Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

DISCUSSION SUR LE PRÉSENT ET L’AVENIR

Grâce à Andrei et Marianne, notre blog est désormais en situation de suivre les débats qui ont lieu au sein du KPRF et plus largement vu l’influence de ce dernier au sein de la société soviétique. Ce texte est important non seulement parce qu’il démonte un certain nombre d’idées reçues que nous avons sur le rôle joué par Khrouchtchev et la manière dont nous ignorons que c’est lui que l’on peut considérer comme gauchiste parce qu’il pense que le communisme est déjà là, c’est lui qui va attaquer un certain type de propriété privée comme sur un autre plan il favorise des “interventions” plus ou moins justifiés envers des régimes plus “clients” que socialistes. Et la fermeture du débat sur les choix possibles économiques est plus de son fait que de celui de Staline, du moins si l’on en croit ce texte passionnant et très argumenté. Cette réflexion est à mettre en relation avec celles que mènent les communistes chinois sur les raisons de la chute de l’URSS, sur la transition socialiste, sur le rôle du parti communiste. Ce que nous publions n’est pas une ligne que nous souhaiterions voir aborder par les communistes français mais bien l’ouverture d’un débat qui est indispensable dans les temps d’asphyxie intellectuelle qui sont les nôtres (note de Danielle Bleitrach – traduction de Marianne Dunlop)

26.08.2021

https://gazeta-pravda.ru/issue/92-31152-26-avgusta-2021-goda/diskussiya-o-nastoyashchem-i-budushchem/

photo: Staline et Khrouchtchev dans ses années de jeunesse.

Il y a 70 ans, à l’automne 1951, à l’initiative du Comité central du VKP(b), une discussion économique de grande envergure a eu lieu dans le pays, dont l’importance allait bien au-delà du sujet officiellement désigné – la préparation et la discussion du projet du premier manuel complet d’économie politique en URSS. Un certain nombre de points soulevés au cours de cette discussion et résumés par Staline lui-même constituent une contribution de poids à la théorie marxiste-léniniste et restent valables aujourd’hui.

En fait, la discussion de l’ébauche, comme on dirait aujourd’hui, d’un manuel de base sur l’économie politique – partie intégrante de la théorie marxiste-léniniste – a été l’occasion d’un large échange de vues entre les chercheurs, non seulement les économistes mais aussi les praticiens, sur la manière dont l’économie soviétique et la société dans son ensemble devraient se développer. En fait, la discussion a été lancée avec le début de la nouvelle année scolaire 1951/52, et ses résultats intermédiaires ont été résumés en novembre 1951. Cependant, la signification des points de vue exprimés au cours des discussions était si importante du point de vue de l’application du marxisme-léninisme dans les conditions d’une construction socialiste réelle et dans le contexte de l’établissement de relations avec le monde environnant, que Staline, qui suivait de près toutes les tournures des disputes savantes, jugea nécessaire, plus tard, de s’exprimer personnellement sur les questions les plus “brûlantes”.

Ces déclarations bien connues, qui étaient présentées sous forme de commentaires sur la discussion en général ou de réponses à certaines des propositions les plus aiguës et les plus controversées faites au cours de la discussion, ont constitué l’une des œuvres les plus importantes de Staline – “Problèmes économiques du socialisme en URSS” qui a été achevée à l’automne 1952, presque à l’ouverture du 19e Congrès du Parti, et fut sa dernière œuvre. Cependant, une fois encore, toutes les dispositions soulignées par Staline dans cet ouvrage comme particulièrement importantes ont été abordées sous une forme ou une autre près d’un an plus tôt, à l’automne 1951, au cours de la discussion, ce qui détermine sa signification historique.

Les dates indiquées nous permettent de tirer un certain nombre de conclusions qui sont d’une importance fondamentale du point de vue du moment présent. Tout d’abord, ce seul fait témoigne, au mieux, d’une ignorance absolue et, au pire, du mensonge délibéré de ceux qui, aujourd’hui, tentent d’assurer aux Russes, depuis les écrans de télévision, que Staline “dans les dernières années de sa vie s’est retiré de toutes les affaires importantes” et que “d’autres” ont “gouverné à sa place”. La Pravda a déjà démenti ces insinuations plus d’une fois, notamment dans des publications en rapport avec le 19e congrès du parti, qui a eu lieu quelques mois avant la mort de Staline et dont les décisions les plus importantes (y compris les changements de nom du parti et sa nouvelle constitution) ont été prises sous sa direction directe.

Deuxièmement, ce qui précède renvoie à une autre thèse, non moins fausse : Staline aurait, depuis la guerre, abandonné le léninisme. La Pravda a commenté à plusieurs reprises cette affirmation stupide – il n’y a pas d’autre mot ! – et totalement infondée. Aujourd’hui, nous nous contenterons d’ajouter : les conclusions tirées par Staline de la discussion économique montrent clairement que dans les mois qui ont précédé sa mort, il est resté un fidèle adhérent des idées du marxisme-léninisme et ne les a jamais abandonnées.

Une fois de plus, nous sommes convaincus que toutes les tentatives d’ “enfoncer un coin” entre Lénine et Staline, de faire de Staline en une sorte de “chef d’empire” nationaliste et ayant renoncé à la lutte de classe, s’effondrent au premier contact avec les faits. Quant aux conclusions de Staline sur la discussion elle-même, elles sont un développement direct des idées de Lénine dans le nouveau contexte.

Ainsi, une place à part dans les remarques de Staline est accordée à l’œuvre fondamentale de Lénine “Sur la coopération” et aux considérations qui y sont liées, que Staline distingue et traite dans un sens plus large, les appelant “le fameux “plan de coopération” de Lénine”. Et il conclut : “L’histoire de notre construction socialiste montre que cette voie de développement, esquissée par Lénine, s’est pleinement justifiée”. Staline souligne ainsi l’importance des idées de Lénine en tant que base non seulement pour établir des liens acceptables entre la ville et la campagne dans les conditions spécifiques du début des années 1920 et du passage à la nouvelle politique économique, mais aussi pour le développement des relations socialistes à l’avenir. Les questions les plus importantes ici sont la préservation des relations marchandes dans une société socialiste pendant une période relativement longue et le problème de la cohérence dans la construction d’une telle société.

À cet égard, Staline tire plusieurs conclusions idéologiques et politiques cruciales en même temps. Tout d’abord, il souligne la différence fondamentale entre la préservation de “notre production marchande” et la production capitaliste, qui consiste dans le fait qu’elle est de nature limitée. A savoir : “Elle est… placée dans des limites strictes par des conditions économiques aussi décisives que la propriété sociale des moyens de production, l’abolition du système du travail salarié, l’abolition du système d’exploitation”.

Mais pourquoi la production de marchandises et les relations d’achat et de vente qui lui sont associées persistent-elles sous le socialisme, qui, de plus, après la guerre, s’est considérablement renforcé à l’échelle internationale ? Au cours des débats de l’automne 1951, cette question a été soulevée à plusieurs reprises par les participants, dont certains ont suggéré, selon les mots de Staline, que “la production marchande devait être éliminée”. L’urgence et l’acuité de cette question sont confirmées ne serait-ce que par le fait que des conflits similaires ont éclaté dans la communauté scientifique des décennies plus tard, et même après que le bouleversement capitaliste en Russie ait déjà eu lieu, en relation avec le développement de la stratégie et de la tactique du KPRF.

I.V. Staline, rejetant fermement les propositions “gauchistes” visant à “éliminer la production marchande” dès le stade initial de l’édification de la société communiste, c’est-à-dire du socialisme, explique en toute clarté : “A l’heure actuelle, nous avons deux formes fondamentales de production socialiste : une production d’Etat – à l’échelle nationale et les fermes collectives, dont on ne peut dire qu’elles sont à l’échelle nationale”. Ainsi, dans l’économie soviétique du début des années 1950, “deux secteurs de production principaux” continuent d’exister et d’interagir. Il était nécessaire de prendre en compte les différentes conditions de gestion de ces secteurs et le niveau différent d’équipement matériel et technique de l’agriculture et de l’industrie développée dans les villes.

Dans ces conditions, note Staline, “des relations économiques avec la ville autres que marchandes…” ne sont pas acceptables actuellement pour les fermes collectives “. Et plus loin : “Par conséquent, la production et la circulation des marchandises sont aussi nécessaires aujourd’hui qu’elles l’étaient, disons, il y a trente ans, lorsque Lénine a proclamé la nécessité d’une circulation totale”. D’autre part – et cela prouve une fois de plus l’adhésion rigoureuse de Staline à la dialectique marxiste-léniniste – il souligne que la production et la circulation des marchandises ne sont pas un ballast inévitable, mais “un élément nécessaire et très utile dans notre système d’économie nationale”.

C’est comme si cette définition était tournée vers l’avenir. Combien d’erreurs et de pertes auraient pu être évitées plus tard sur la voie de la construction socialiste si les successeurs de Staline à la direction du PCUS et de l’État soviétique – en particulier Nikita Khrouchtchev – n’avaient pas traité l’utilisation des relations marchandise-monnaie dans le socialisme avec une attitude superficielle et parfois même irresponsable ! En particulier, cela s’applique directement à la politique à l’égard de ces mêmes exploitations collectives.

Une deuxième conclusion importante découle des évaluations ci-dessus. Staline ne cherche nullement à “cacher” ou à “obscurcir” le fait que les transformations fondamentales du socialisme dans l’économie et la société ne sont nullement rapides. Par conséquent, même les 30 années qui se sont écoulées entre l’introduction de la NEP léniniste et l’année post-victoire de 1951 étaient clairement insuffisantes pour des changements aussi profonds dans la base économique et sociale, malgré toutes les réalisations exceptionnelles de l’économie nationale soviétique tant dans les années d’avant-guerre que dans les premières années d’après-guerre.

Sur cette base, il était inadmissible de tenter d’anticiper sur le cours des transformations socialistes, d'”aiguillonner” telle ou telle décision en ignorant les conditions matérielles qui se dessinaient objectivement. Ici aussi, c’est comme si Staline regardait vers l’avenir, essayant de mettre en garde ses successeurs contre des déclarations irresponsables telles que la fameuse promesse de “construire le communisme” en 20 ans, qui a causé un énorme préjudice moral et politique au parti.

Enfin, la question des contradictions inter-impérialistes, qui était aiguë à l’époque de la discussion et n’a pas perdu de sa pertinence au cours des 70 années suivantes. Staline donne une évaluation si précise de ce qui se passe dans le monde occidental qu’on a l’impression qu’il s’agit d’aujourd’hui, à une époque de confrontation féroce entre l'”Occident collectif” et la Russie. “Les États-Unis d’Amérique, note-t-il, ont mis l’Europe occidentale, le Japon et les autres pays capitalistes au rationnement ; l’Allemagne (occidentale), l’Angleterre, la France, l’Italie, le Japon, pris dans les griffes des États-Unis, obéissent à [leurs] diktats”.

“Mettre au rationnement ” ne concerne pas seulement et même pas tellement la supériorité purement militaire au sein du bloc de l’OTAN (qui, à cette époque, venait juste de commencer ses activités), mais surtout la supériorité économique, y compris financière, scientifique et technologique, que les États-Unis possédaient objectivement. Ils continuent à l’avoir aujourd’hui, et c’est ce facteur – sans tenir compte de la puissance militaire, bien sûr – qui assure la domination continue, quoi qu’en dise qui que ce soit, des États-Unis dans le monde capitaliste.

Il est remarquable que les “pionniers marxistes” de la science soviétique des années 1970 et de la première moitié des années 1980, et les politologues pro-gouvernementaux de la Russie bourgeoise d’aujourd’hui – malgré leurs différences idéologiques formelles – aient interprété la thèse de “l’aggravation des contradictions inter-impérialistes” d’une manière carrément unilatérale, s’attendant à une crise “explosive” des relations entre les deux côtés de l’Atlantique. Mais il n’y en a jamais eu : les liens croisés et les intérêts de classe des cercles dirigeants des deux côtés de l’Atlantique sont trop puissants et similaires, assurant la fameuse “unité euro-atlantique” sous l’égide des États-Unis.

Staline, cependant, en résumant la discussion sur l’inévitabilité de l’exacerbation des contradictions inter-impérialistes dans l’avenir, ne limitait pas du tout la sphère de leur développement à la configuration concrète des pays capitalistes qui avait émergé dans les conditions concrètes de l’après-guerre. Une telle interprétation grossière et simpliste de la thèse de Staline serait un écart direct de la dialectique marxiste-léniniste, et Staline avait toujours mis en garde contre de telles simplifications.

Au contraire, des décennies plus tard, en regardant ce qui se passe autour de nous aujourd’hui, nous voyons une confirmation directe de la thèse de Staline dans l’exemple de la façon dont la Russie, qui a choisi la voie capitaliste et la ligne de conduite impérialiste, mais n’ayant pas une puissance économique suffisante, est entrée dans un conflit aigu avec les pays occidentaux plus forts dirigés par les États-Unis. Seule la disponibilité d’armes nucléaires dévastatrices des deux côtés a empêché le conflit de dégénérer en une troisième guerre mondiale qui serait dévastatrice pour toute l’humanité.

Et même les anticommunistes les plus enragés et ceux qui détestent Lénine ne peuvent manquer de reconnaître la justesse de la déclaration de Lénine selon laquelle l’impérialisme engendre inévitablement des guerres, ce que Staline rappelle aux participants à la discussion aujourd’hui, 30 ans après l’effondrement de l’Union soviétique. Les exemples de la Yougoslavie, de l’Irak, de la Libye, de la Syrie, enfin de l’Afghanistan, dont les récents événements ont secoué sans exagération le monde entier, sans parler des conflits militaires de moindre envergure, ne font que confirmer la thèse de Staline avec laquelle il conclut la section internationale de ses remarques de discussion. “Pour éliminer l’inévitabilité des guerres”, dit Staline, “l’impérialisme lui-même doit être détruit”.

La discussion économique d’il y a 70 ans a été d’une importance considérable pour le développement dans notre pays non seulement de l’économie politique, mais aussi d’un certain nombre de disciplines économiques spécifiques. Elle était encore plus importante pour la clarification de certaines des dispositions les plus importantes de la théorie marxiste-léniniste. Ses participants ont exprimé divers points de vue, dont certains très controversés. À cet égard, il est fondamental de noter qu’aucun de ces participants n’a été en aucune façon réprimé ou disgracié. Staline savait faire la distinction entre une activité politique hostile et une controverse authentiquement scientifique.

Oleg Tcherkovets,

Docteur en économie

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