Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Franck Marsal : commentaire sur SAMIR AMIN et la guerre des monnaies…

Ce texte de 2010 est visionnaire. La troisième (et seule réaliste) solution présentée par Samir Amin est celle qui se met petit à petit en place. De plus en plus de pays du Sud (un grand Sud qui a pour rivage l’Océan Arctique avec la Russie) abandonne peu à peu le commerce en dollar pour établir des accords bilatéraux et multilatéraux. Et cela va de pair, en Eurasie, avec un développement du commerce terrestre, à l’abri des routes commerciales perpétuellement sous la menace des porte-avions américains. Dernier exemple en date, le Pakistan, l’Iran et la Turquie viennent d’inaugurer une ligne de fret ferroviaire qui parcours chaque semaine le trajet Islamabad – Téhéran – Istanbul (6300 km).

Tout cela crispe de plus en plus les américains, qui réagissent par des oukases, comme l’interdiction hier du commerce avec le Xinjiang (Biden veut “sauver” les ouighours en les affamant et s’imagine que nous allons avaler cette grossière manipulation), le “boycott diplomatique” des JO (les ministres américains n’iront pas assister aux jeux) etc, etc.
Toute cette agitation ne fait que renforcer un nombre croissant de pays dans la stratégie proposée par Samir Amin. Avec un réalisme qui gagne discrètement des alliés proches de Wahington, puisque l’Australie et la Nouvelle Zélande ont ratifié le RCEP,, le partenariat commercial liant les 10 nations de l’ASEAN (Asie du Sud Est), la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle Zélande. Ce traité commercial, représentant un tiers du monde (tant en population qu’en PIB approximativement) entre en vigueur le 1er janvier prochain.

J’ajoute qu’il est assez comique de vouloir jouer au jeu des sanctions commerciales contre la Chine, tant il est évident que les économies occidentales sont désormais totalement dépendantes des usines chinoises (au choix regardez les étiquettes des produits vendus pour Noël ou regardez d’où viennent tous les équipements nécessaires à la lutte contre l’épidémie, masques, appareils de test, combinaisons, etc etc). Pas plus que l’Australie, la Nouvelle Zélande ou le Japon, la France ni l’Europe n’ont intérêt à un système commercial basé sur des oukases américains et servant en réalité leurs seuls intérêts. Le système de production étant désormais mondial, chaque pays a besoin de pouvoir commercer librement en paix, et en conservant la possibilité de défendre dans ce commerce ses intérêts propres. L’arme commerciale doit cesser de pouvoir être brandie pour mettre au pas des pays que choisissent leur voie de développement autonome (comme Cuba ou le Vénézuela pour ne prendre que des exemples bien connus, mais la liste des pays soumis par les USA commence à être relativement longue et représente une part importante de l’humanité).

Or, il faut bien être conscient que, pour ces pays (et je pense particulièrement à Cuba et au Vénézuela), le plus terrible, ce ne sont pas les sanctions prises par les seuls USA. Le plus terrible, c’est que peu ou prou, tout en protestant mollement, l’ensemble des pays occidentaux et notamment la France, appliquent ces sanctions. Notre lâcheté fait plus de mal que le gouvernement américain. Si on prend l’exemple de l’Iran, lorsque Trump a dénoncé l’accord de dénucléarisation, le gouvernement iranien a dit aux européens : nous sommes prêts à continuer cet accord avec vous seuls si vous mettez en place un mécanisme qui nous permettra de commercer avec vous et de vendre notre pétrole. Les européens ont fait comme d’habitude : ils ont dit oui, ils ont créé un mécanisme … qui n’a jamais fonctionné faute d’assumer jusqu’au bout la volonté politique. Et peu à peu, les iraniens ont repris l’enrichissement d’uranium et ont suivi la voie édictée par Samir Amin : ils ont commercé entre pays du sud, non seulement avec la Chine, également avec le Vénézuela (auquel ils ont fourni les produits chimiques indispensables à la relance du secteur pétrolier), et avec presque tous leurs voisins proches.

Le plus navrant dans l’affaire est que nous appelons encore “démocratie”, un système politique où soulever les enjeux réels des choix que le pays devra faire dès demain dans sa stratégie de développement économique est tout simplement interdit. On a vu comment Fabien Roussel a été maltraité sur France 2 pour avoir été simplement en visite en Chine. Pourtant il faudra bien arriver à poser ouvertement ces débats à une échelle nationale. Comme disait Nelson Mandela, on pense toujours que c’est impossible jusqu’au moment où on le fait.

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