Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

LES COMBATTANTS DU DONBASS m’ont convaincue, par Danielle Bleitrach

il y a dans la subjectivité de chacun ce qui ancre ses convictions: ce qui, quelle que soit la pression de la propagande, l’oblige à tenir bon. C’est difficilement partageable pourtant cela relève aussi de l’universel de la condition humaine autant que de l’individu; on ne peut négliger que cela parle à tous quand on est au plus personnel de la conviction… Il y a bien sûr en ce qui me concerne l’invraisemblable mémoire dont je suis affligée et ce sentiment du “déjà vu ou entendu” en matière de propagande. Il suffit de comparer ci-dessous les titres de journaux pour mesurer de quelle gymnastique ces gens-là peuvent être capables, mais il y a aussi le goût extrême que j’ai pour la cocasserie et l’indépassable richesse de la réalité. A ce titre, je sais que les idéologies de la certitude, les interprétations édifiantes sont complètement inadaptées à la traduire, trop bouffi, trop bouffon. En revanche le marxisme débarrassé de ses sycophantes multiplie les possibles. Ainsi j’ai découvert à la manière de Brecht mais aussi de Diderot qu’il y a dans “les petites gens” quelque chose qui relève de ce foisonnement de la matière, de la nature elle-même, un instinct de survie qui parfois peut se muer en héroïsme, en dépassement historique et qui combine dignité et brutale impertinence. C’est cela qui m’a convaincue et que je retrouve dans ce reportage comme dans cet interview que nous avions rapporté de notre voyage en Ukraine en guerre en 2014 Marianne et moi intitulé “l’homo sovieticus ne fait plus de politique”. Il y a d’autres dimensions à mes convictions, en particulier la nécessité de la coopération humaine face aux défis d’aujourd’hui et de demain, je vous en parlerai demain. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Reportage en direct du Front du journaliste américain Patrick Lancaster dans une tranchée tenue par les volontaires et les mineurs du Donbass.

Ceux-ci sur le front d’Adveievka, nord de Donetsk, où enfin quelques offensives semblent à l’œuvre. Les mineurs combattants du Donbass n’ont pas quitté les tranchées depuis 8 mois, malgré les maladies respiratoires contractées dans les tranchées, ils n’abandonneront pas les leurs aux nationalistes et à secteur droit. Ils tiendront jusqu’au dernier.

L’interview que nous avions obtenu Marianne et moi en 2015 d’un homo sovieticus du Donbass et qui dit tout sur la résistance sans illusion de ce peuple :

Peut être une image de texte

Et enfin ce qui est la base de ce goût extrême pour la capacité de résistance des braves soldats Schweik face à l’hypocrisie et les glorioles des criminels qui veulent nous faire crever pour leurs profits, ou les vendus qui ont mission de nous convaincre de leurs mérites. Comment vous expliquer : chaque âge de la vie m’ancre un peu plus dans ce refus de la parade sous laquelle on prétend m’enrôler…

FINIR SA VIE AVEC DIGNITÉ SANS SE PRENDRE AU SÉRIEUX

Aujourd’hui il s’avère que le dernier témoin de mon enfance, de mon adolescence est en train de mourir, il est plus que jamais lucide mais son corps attaqué par de multiples cancers l’oblige à aller dans un mouroir, une unité de soin palliatif géré par des catholiques exemplaires et nous regardions hier ensemble le christ suspendu entre la télévision et la fenêtre. Nous qui sommes deux juifs athées, nous avons ri en disant ‘Il a encore gagné“. Mon cousin a souri et m’a fait remarquer :” il est vraiment minuscule par rapport à sa croix et je trouve ça gênant“. J’ai plaisanté à notre manière vacharde depuis l’enfance : “Te voilà dans la finale des Mounty Python!” et là ce fut un franc fou rire entre nous et il s’est mis à chanter:

Il a ajouté : ” Tu sais c’est parfaitement exact cette fin… tu ne peux pas t’imaginer quand on est dans l’état où je suis quand des flots de morphine doivent être déversés pour que cela soit supportable et que l’on se demande quand on va donner l’ordre d’en finir et que l’on a même plus la force de lire une ligne, c’est fou le nombre de gens qui viennent vous la jouer sur le mode Déroulède : ‘Tu es fort! Tiens bon! donne l’exemple! “

Nous avons convenu qu’il y avait vraiment de pompeux cornichons… Je lui ai rappelé notre première manif pour la paix en Algérie. C’était sur la Canebière, devant l’actuel cinéma les Variétés, à l’époque les flics étaient des “hirondelles” et étaient des cyclistes. Ils avaient installé leurs engins là serrés les uns contre les autres et d’un mouvement maladroit mon cousin en avait fait tomber un ce qui avait entrainé la chute de tous. Poliment il s’est précipité pour les ramasser, je l’ai attrapé par la veste et lui ai déclaré: “arrête on va s’en prendre plein la gueule, cassons-nous et vite!” …

Il a réfléchi quelques minutes et m’a dit: c’était l’hiver. La nuit était là… La manif avait commencé dans le calme et s’était mal terminée… Nous avons égrené quelques souvenirs, je lui ai dit : je suis convaincue que grâce à tous ceux qui ont donné leur vie, subi la torture, nous avons connu une des périodes les plus heureuses de l’histoire de l’humanité. Il m’a dit : “c’est vrai et nous étions si pauvres!” “Mais non voyons, nous étions déjà des enfants de couches en voie ascendante…” Il a précisé: “Non ! nos sociétés étaient pauvres, nous étions habillés par nos parents et ce qui distinguait un enfant de nos catégories du petit prolétaire, c’est que leurs mères savaient mieux tricoter que les nôtres alors ils étaient mieux vêtus que nous, plus confortables…

Nous avons terminé ce tour d’horizon en convenant que l’histoire avancerait sûrement, elle était en train d’avancer et elle ne serait pas du tout celle que nous avions imaginée mais c’était sans doute mieux comme ça… il ne restait plus qu’à leur faire confiance …

Voilà comment vous expliquer ce que j’ai aimé à Cuba le refus des postures, l’héroïsme réel et l’ancrage dans une terre et des petites gens… C’est si loin de toutes les âneries dont on croit pouvoir m’abreuver pour m’inciter à la boucherie de la guerre même quand nous sommes obligés de la faire …

Danielle Bleitrach

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1 Commentaire

  • Michel Berdagué
    Michel Berdagué

    Un grand respect à toi et à Marianne !

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