Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

OEDIPE ROI: Pasolini le réel par la poésie

Ça y est j’ai retrouvé les chemins des salles obscures, avec volupté, pas la dernière livraison, ce qui parait à de rares exceptions totalement indigeste, mais le déjà vu, les classiques. Il y avait hier à la même heure, dans le même cinéma soit Ettore Scola, la Terrasse ou Œdipe roi de Pasolini. Je me suis dit la Terrasse c’est ce triste moment où Scola et le PCI virent au bavardage eurocommuniste, cela finira en Guediguian.. En revanche, Œdipe roi reste la terrible lucidité de Pasolini sur le retour du fascisme … L’objectivité de la lutte des classes et la subjectivité de l’innocence du criminel, de la pulsion, et préfigure de fait son assassinat: le cinéma presque silencieux avec son chœur de la cité, une économie de moyens et le somptueux de la pauvreté, des déchets et des terres dures à ensemencer, le raffinement et la force scandaleuse du passé toujours plus actuel. Alors voilà, relisez au moins les Écrits corsaires et allez revoir Œdipe roi. comme vous y invite cet article de Culturopoing dont je partage volontiers le propos avec les lecteurs d’histoireetsociete (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

https://www.culturopoing.com/non-classe/pier-paolo-pasolini-oedipe-roi/20220704

Pasolini recherche le réel et la voie qu’il emprunte est celle de la poésie. Son cinéma est «  cinéma de poésie » car «  en somme le cinéma (…) a une nature double: il est à la fois extrêmement subjectif et extrêmement objectif » ( 1). 

Oedipe roi réalisé en 1967, est le premier volet de la trilogie antique. Il vient de la seule force contestataire du présent: «  la force scandaleuse du passé »celle d’un passé archaïque et sauvage, d’une enfance innocente et violente, d’une terre mère et d’un arrière-pays. Le film retrouve des lieux d’ici et d’ailleurs jusqu’à découvrir par ses moyens techniques  » les qualités oniriques, barbares, irrégulières, agressives, visionnaires des origines  » ( 2).

Ce retour aux origines implique un temps dans lequel toutes les images, mémorielles (les souvenirs d’enfance, l’Italie des années 60 et immémoriales, les rêves et le mythe) sont contemporaines les unes des autres. Le film imbrique l’Antiquité et le Présent, l’espace primitif et socialisé. Il ouvre à la Réalité : la condition humaine est placée sous le sceau du caractère irrémédiable de la perte, du désir et de la mort.

© carlotta

Pour Pasolini, le cinéma est la «  langue écrite de la réalité », seul capable de «  révéler l’essence expressive de la réalité ». Oedipe roi retrouve alors cette langue archaïque libre de la tutelle du logos: une langue qui passe par celle du corps. Il s’agit de montrer et retrouver le langage premier, celui de la présence même, «  rendre le monde au visage de sa présence » (3). Faire entrer le mythe dans cette langue écrite de la réalité, c’est le traduire en corps et en visages: en projeter toute la matérialité, «  en définitive rien d’autre qu ‘un amour halluciné, enfantin et pragmatique pour la réalité. Religieux dans la mesure où il fusionne en quelque sorte par analogie avec une sorte d’immense fétichisme sexuel. Le monde ne paraît être à ( ses) yeux qu’un ensemble de pères et de mères, pour qui (il) éprouve un transport total, fait de respect et de vénération, et du besoin de violer ce respect à travers des désacralisations, fussent-elles violentes et scandaleuses» ( 4). Le mythe est alors contaminé par le complexe psychanalytique.

©carlotta

Oedipe roi s’origine également dans une volonté de faire oeuvre autobiographique. Pasolini est Oedipe, condamné mais dans la pleine lumière de son film , reconduit au lieu de son innocence, aussi tragique soit elle. Si «  la poésie n’est rien d’autre, au plus vif de ses inquiétudes , qu’un acte de connaissance » (5)c’est qu’elle opte pour un «  réalisme initiatique » elle est une initiation à la réalité même. Par son cinéma de poésie, Pasolini inquiète le présent par le retour au passé afin de trouver un devenir: advenir d’une plus vraie naissance dans la chair de sa création. Et c’est aussi en cela qu’Oedipe roi a une dimension politique . Désacraliser le mythe et faire d’Oedipe une histoire purement humaine est un geste révolutionnaire . Croire dans l’action et dans le corps car «  la poésie, c’est ce qui reprend à la religion son bien » ( 6). Geste aussi de rage contre la normalité : contre la tutelle du logos, la norme imposée par la loi du Père, figure même du fascisme et de l’autorité.

Enfin Oedipe roi est l’adaptation de la tragédie de Sophocle, revivifiée, actualisée. Le destin s’écrit dans la langue cinématographique, et dans un autre lieu, primitif et sauvage, en plein désert marocain.

Ce film naît de cette nécessité de franchir toute douleur, toute mémoire, de ce lieu de la présence même qui est le réel ancré dans son époque mais aussi d’Hier. Pasolini est ce passeur qui tisse les liens à renouer entre les rives d’un même courant, en poète cinéaste, essayant de résoudre le mystère de sa propre existence.

Sa fascination du langage corporel, gestuel, l’intensité du silence permettent la coexistence d’un récit de ses origines avec celui du mythe et de Sophocle. Les forces de l’adaptation y résident. Elles correspondent à un désir de réalité, désir même qui fonde le style propre au film, un cinéma de poésie.

Ce cinéma de poésie appelle au déséquilibre de la continuité, il multiplie les chocs esthétiques. Il est langue de la réalité et de l’irrationnel. Le temps et l’espace d’Oedipe roi sont ceux de l’intime, du rêve, un temps et un espace pré-historiques, réengagés dans le désir.

L’engagement d’oedipe dans le désir est sa tragédie. Le désir le détourne de la vérité . Et pourtant c’est en allant jusqu’au bout de ce désir, de ses pulsions dionysiaques qu’il retrouve la vérité en lui-même, son origine. Sa vie se termine là où elle a commencé.

© carlotta

L’Oedipe roi de Pasolini transpose poétiquement cette grandeur tragique d’un Oedipe qui est avant tout un homme, innocent et criminel, tyran et victime émissaire . 

1. Pier Paolo Pasolini , L’expérience hérétique. Langue et cinéma, traduit de l’italien par Anna Rocchi Pullberg, Paris,  Editions Payot, coll. « Traces » , 1976, P. 201. 

2. Gilles Deleuze, Qu’est-ce que l’acte de création, conférence donnée à la FEMIS, 17/05/1987.

3. Yves Bonnefoy, Leçon inaugurale au collège de France le 4/12/1981, Paris, Collège de France, 1982, p 26. 

4. Pier Paolo Pasolini ,  in Entretien avec P.P.P avec J. Duflot, Paris,  Editions Gutenberg, 2007.

5. Yves Bonnefoy,  Leçon inaugurale au collège de France le 4/12/1981, Paris, Collège de France, 1982, p 26. 

6.  Yves Bonnefoy,  in Le Monde, propos recueillis par Stéphane Barsacq et Jennifer Schwarrz, Paris, 30/12/2011

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3 Commentaires

  • SMILEY
    SMILEY

    Ma génération que l’on qualifie de soixante huitarde pourrait être également appelée en matière de cinéphilie la génération ‘ intello mais pas trop’ . Si elle rejetait fantomas et les delon gabin belmondo elle plebiscitait wajda, visconti, fellini, kurosawa,bunuel, kubrick, bergman, losey, la nouvelle vague m^me moins nouvelle…. et tant d autres. La liste est longue.
     Bref  une cinéphilie de qualité, assez confortable et toujours confirmée par le box-office. Les plus courageux allant jusqu’à resnais, godard et même benazéraf.
    Mais il  y avait une ligne rouge que peu d’entre nous traversaient, le cinéma de plus grande exigence et de moindre rentabilité, plus confidentiel,  ceux de straub et huillet, de garrel , d’ eustache peut-être et, oui, de pasolini.
    Cet homme en costume, maigre, aux joue creuses, trop bien peigné pour nous, homosexuel affiché, nous rendait méfiants . Nous n’avons pas vu accattone et méprisé porcherie, salo perçu comme un film commercial SM inutilement cruel . Son assassinat de nuit faisait crapuleux, ça ne serait pas arrivé aux lang hitchcock  hawk ophuls lubitsch etc etc que nous regardions au champo ou au cinéma de minuit qui l ignorait.
    Pourtant il y avait eu théoreme, film grave au synopsis choquant m^me à cette époque mais nous y allions pour terence stamp . Et puis pour les plus graveleux d entre nous les derniers opus de pasolini le décameron et les mille et une nuit tous deux bien gras bien huileux un peu déconcertants de la part du maitre.
    Allez, il va falloir regarder pasolini. Et avec le regard d’histoire et société dont on ne dira jamais assez la quotidienne nécessité.
     

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    • Daniel Arias
      Daniel Arias

      Mon oncle d’Amérique” d’Alain Resnais est visible sur le site de France TV jusqu’en septembre.

      Avec les interventions scientifiques d’Henri Laborit et une dose de matérialisme dialectique et de matérialisme historique.

      Je découvre ce film de 1980 seulement aujourd’hui mis à part les décors il n’a pas vieilli.

      https://www.france.tv/films/festival-de-cannes/3413515-mon-oncle-d-amerique.html

      Avant de regarder ce film je suis tombé sur cette lecture avec un enregistrement de qualité de
      “Le matérialisme dialectique et le matérialisme historique” avec une couverture qui aujourd’hui fait rêver de “Les éléments du communisme” aux éditions sociales – édition de 1945.

      https://youtu.be/LMtSFaYBu7M

      Avec une merveilleuse citation de Paul Vaillant Couturier que notre chère camarade éternelle optimiste va sûrement apprécier.

      Le Communisme est la jeunesse du monde.

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      • Baran
        Baran

        Je signale une rétrospective de Pasolini au MK2 Beaubourg pour ceux qui sont en île de France

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