Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Sur la liberté de création. Une petite réflexion pour le réveillon du Nouvel An

Une des réussites de ce blog est sans doute le fait que le communisme y apparait pour ce qu’il est : une civilisation… La culture reflète non seulement ce qui caractérise toute politique “socialiste” menée par un gouvernement communiste à savoir assurer la paix, la sécurité, l’éducation et la santé, et pour cela avoir foi en la science et en la création, mais à le faire avec une vision morale mais pas “édifiante”. Comme ARAGON, le créateur peut alors murmurer “je suis bien votre pareil …” sans se raconter des histoires mais dans l’effort pour tous … Le cinéma qui est espace et temps d’un pays, d’une époque traduit cette subjectivité collective et individuelle. MERCI à Marianne qui nous a trouvé ces films de l’époque soviétique qui sont les favoris encore aujourd’hui du peuple russe. (note de Danielle BLEITRACH et traduction de Marianne Dunlop)

29.12.2021

La saison des fêtes tant attendue est arrivée. Beaucoup les passeront, malgré le coronavirus, dans des stations balnéaires russes ou étrangères. D’autres peut-être à la campagne. Pour certaines personnes, même ces jours de fête seront des jours de travail. Mais la grande majorité des habitants de notre pays fêteront traditionnellement la nouvelle année chez eux, en famille. Et, comme le savent tous ceux qui ont vu Prostokvashino, la principale décoration de la table de nos jours est la télévision. Et le fait de regarder son programme pendant les principales fêtes d’hiver suggère quelques réflexions.

Lorsqu’il s’agit de la sphère culturelle en URSS, la société libérale et semi bohème entame régulièrement la chanson triste et monotone sur l’oppression, le manque de liberté, l’oppression, prononçant le mot “censure” avec des tremolo dans la voix et, si l’âge le permet, se plaignant du passé. Les terribles autorités soviétiques dictaient les intrigues, coupaient les scènes et mettaient au placard les œuvres les plus avant-gardistes – un véritable cauchemar ! Mais il y a eu la perestroïka, puis l’effondrement de l’Union soviétique et la “liberté” avec une canette de Coca et un chewing-gum en prime. Il semblerait que les chefs-d’œuvre, ou du moins des chansons, des films, des tableaux et des édifices d’une certaine valeur, imprégnés de la grandeur de l’esprit créatif libre, auraient dû pleuvoir sur le pays et le monde comme d’une corne d’abondance. Mais voilà…

Depuis dix ans maintenant, depuis que je regarde le réveillon du Nouvel An ou la télévision du Nouvel An, il y a eu “L’ironie du sort” (1), “Les gentlemen de la fortune”, “Le bras de diamant” (2), “Les magiciens” et “Un miracle ordinaire”. Et pas seulement cela, mais aussi d’autres films – comédies, contes de fées, dessins animés –tous venus directement d’Union soviétique ! Mais non, j’exagère. Chaque année, on essaie de glisser dans ces rangs harmonieux un ou deux nouveaux films, comme des sapins de Noël en plastique, ou un remake ou une reprise de ces mêmes classiques soviétiques. Ils ressemblent à un poulet bouilli parmi les cygnes. L’année suivante, ils seront aussi froids que s’ils n’eussent jamais existé. Et en effet – l’argent du ministère de la culture est dépensé, les quelques personnes qui ont osé voir la nouvelle création au cinéma l’ont vue – alors pourquoi continuer à se ridiculiser et à faire souffrir les gens ?

Cependant, parlons du fond. Prenons l’émission de télévision actuelle pour le 31. Les deux principales chaînes du pays sont Channel One et Russie-1. Sur la première, à 6h45, commence “La croisière tigrée”, puis vient “La Belle Barbara à la natte longue”, et après une pause dans l’émission, on continue avec “La Nuit de carnaval” et “Moscou ne croit pas aux larmes” (3). Etc. etc. – le dernier marathon des classiques du cinéma soviétique se termine sur “Ivan Vassilievitch change de métier” à 20h45 à Moscou. La seule exception à cette liste est un film russe contemporain, également basé sur une œuvre tournée en URSS, qui la développe – c’est à dire la déforme et l’atténue, mais en fait la parasite tout simplement : “L’ironie du sort. Suite”. Sur Russie-1, rien qui se distingue des séries traditionnelles de Filles, amour et colombes et d’Opération Y. Pas un seul film produit dans les années de la Fédération de Russie.

L’émission est couronnée par “L’éclair bleu”, où l’on maîtrise une nouvelle technique véritablement révolutionnaire : des remakes de chansons et pantomimes, plutôt que de films. Ils “rejouent” les œuvres des grands chanteurs pop internationaux et soviétiques dans des proportions à peu près égales. Seules les chansons de Magomayev ou de Khil interprétées par Kirkorov ou Baskov sonnent non pas tant faux que ironiques. Et ainsi de suite, année après année. Et où sont les fruits de la grande liberté ? Où est cette vague de créativité qui était retenue par les murs gris de l’officialité soviétique et étranglée par la propagande rouge ? Mais il n’y en a pas ! Rien, et ça ne s’arrange pas !

C’est tout de même un exploit particulier : réussir à ne créer pratiquement rien de vraiment valable pendant 30 ans ! Mais il s’agit manifestement d’une tendance évidente dans tous les sens du terme.

À un moment donné, nous étions à la traîne d’Hollywood dans certains domaines – et nous voulions “rattraper et dépasser”. Et maintenant, parfois, il y a des graphiques et des effets spéciaux. Les budgets, bien sûr, ne sont pas comparables à l’argent dont jouit le leader de l’usine à rêves, mais là n’est pas la question ! Il n’y a ni âme ni pensée. L’oppression (si elle existait) a été supprimée, et on a vu ce que cela donnait… ! Mais même cela n’existe plus. Provocations délibérées, gifles au goût du public, outrages flagrants – c’était dans les années 90. Il ne reste plus qu’un malaise pâle et rassasié. Et un formatage omniprésent, la standardisation – parce qu’il est toujours plus pratique pour la production capitaliste de travailler avec un produit standardisé, sauf à changer quelque fois l’étiquette.

Il n’y a pas que nous, bien sûr ; la crise des idées, des sujets et de la véritable créativité a également touché l’Occident capitaliste. Remakes, auto-plagiats, exploitation de la nostalgie, du secondaire et de la banalité, qui sont de plus en plus nombreux d’année en année. “Terminator”, “Matrix”, “Star Wars”, comme un navire de haute mer, sont couverts de bernacles et d’algues, de suites et de spin-offs sans talent. A propos du monde de la lointaine galaxie avec les Jedi et les Sith – il y a quelques années, son auteur, le célèbre réalisateur George Lucas, a admis dans une interview qu’en URSS, les réalisateurs avaient beaucoup plus de liberté qu’aujourd’hui.  Depuis un certain temps déjà, le réalisateur déplore le fait que, dans le monde d’aujourd’hui, il faille faire des films strictement définis pour un public spécifique et des recettes au box-office. Et, tout simplement, pour le profit capitaliste. Et il est impossible de ne pas le remarquer. La main invisible du marché est plus forte et plus impitoyable que n’importe quel censeur. L’art soviétique n’a pas été créé dans un but lucratif, mais pour le bien des idées et des personnes – et c’est pourquoi, dans ses meilleures manifestations, il est immortel.

Créer, c’est prendre des risques. Créer quelque chose de véritablement nouveau, intéressant et vivant est une occasion non seulement de gagner mais aussi de perdre. L’histoire connaît de nombreux exemples où des personnes et des choses, reconnues par les descendants comme géniales, ont été vivement critiquées, de manière destructive, par les contemporains. La véritable créativité est d’actualité et puissante – elle peut devenir un exemple et un étendard, elle peut être une satire caustique ou simplement une beauté face à laquelle les vices du monde réel sont révélés. Mais la grisaille – la grisaille est rarement critiquée – il n’y a aucune raison de la critiquer. Elle n’attire pas l’attention, ne laisse pas d’empreinte dans le cœur – on s’y habitue avec le temps. Mais vous ne devriez jamais vous y habituer ! Sinon, vous vous enfoncerez comme dans un marécage, devenant vous-même gris, car l’être définit la conscience. Le capitalisme est la pauvreté de millions de personnes, non seulement dans le porte-monnaie, mais aussi dans l’esprit. Le socialisme, c’est la vraie liberté de création, de travail et de créativité !

Ivan Miserov (KPRF Moscou)

Note : j’ai cherché pour vous quelques liens vers les films cités avec des sous-titres français :

La liste n’est pas exhaustive et des sites offrent d’abondantes ressources, par exemple : https://www.senscritique.com/liste/le_Merveilleux_cinema_russe_et_sovietique/1135920

https://www.apar.tv/cinema/10-films-russes-cultes-a-voir-gratuitement-ici-et-maintenant/
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