Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Après un film sur tout ce qu’il me reste de la Révolution

Un débat qui se poursuit, le film agit : il est politique

Le débat de Reillannes, j’ai eu beaucoup de mal à établir un bilan de ces deux jours, à faire un compte-rendu, j’avais l’impression d’être submergée par la présence des individus, leur visage, une synthèse difficile, voire impossible. Alors de quoi parler pour que vous compreniez ce qu’ont été ces deux jours dans un village de haute Provence? D’abord un lieu dans lequel on s’attend à voir débouler les troupeaux de moutons de la transhumance et où la librairie qui m’accueille s’appelle “Regain”, comme chez Giono, l’enfant du pays…

Mais il faut y aller, emprunter cette route qui nous menait de Marseille à Reillannes. Ce n’est pas très loin, mais permet la découverte d’un camarade, Michel, venu me chercher, qui avait lu mon livre de mémoires. Il s’y était reconnu. Je nous ai revus lui et moi. Lui, il était à Ivry en train de mener bataille à coup de boulons contre l’assaut des CRS dans l’entreprise SKF et moi j’étais place du colonel Fabien. Il y avait une séance du comité central, toutes les demi-heures nous avions des nouvelles de leurs combats. Michel avait des albums photos, de son histoire, celle de son père héros de la résistance, à l’arrivée sur la place du village où se trouve la librairie regain, nous sommes restés capot ouvert à regarder l’album et nous avions du mal à nous quitter, à ne pas relire ces pages de notre histoire, celle des communistes. Mon livre, c’était aussi cet album d’un militant ouvrier et j’étais heureuse qu’il en soit ainsi.

Il y a eu l’affluence le soir, nous étions une centaine, pour assister au film que j’avais proposé : Tout ce qui me reste de la révolution, le repas amical où chacun apporte ce qu’il a et on partage, les plaisanteries, la gaité, j’ai retrouvé des camarades, Stephen, mais aussi ceux du PRCF, des gens qui tiennent bon, qui ont beaucoup à dire, mais ne savent pas attendre la parole des autres, une avant-garde ?… Le film applaudi… La discussion après avec ce qu’il en sort, le besoin de comprendre, de retrouver un langage commun, la difficulté de se parler et cela passe aussi par le sensible… Le trafic de nos mémoires, ce qu’on force les individus à faire comme dans le film où le cadre pète les plombs, est-ce que la réponse est le communisme? Est-ce qu’il nous appartient à tous? les plus proches du communisme, les plus formés politiquement expriment leurs regrets d’une conclusion que certains jugent une démission cucul la praline… Le camarade, mon camarade de toujours du PRCF tente d’asséner sa conclusion avant tout débat… Je leur dis que non, le film n’est pas une démission, un abandon, il est simplement le constat d’un moment celui qui annonce les gilets jaunes, le social redevenu au premier plan face au sociétal, mais l’absence pour moi de parti révolutionnaire, la méfiance envers les organisations… La jeune femme représente déjà un grand pas, elle dénonce la fausse gauche née de mai 68, et elle aime le désarroi de ses parents, d’anciens établis, elle se réconcilie avec l’échec…

Moi je tente de leur proposer le parti tel qu’il est à condition que nous allions jusqu’au bout d’un possible renouveau. Il n’y a rien d’autre, aucune autre force organisée et pour affronter le capital tel qu’il est il faut une force équivalente, le Que faire ? de Lénine revu et corrigé pour un village provençal qui ressemble à une crèche.

Cette jeune femme du film c’est moi, non seulement parce que j’étais comme elle à vingt ans, mais parce qu’aujourd’hui je me ballade avec mes certitudes sur la nécessité de nationaliser l’eau, l’énergie, de dépouiller les grands monopoles, la nécessité de la propriété collective des grands moyens de production, des banques, arracher ses crocs au capital et ce sous le regard un peu étonné et compatissant de ceux que j’invite au débat. Comme elle, je n’ai su aimer un homme ou plutôt deux que quand le désir qui nous emplissait s’exprimait par le chant des partisans bolcheviques “à l’appel du grand Lénine, se levèrent les partisans”….

Le lendemain, je pars à la découverte d’autres univers, des inconnus en pleine élections municipales, comme partout, ce que cela provoque des chicanes incompréhensibles et le questionnement entre les habitants: est-ce que l’appartenance à un parti cela rassemble ou est-ce que cela divise inutilement? Voilà la question qu’ils me posent et à laquelle j’ai du mal à répondre…

Il y a eu effectivement rencontre mais pas nécessairement avec ceux qui ont été marqués par le communisme tel qu’ils l’ont vécu. Il y a eu le boycott de certains, ceux qui ont récupéré le sigle officiel, mais il y a eu aussi ceux qui sont partis à la France insoumise les jumeaux… et ceux-là je les ai vécus comme souvent hostiles à toute réflexion sur l’histoire, sur la mémoire, désireux non pas d’échange mais d’a priori douloureux.. Ils me faisaient dire le contraire de ce que je tentais d’exprimer, s’indignant hors de propos. J’y ai renoncé.

En revanche l’essentiel a été pour moi la rencontre avec des gens qui comme la jeune fille du film tentent de reconstruire à partir de la recherche d’un nouveau langage commun. Des gens qui tentent de faire, comme ceux chez qui j’ai dormi et qui assurent ces séances de cinéma, lui est jardinier, elle menuisier-charpentier. Ils sont investis dans la vie locale, se sont battus pour que l’on garde les cantines scolaires avec leurs cuisiniers, leurs produits locaux, pour le nouveau quartier, pas de privatisation… J’ai retrouvé chez eux ce que nous étions dans le parti, dans ma cellule, cette manière d’agir au quotidien, dans la proximité qui a fait la richesse du PCF. OUI nous étions le FAIRE, ce qui rendait la vie supportable avant même l’idéologie…

Il y a eu une destruction , celle de la mutation, de Robert Hue, elle a détruit la relation à la vie même, dans les entreprises, dans les établissements scolaires, dans les villages, dans les quartiers populaires. Des gens qui faisaient des discours sur “le stalinisme”, sur le communisme idéal mais qui étaient incapables de mise en œuvre, de s’intéresser à celui qui souffrait à côté d’eux.. Ces gens-là ont été des liquidateurs, des beaux parleurs, mais ils avaient renoncé au “faire”. Et ils ont utilisé effectivement ce que dénonce le Che, la confiance dans le chef pour détruire la relation du PCF à la réalité. Le bébé a été jeté avec l’eau du bain… Et on continue à accuser Staline alors qu’il est mort en 1953… Tout le reste passe à la trappe, évitons l’autocritique… C’est la faute à Staline, à l’URSS, ils sont cocus, tout ce qui est progressiste dans le monde ils en traquent la dictature et n’arrivent pas à assumer le fait qu’ils ont pris une raclée historique mais que le vent du boulet est passé si près que le capital ne cesse de s’acharner sur eux, leur histoire, leur mémoire et ce en remontant jusqu’à la Révolution française… Allez-y cassez tout ce que vous avez de révolutionnaire, il en reste encore… Vous êtes des monstres staliniens, robespierristes et moi je suis la démocratie, celle qui vous détruit avec votre accord… le consensus…

Et moi pauvre vieillarde juvénile à 83 ans, je prétends refuser l’invite à la conformité, je vais dans les villages comme l’héroïne du film tenter de parler du collectif pour le recréer… Ridicule personnage qui ne convainc personne, vend si peu de livres, est si peu dangereuse ; j’ai perdu ma beauté, ma force, j’égare tout partout, mes gants ici, mes lunettes là, je dors où on me loge, mais il y a tout ce qu’il me reste de la Révolution et ça c’est explosif…

Cette destruction de l’organisation a eu comme conséquence la social démocratisation du parti, dans les sections ce sont les beaux parleurs qui tiennent le haut du pavé, ceux qui appartiennent souvent au prolétariat, ont été condamnés à les écouter se gorger de mots… Moi je suis de la catégorie des beaux parleurs et je n’ai même plus la caution du chef, alors pourquoi me feraient-ils confiance, je suis une intellectuelle, une bourgeoise. Je fais des détours compliqués pour dire des choses simples, mais de temps en temps, ils prêtent l’oreille et ils reconnaissent les mots, les faits, notre patrimoine. En attendant qu’ils se réveillent, je parle à tous, j’écoute… Alors à Reillanne, j’ai vu des gens bienveillants qui cherchent à reconstituer ce “faire” et j’ai tenté de discuter avec eux de leur action mais aussi de ses limites. On ne résoudra pas les problèmes nationaux et internationaux avec le tri sélectif, quelle énergie? Le nucléaire ?

C’est ça qui m’intéresse dans ce film et dans la vie…

Je l’ai trouvé à Reillannes et j’en remercie tous ceux qui ont permis qu’il en soit ainsi en particulier Samuel avec qui j’ai eu un échange dont je le remercie. Je crois que nous nous sommes entendus sur le respect mutuel, sur l’absence de volonté de nous changer mutuellement mais sur le FAIRE et ses conditions de réalisation. Merci donc de cette expérience et de vous tous qui me l’avez offerte, j’ai fait le tour de la planète et ce que j’ai rencontré à Reillanne m’a renvoyé à des tas d’expériences qui me donnent confiance.

Cela correspond à ce que je vis tous les jours dans mon quartier y compris chez les petits commerçants. On finit par se connaître, se parler, s’apprécier… Ils sont très inquiets, non pas à cause du coronavirus même s’ils constatent un ralentissement, ils me disent c’est un “ensemble”… je découvre que non seulement ils commencent à être étranglés par les banques mais ils s’étaient fait pour certains un petit portefeuille d’action et l’effondrement des Bourses, la baisse des actions…

Ce qu’ils ressentent avec intensité c’est le caractère multidimensionnel de la crise, l’effondrement d’une société. Nous parlons de la Chine, face à laquelle ils éprouvent inquiétude mais aussi admiration “ils travaillent eux… On nous a conditionnés pour ne plus rien faire, Marseille ne vit que du trafic de drogue, les usines ont fermé. ” Ils savent que je suis communiste comme on l’était jadis, ils en sourient mais cherchent la discussion, la compréhension de ce qui se passe… Les guerres., ça oui ça nous sert à rien… qu’est-ce qu’on a à faire là-bas…”

Le cadeau que m’a fait cette vie de communiste c’est qu’à l’âge où certains se renferment dans la solitude du passé, on m’interroge, on me sollicite et un village provençal se demande si ça valait la peine de m’entendre et cela parce que je suis ce communisme, cet écho de tout ce qui nous reste de la Révolution faite et à faire…

Danielle Bleitrach

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