Histoire et société

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Grandeur et décadence: Todd explique comment l’URSS aurait fait “imploser” le système social US

Il vaut mieux être un homme à paradoxes qu’à préjugés, voila une définition de Rousseau qui convient parfaitement à Emmanuel Todd. En fait, nous serions devant une ruse de l’histoire que ne voudrait pas voir la russophobie ambiante, l’apparent vainqueur de la guerre froide a été en fait entraîné dans la chute de son adversaire qui après une période terrible s’avère dans un meilleur état que les Etats-Unis qui n’auraient pas supporté le choc de la lutte contre le communisme. Quelles que soient les données statistiques la démonstration a surtout le mérite de nous imposer “une rupture épistémologique” avec nos idées reçues, ce qui est toujours sain (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

19:05 20.10.2021

© AFP 2021 ERIC FEFERBERG / AFPS’abonner

Maxime Perrotin - Sputnik France

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La société américaine semble malade. Pour l’anthropologue Emmanuel Todd, l’une des raisons est à chercher du côté de la Guerre froide, durant laquelle le système social états-unien n’aurait pas résisté à la concurrence de son homologue soviétique.

“Comment est-ce qu’on peut continuer dans ce délire russophobe sans se poser de questions?”

Et si le déclin de l’Empire américain était avant tout social? Et si c’était feu l’URSS qui avait précipité cet affaiblissement, remportant une victoire posthume sur son adversaire de la Guerre froide? C’est la thèse, paradoxale en apparence, qu’a développé Emmanuel Todd lors d’une conférence qu’il a animée le 14 octobre à Paris pour le Dialogue franco-russe.https://www.youtube.com/embed/DgCZj_jHUOs Alors que les États-Unis semblaient être sortis grands vainqueurs de leur confrontation avec l’Union soviétique au début des années 1990, ils portaient déjà en eux le germe de leur effondrement social. Pour en arriver à de telles conclusions, l’anthropologue et historien s’est penché sur des “indicateurs très simples” de la santé de la société étasunienne. Les mêmes que ceux qui lui permirent de prédire l’implosion de l’URSS dans son premier ouvrage, La chute finale (Éd. Robert Laffont, 1976) quinze ans avant qu’elle n’advienne.

“Si cela a marché dans les années 70, pourquoi cela ne marcherait-il pas maintenant?”, s’amuse-t-il. Mortalité infantile élevée (5,6pour 1.000 aux États-Unis, contre 4,9 en Russie), recul de l’espérance de vie aux États-Unis alors qu’elle progresse en Russie. Un recul dopé par la progression du taux de suicide tout au long des années 2000 outre-Atlantique (14,5 pour 1.000 habitants contre 11,5 en Russie), ainsi que par l’envolée des overdoses d’opioïdes et de l’alcoolisme.

Évolution “négative” aux USA Vs “stabilité” du système social russe

Des morts qui, en fait, reflètent la destruction de la classe ouvrière américaine“, estime Emmanuel Todd, qui oppose à cette évolution “frappante” et “négative” au pays de l’Oncle Sam… la “stabilité” du système social russe.

Si ces tendances se confirment, cela veut dire que le modèle social russe est en train de se rapprocher du modèle européen et que les États-Unis sont en train de s’éloigner du modèle européen de l’Ouest. […] On va vers une révision assez radicale des attitudes traditionnelles”, développe-t-il.La persistance d’un discours négatif sur la Russie est étonnante, alors qu’il est si facile de sortir des évolutions positives spectaculaires“, lance l’anthropologue. Et pour cause, le constat chiffré qu’il pose prend le contrepied du portrait régulièrement dépeint d’une société russe où le niveau de vie ne cesserait de se dégrader.Ces chiffres sont d’autant plus honteux pour les États-Unis que les dépenses sociales y sont proportionnellement plus élevées: 16,5% du PIB, contre 10 à 15% dans les pays ayant un niveau de développement comparable. Autre statistique que brandit l’anthropologue: celle de la population carcérale, qui bat tous les records en Amérique. Une situation, là encore inverse à la tendance en Russie, où le nombre de personnes incarcérées a été divisé par deux en vingt ans. “En 2016, nous avons 655 incarcérés pour 100.000 habitants aux États-Unis et 328 seulement en Russie. C’est le taux le plus élevé du monde, ce n’est pas une société normale!, juge Emmanuel Todd.

Lutte contre l’URSS: âge d’or et effondrement du modèle US

Reste donc à savoir comment on a pu aboutir à une telle situation. Toujours sur le ton de l’hypothèse, l’auteur de La chute finale prend à rebrousse-poil les idées reçues. Celui-ci avance que si le système politique soviétique s’est effondré, contrairement à celui des États-Unis, la concurrence idéologique communiste a en revanche fait “imploser” le système social américain.

“Il faut être capable de voir que le système social américain n’est plus le même. Cette transformation n’a pas été aussi violente que l’implosion du communisme, qui a créé des niveaux de souffrance instantanée beaucoup plus élevés. Mais quand même, obtenir dans le pays qui à la fin des années 1920 pesait 44,8% de la production industrielle mondiale une mortalité infantile absolument minable, une baisse de l’espérance de vie, c’est bien qu’il y a eu destruction de quelque chose.” Comme le rappelle l’anthropologue, qui entend penser les États-Unis et la Russie comme un système, l’influence réciproque de ces deux blocs antagonistes a dans un premier temps été “bénéfique“. Emmanuel Todd évoque ainsi la “montée en puissance d’un état socialle plein emploi, d’un keynésianisme allant de soi, d’une Amérique responsable sur le plan planétaire avec le plan Marshall “au sein d’un bloc de l’Ouest d’après-guerre où le libéralisme ne pouvait plus être aussi virulent qu’au cours du XIXe et du début du XXe siècle.Bref, l’existence d’un modèle alternatif communiste a poussé le modèle libéral occidental à s’assagir, le rendant socialement viable… et enviable, contribuant ainsi à son essor.

“C’est le paradoxe ultime du communisme russe, qui a été quand même assez dur pour les Russes eux-mêmes […] Le moment de la concurrence russe a été le plus beau moment de l’histoire américaine. La puissance russe a été associée à un grand moment de bien-être dans la vie des États-Unis, avec une classe ouvrière prospère.” Mais tout s’est emballé. Ces classes ouvrières “épanouies” et leurs puissants syndicats qui entament les profits inquiètent. En témoigne le maccarthysme. Parallèlement, toujours à travers cette nécessité de faire face à la concurrence communiste, l’influence du bloc de l’Est jouera un rôle déterminant dans l’émancipation des Noirs américains. “Cela va être un choc interne majeur” pour une société démocratique étasunienne incapable de se “définir une conscience collective indépendamment de la question raciale“, estime Todd.

“L’Amérique est poussée au-delà d’elle-même […] Tout cela va mener à la révolution néolibérale et à un tout autre système”, développe Emmanuel Todd. C’est cet avènement du néolibéralisme, “dont on commence à se rendre compte qu’il a détruit le tissu social américain“, qui aurait ainsi entériné l’”implosion” du système social américain. [58 :08] “Les Russes ont gagné: la démocratie américaine a été détruite, en grande partie par la concurrence du communisme“, conclut l’anthropologue, qui conçoit que cette “idée” soit en Occident “difficile à accepter“, dans la mesure où le système politique ne s’est pas effondré comme à l’Est.

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2 Commentaires

  • Daniel Arias
    Daniel Arias

    Ne pourrait-on pas penser également un système Allemagne—bloc-de-l’Est ?
    La destruction des industries communistes des pays de l’Est et la mise à disposition d’ouvriers qualifiés, techniciens et ingénieurs en grand nombre ont favorisé les délocalisation de l’industrie automobile européenne, aboutissant en Allemagne à des baisses de salaires négociées avec les syndicats cogestionnaires, à la flexibilité, aux lois Hartz IV, à la directive des travailleurs détachés, à la profonde transformation du transport routier et du marché de la main d’œuvre agricole.
    L’insécurité croissante des salariés allemands est accompagnée d’une pression croissante sur les industries des autres pays concurrents, l’Europe du Sud en particulier, mais aussi par la consommation de produits issus de pays où l’exploitation extensive de la main d’œuvre est grande, plus-value absolue, comme dans le textile au Bangladesh.
    Les conséquences pour le reste de l’Europe est une division du travail entre l’Allemagne qui garde une plus-value relative supérieure, assure un marché de consommation et contraint les autres pays à des politiques de désindustrialisation, où de sous-traitants périphériques, à faible plus-value relative (industrie d’assemblage espagnole).
    Le tout dans une idéologie post-moderne de décroissance, opposant une nature idéalisée au développement, au progrès.
    Cet écran vert masque les inégalités croissantes, l’impérialisme qui détruit la souveraineté des États périphériques, leurs chances de développement d’égal à égal.
    Cet écran aveuglant les classes moyennes se brise sous la pression de la réalité de la concurrence capitaliste mondiale.
    Sans écran, quand le mensonge ne marche plus — au point que le cinéma, les séries dénoncent de plus en plus le capitalisme —, quand presque plus rien ne garantit un avenir heureux et que la survie est la seule option pour un peuple, la bourgeoisie n’a plus d’autre option que la voie fasciste.
    Sans communistes organisés, le peuple n’aura plus le choix, les autres formations vont les pousser dans les bras des fascistes.

    Ce matin à la boulangerie, une vieille dame parlait de bande de voyous armés s’exhibant, je n’ai pas put vérifier cette rumeur, mais elle risque de se répandre.
    Par contre la jeune caissière évoquait l’incendie d’un arbre dans une maison devant son immeuble HLM, des gents qui pissent dans les halls, des maisons tagués par des jeunes apparemment payés par un homme de 38 ans.
    Ce que j’ai put voir un soir de la semaine dernière c’est deux incendies de haies dans deux maisons distante de 100m, même semaine que l’incendie de l’arbre. Heureusement la première a rapidement été éteinte les maisons et les haies se touchent souvent dans mon quartier.
    Aucun élu n’est venu prendre des nouvelles dans le quartier.
    On en est plus a simplement des petits jeunes un peu stupides et mal polis.
    Déjà lors de l’élection de Sarkozy en 2007, j’avais croisé une connaissance d’enfance, je distribuais les tracts pour MGB, et lui, un fils de marocain, pour Sarko ! Jamais cet idiot n’avait fait de politique, sans qualification, sans emplois stable. Il n’a pas osé me répondre quand je lui ai demandé la raison de sa distribution de tracts.

    Pendant les prochains mois les média ne vont pas arrêter de nous présenter des nouvelles plus sordides les unes que les autres, faire monter l’insécurité.

    De quoi préparer la mise au silence du peuple en France.
    L’attaque fasciste des locaux de la CGIL à Rome ce mois ci est passée sous silence.

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  • marsal
    marsal

    Je relis cet article, j’étais passé à côté en octobre. C’est quand même très intéressant à la lumière de ce que l’on vit aujourd’hui !! Et on peut effectivement, comme le suggère le commentaire, remplacer USA par Occident.

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