès lors la façon
d’interpréter ce dernier vers devint le point central de la polémique qui suivit la publication du poème. Quel sens faut-il donc privilégier ? On ne saurait l’établir en faisant l’impasse sur les circonstances historiques dans lesquelles l’auteur a composé, puis publié ce poème.


Les circonstances de composition et de publication
La date de composition
Longtemps, aucune publication de « Neige » n’a porté de mention indiquant sa date de composition . De même aucun des dix manuscrits du pinceau de Mao n’a été daté. C’est pourquoi on a cru que ce poème avait
été écrit en 1945, l’année même de sa publication. Robert Payne, ayant interviewé Mao Zedong à Yan’an en 1946, précise même que le poète lui a confié l’avoir rédigé dans l’avion qui le conduisait de Yan’an à Chongqing le 28 août 1945 pour discuter de l’éventualité d’un accord avec Jiang Jieshi . Il a fallu attendre l’édition de 1963 pour que soit fait mention de la date de février 1936 “

(….)

La suite de l’analyse est tout aussi passionnante et l’on comprend mieux que l’étudiante cubaine ait étudié durant des mois un message-poème puisque celui-ci intervient également dans une période complexe où la ligne politique de Mao se trouve confrontée à des époques très différentes mais où il doit convaincre, rallier et prôner des valeurs éthiques nouvelles. Je vous propose de lire l’ensemble de l’analyse… Elle a le mérite dans des temps de propagande stupide de nous confronter à une immense civilisation, à la manière dont le communisme s’est moulé dans celle-ci, s’est voulu la restauration d’un passé par rapport à toutes les humiliations par le biais d’une langue mais aussi de sa calligraphie…

Je dois dire que dans cette période où l’on voit la sottise et l’inculture devenir l’apanage d’un peuple français trahi par ses élites politiques, médiatique mais aussi “culturelles”, je voudrais tant faire connaitre le plaisir de partir vers la découverte de ces énigmes que sont les manières dont chaque civilisation a traduit les nécessités auxquelles les être humains ne peuvent échapper pour leur donner la profondeur du temps et de l’espace, ici la terre de Chine vu d’avion et saisie dans l’immensité de son histoire et de son avenir.

(1) toute l’ambiguité de cette poèsie m’a fait irrésistiblement songer à cette définition de Sartre (l’être et le néant) : “la conscience est un être pour lequel il est dans son être question de cet être, en ce qu’il implique un être autre que soi”. Mais avec ces possibles entre le pluriel et le singulier qui offre encore d’autres perspectives à cette conscience… Ce fait aussi que nous ne sommes pas seulement dans la parole mais dans l’écriture qui à travers la calligraphie dit les permanences, ce qui doit être transmis.

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