Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

KOPENAWA Davi et Bruce ALBERT, La chute du ciel.

voici ce que l’amie brésilienne qui s’affirme “stalinienne” et refuse le conformisme ambiant nous propose comme lecture… Pas si étonnant que ça croyez le bien moi aussi je ne sais même pas si je suis “stalinienne” comme ils le prétendent mais j’ai toujours rêvé d’aller en Sibérie à la rencontre des cités où l’URSS développait les forces productives mais où la nature était celle du chamanisme, c’est ce que j’ai vu dans les nuits blanches du facteur et là j’ai compris ce que nous disait konchalovsky de la colère contre khrouchtchev … C’est ce qu’ils ne comprendront jamais d’ARAGON comment il est et reste surrealiste tout en ne reniant rien de ce qui fit la FRANCE y compris le rêve de l’immensité russe et de l’ASIE CENTRALE.. C’est le temps long de l’humanité, celui où chaque civilisation nous parle de nous mêmes…Le vraitemps des révolutions… (note de danielle BLEITRACH pour histoire et societe)

Paroles d’un chaman yanomami, préface de Jean Malaurie

Rédaction Décembre 6, 2016 KOPENAWA Davi et Bruce ALBERT, La chute du ciel. Paroles d’un chaman yanomami, préface de Jean Malaurie2017-02-26T21:32:26-05:00Communiqués

Depuis plus d’une dizaine d’années, le bruit courait dans les milieux de l’ethnologie que le tandem Kopenawa-Albert concoctait quelque chose de réellement exceptionnel. Certaines prémices avaient même déjà circulé (Albert 1993 ; Albert et Kopenawa 2003 ; Viveiros de Castro 2007). L’attente en aura valu la peine ! car voici un opus magnum sans équivalent dans l’anthropologie amazoniste. Nul doute que La chute du ciel… entrera dans le panthéon des grands textes de l’anthropologie et laissera une marque indélébile dans l’histoire de la littérature américaniste.

2L’ouvrage compte plus de 800 pages et plus d’un millier de notes. Cela, ajouté au fait que l’auteur de ces lignes soit aussi spécialiste des Yanomami (Kelly 2004), justifie que ce compte rendu excède le volume généralement dévolu à ce type d’exercice. Bien qu’écrit sous la forme conventionnelle du rapport de lecture, ce texte se veut, avant tout, un hommage aux auteurs, témoignage de l’immense estime que celui qui tient ici la plume leur porte.

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3À bien des égards, La chute du ciel se présente comme l’inverse de la thèse de Bruce Albert (1985), qui avait pourtant déjà marqué son époque. Il s’agit en effet, ici, non plus d’ethnologie classique, mais d’un projet totalement différent, fruit de la rencontre, à la fin des années 1980, entre deux fortes personnalités unies par une commune volonté de défendre le peuple yanomami contre les innombrables ravages que lui faisaient subir les projets de développement brésiliens. Kopenawa, convaincu de la nécessité de délivrer un message qui touche plus directement les Blancs, sollicita Bruce Albert pour l’aider à surmonter le fossé culturel qui l’empêchait jusqu’alors d’élargir son audience occidentale. S’ensuivirent les centaines d’heures d’entretien (plus de mille pages transcrites), mené directement en langue yanomami, pendant plus de dix ans, de 1989 au début des années 2000, et sur lesquelles reposent ce livre. Si « la malencontre historique des Amérindiens avec les franges de notre “civilisation” » (p. 17) en constitue la thématique essentielle, ce livre n’en est pas moins aussi, tout à la fois « récit de vie [de Davi Kopenawa], auto-ethnographie et manifeste cosmopolitique » (p. 17).

4Au sein de la littérature anthropologique, un livre comme celui-ci n’est pas de ceux qui se laissent aisément ranger dans une rubrique précise. En effet, tout en étant le portrait d’un amérindien et de sa communauté, brossé dans une optique dialectique et comparative avec le monde des Blancs, il s’agit aussi, simultanément, d’une critique de la culture occidentale émanant de la communauté des esprits yanomami via l’un de leurs porte-parole : le chamane Davi Kopenawa.

5Sans doute n’est-il pas non plus excessif de dire que, parmi les très nombreux écrits consacrés aux Yanomami, La chute du ciel représente celui qui, avec un maximum de respect et de méticulosité, a le mieux réussi à dépeindre ce peuple amazonien jusque dans ses moindres détails : de la cosmologie au chamanisme, en passant par la vie quotidienne, la parenté, la guerre, le leadership, les arts oratoires, l’histoire du Contact, l’ethno-politique jusqu’aux conséquences de l’intensification des relations avec l’État-nation et l’insertion croissante dans une économie mondialisée. Narré entièrement par Kopenawa, La chute du ciel fait tout cela sans aucun recours au jargon académique, rendant l’ouvrage accessible, et même particulièrement attrayant, pour un grand public intéressé par les peuples autochtones et par ce processus aux facettes multiples, présent aux quatre coins de la planète, que l’on nomme aujourd’hui « développement ». Il ne s’agit pas moins d’un livre complexe, qui intéressera au premier chef l’ethnologie et, plus généralement, l’ensemble des sciences sociales. S’il est vrai qu’un des objectifs prioritaires de l’anthropologie est de laisser le champ libre à d’autres formes de construction du sens et de nous éclairer sur d’autres univers conceptuels susceptibles de relativiser le nôtre, alors La chute du ciel est incontestablement un chef d’œuvre anthropologique.

Le pacte ethnographique

·         1  « [E]very understanding of another culture is an experiment with our own » [Toutes les notes ont é (…)

·         2  « [T]heir misunderstanding of me was not the same as my misunderstanding of them ».

6« Comprendre une culture autre, c’est faire une expérience sur la nôtre », disait Wagner (1981, p. 12)1, et cela vaut dans les deux sens. La chute du ciel est un magnifique exemple d’objectivation réciproque, récursive et réflexive, du soi et de l’autre. Le travail créatif accompli respectivement par l’anthropologue et l’amérindien, les textes du premier et les rêves du second, enrichis par un investissement mutuel dans les formes de créativité de l’autre, ont permis de surmonter tous les obstacles du chemin menant du point de départ de toute rencontre ethnographique – là où « leurs méprises sur moi diffèrent de mes méprises sur eux » (ibid., p. 20)2 – jusqu’au point de jonction, de reconnaissance et de mise en relation intellectuelle de deux modes de créativité distincts.

·         3  « Indiens agressifs et guerriers », « tribu indienne où aucun Blanc n’avait jamais pénétré », en d (…)

7Cela fait partie de ce qu’Albert appelle le « pacte ethnographique », supposant un rapport au « terrain » radicalement post-malinowskien, plus impliqué qu’appliqué, pour reprendre les propres termes de l’auteur (Albert 1995 ; 1997). La valeur tout à la fois heuristique et déontologique de ce pacte constitue une des principales leçons à retenir de cet ouvrage, source d’inspiration pour bien des ethnographes dont les terrains respectifs seront certes différents dans la forme, mais pas tant dans le fond, en comparaison avec celui dans lequel Albert s’est construit comme anthropologue. À ses débuts, en 1975, il fut d’emblée et brutalement confronté tout à la fois à une fallacieuse image « exotisante » des « féroces » Yanomami – alors tout juste contactés3 – et aux effets déjà tragiques de la construction de la Perimetral Norte – une autoroute destinée à établir une jonction avec la Colombie en coupant à travers le territoire yanomami. D’où l’anxiété initiale de l’auteur, qui se demandait :

Comment concilier connaissance non exotisante du monde yanomami, analyse des tenants et aboutissants du funeste théâtre du « développement » amazonien et réflexion sur les implications de ma présence d’acteur-observateur au sein de cette situation de colonialisme interne ? (p. 568)

8Pour en arriver à la recette suivante :

D’abord, bien entendu, rendre justice d’une manière scrupuleuse à l’imagination conceptuelle de mes hôtes, ensuite prendre en compte avec rigueur le contexte sociopolitique, local et global, avec lequel leur société est aux prises et, enfin, conserver une VISÉE critique sur le cadre de l’observation ethnographique elle-même. (pp. 568-569)

9Le pacte repose aussi sur la prise de conscience que l’ethnologue n’est en définitive « adopté » par ses hôtes que parce qu’ils espèrent ainsi investir dans l’avenir, faisant le PARI qu’il pourra à terme leur servir de médiateur, utilisant ses compétences pour rééquilibrer un tant soit peu l’asymétrie des positions de pouvoir, y compris pour limiter la propagation des épidémies, les spoliations territoriales, les migrations forcées et la myriade d’autres formes de racisme et de discrimination auxquelles les communautés autochtones sont régulièrement confrontées. Un pacte suppose deux parties et l’enjeu consiste à terme, pour les Amérindiens, à :

S’engager dans un processus d’auto-objectification au travers du prisme de l’observation ethnographique, mais sous une forme qui leur permette d’acquérir à la fois reconnaissance et droit de cité dans le monde opaque et virulent qui s’efforce de les assujettir. Il s’agit en retour, pour l’ethnographe, d’assumer avec loyauté un rôle politique et symbolique de truchement à rebours, à hauteur de la dette de connaissance qu’il a contractée, mais sans pour autant abdiquer la singularité de sa propre curiosité intellectuelle (de laquelle dépendent, en grande partie, la qualité et l’efficacité de sa médiation). (p. 571)

10Le pacte Kopenawa-Albert nous enseigne que le fameux « engagement » de l’ethnologue, son devoir d’« implication politique », s’accompagne d’une double exigence : respecter l’imaginaire et le style cognitif du peuple qui l’accueille et assumer les responsabilités entraînées par la médiation. Ceux d’entre nous qui ont choisi de passer leur vie dans l’orbite amérindienne savent à quel point les pratiques universitaires et les valeurs académiques tendent à ériger des barrières étanches entre ces deux éléments. D’où, grâce au pacte et par contraste, la splendeur et la force dramatique de La chute du ciel.

Dans La chute du ciel, la répartition des rôles respectifs de l’auteur et du narrateur(authorship), loin d’être claire, relèverait plutôt de l’expérimentation. Kopenawa – instigateur du projet dont la vie, l’ethnographie et les propos constituent le cœur même de l’ouvrage – semble assumer le statut du narrateur, de l’énonciateur principal. Albert, pour sa part, serait plutôt l’auteur, responsable de l’organisation générale de l’œuvre et du travail de traduction assurant la divulgation de la pensée de Kopenawa à un public élargi. Cependant, au cours de cette tâche particulièrement ardue, Albert choisit de ne pas s’effacer totalement du texte, mais d’y laisser une trace « discrète », dit-il, de sa présence, un reliquat du travail en collaboration. L’apparat critique – à commencer par les innombrables et fort précieuses notes de fin – éclaire grandement le lecteur, de même que les trois annexes qui permettent de replacer dans leur contexte le peuple yanomami, la région natale de Kopenawa et l’horreur ethnocidaire engendrée par l’orpaillage illégal. L’ouvrage comprend également deux glossaires (ethnobotanique et géographique), plusieurs index, ainsi que des têtes de chapitre et des épigraphes soigneusement choisis4. Il est illustré de nombreux dessins yanomami, aussi beaux qu’instructifs, et de nombreuses photographies qui permettent de mettre un visage sur Kopenawa, son peuple et sa trajectoire5.

12Albert a opté pour une traduction « à distance moyenne », juste, se faufilant habilement entre les écueils du trop littéral et du trop littéraire. On peut le féliciter d’avoir su saisir dans ses moindres détails une rhétorique subtile, qui ne se manifeste généralement, en yanomami, que par le biais de simples suffixes ; d’avoir restitué les figures de style typiques du discours yanomami, notamment l’antiphrase (un énoncé négatif destiné à mettre l’accent sur son contraire). Tout cela plonge le lecteur au cœur même du registre poétique yanomami et sonnera particulièrement juste à ceux qui ont quelque familiarité avec les langues amérindiennes. Pour le dire brièvement, même en traduction, les paroles de Kopenawa conservent la flamme métaphorique de la langue yanomami, sa poétique de l’analogie et de l’imagerie sylvestre.

·         6  « Legions are the stories of anthropologists who are such magnificent fieldworkers that they actua (…)

On ne compte plus les histoires d’ethnologues tellement doués pour le travail de terrain qu’ils auraient pu, ou même dû, devenir eux-mêmes indigènes ; capables d’accomplir les danses tribales, mais pas de les décrire ; volontiers possédés par les esprits indigènes, mais incapables d’en parler. (Schneider in Wagner 1972, p. viii)6

13Ni Kopenawa, ni Albert n’ont succombé à ce travers, en cherchant à devenir Blanc ou Indien, et c’est précisément parce qu’ils se sont constamment efforcés d’appréhender la perspective de l’autre dans une dynamique dialectique que La chute du ciel permet de voir notre « culture scientifique » ou notre « vision matérialiste et marchande du monde » d’un point de vue extérieur : celui d’un chamane et des esprits yanomami. Voilà pourquoi le lecteur qui s’attendrait à des envolées autocritiques postmodernes risque fort d’être déçu, tout comme ceux qui se laissent impressionner par les lénifiants messages pseudo-chamaniques prônant un monde meilleur et le bonheur universel. La chute du ciel est le fruit d’un dur labeur, tout comme Kopenawa a dû travailler dur pour devenir chamane et CONTINUE de peiner pour défendre son peuple et son territoire. Kopenawa ne simplifie pas plus sa description du panthéon spirituel yanomami qu’il n’édulcore sa description de l’ethnocide et des dévastations forestières. Faire saisir au lecteur le niveau de complexité et de déséquilibre inhérent aux situations décrites fait partie intégrante des objectifs de ce livre.

14Dans le post scriptum, Albert laisse clairement entendre que la réflexion sur l’énonciation (authorship) a été cruciale tout au long de la préparation de l’ouvrage. Viveiros de Castro (2007) a donc parfaitement raison de comparer les stratégies de distanciation narrative qu’on y observe au plus pur des exercices chamaniques ; en l’occurrence, sens dessus-dessous, sans doute, mais non moins caractérisé par ces jeux d’enchâssements incessants qui caractérisent le genre. En effet, n’est-ce pas par le truchement d’un Blanc (l’ethnologue) que Kopenawa nous présente le monde de ces derniers, mais tel que se le représenteraient les xapiri (les esprits yanomami) ! Difficile, dès lors, de savoir qui, en dernière instance, est l’énonciateur de ces paroles proférées par un chamane qui ne serait lui-même que le porte-voix d’esprits qu’il a appris à connaître grâce aux enseignements de son beau-père. « Ce sont là les paroles d’Omama (le démiurge yanomami) », répète inlassablement Kopenawa. Mais combien d’intermédiaires et combien de traducteurs sont-ils impliqués dans cette construction du sens ? Beaucoup, puisqu’y concourent tout à la fois les xapiri dans leur inépuisable diversité, un maître chamane et son apprenti, ainsi qu’un ethnologue blanc. Et quel est ici l’auditoire ? Le message s’adresse clairement aux lecteurs occidentaux. La sagesse qui émane tant de ses exhortations que de sa manière de décrypter le monde des Blancs n’en reste pas moins pertinente pour les proches de Kopenawa, d’autant que beaucoup d’entre eux vivent aujourd’hui dans cet entre-deux hybride où l’Amérindien et le Blanc s’entrelacent.Partager:

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