Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Des “Diogènes” auxquels il m’arrive de m’identifier…

En ce moment, dans l’écoeurement qui parfois me vient devant la stupidité des bons sentiments et du “music hall des âmes nobles” (métaphore empruntée à Louis Aragon qui savait de quoi il en retournait et qui serait chagrin de la manière dont le traitent non seulement ses ennemis mais ceux qui font commerce de sa mémoire de bien étrange façon) j’aime écouter deux personnages à la voix rauque me parler de ce que j’aime, entre autres littératures, musique et philosophie et de le faire en écho à ces temps lointains où nous ignorions la trahison.

Je ne sais trop comment les désigner si ce n’est sous ce nom qui m’est venu à leur propos: ce sont des Diogène. Ce “cynique” disant au puissant Alexandre, “ôte toi de mon soleil” et vivant en haillon dans son tonneau. Il fallait avoir ce tempérament en tant qu’intellectuel pour être resté communiste après la contrerévolution et la courtisanerie avec le tropisme médiatique du couple Lang-Mitterand. Communiste vraiment communiste jusqu’à en refuser les canada dry qui n’ont cessé de nous inciter à rallier leur soumission à l’air du temps comme le couple Guediguian et se retrouver de ce fait bien en cour dans la presse communiste. Et c’est la que la fière attitude de Diogène peut déboucher sur le syndrome de Diogène : entourer sa souffrance de tous les rebuts du consumérisme, un septième continent…

L’un de ces Diogène, Frédéric Cordier est avant tout épris de littérature, et je l’ai découvert dans notre passion commune pour Lovecraft. Déjà ce n’était pas évident, Lovecraft, un mec qui meurt de faim dans la riche Amérique, incapable de se vendre, inconnu dans le lieu de toutes ses inspirations, Providence la mal nommée, là où les États-Unis brulèrent avant le Maccarthysme des sorcières. Lovecraft, c’était un sacré détour, celui de cette fascination pour un conteur, pour un univers. Pour Cordier, comme le travelling chez JL.Godard, l’écriture est affaire de morale. Cette morale est douteuse, elle doute de la morale de ceux qui en font profession politique. Sans jamais céder à la facilité de l’anarchisme débrayé il fait revivre ce qui a été occulté, simplement en mettant en regard des flash, des livres, parus au même moment… notre point d’affrontement, là où je me cabre, c’est quand il recrute Louis Ferdinand Céline et aussi Jouhandeau, le premier éructe, le second est sordide et en matière de rebuts… En général cela suffirait à me faire rompre, mais dans la manière dont Cordier y fait référence parfois je m’y retrouve même si je ne puis partager. Je sais que nous avons des jalons communs et il me fait m’interroger sur des plaisirs de lecture des temps jadis, du temps où je me réfugiais dans les bibliothèques, l’adolescence et pas seulement pour lire à la lueur de la lune Jane Eyre et les sœurs Brontë, mais Caroline Chérie ce bestseller anti-révolutionnaire auquel je pris du plaisir. Il y a chez chez Frédéric Cordier (mais aussi chez Doume Pagani dont je vais parler) quelque chose du complexe de Diogène, pas la manière dont cet escroc intellectuel Michel Onfray l’a traité, non plutôt un autre Diogène une élégance excentrique du haillon, du dépotoir, de l’ensevelissement dans ce qui a été refoulé, jeté aux ordures, enseveli sous la vermine de la courtisanerie et qu’il faut exhumer pour savoir ce que fut une époque. Ici il s’agit de 1961, Gagarine et la littérature officielle, les reniements khrouchtchévien avec leur résonance chez Hemingway tout cela donne la vérité à l’immonde Céline. Ce que masque déjà des soubassements réels d’une histoire des vainqueurs. En dehors des auteurs cités et de mon allergie à la poussière et aux odeurs rancies (nul n’est parfait), je suis assez proche de cet ascétisme radical par rapport au “correct” de notre époque. En tous les cas il a le mérite de nous faire comprendre qu’il faudra remonter un parcours d’égout, de latrines, pour dépasser ce que les temps ont tenté de nous présenter comme de l’humanisme et des droits de l’Homme contre le communisme.

L’autre ne part pas de prémisses aussi éloignés, et nos choix sont totalement partagés et il reconstruit une autre approche, celle du poème pédagogique, ce qu’a si longtemps représenté le PCF, pour des intelligences et des goûts aussi éclectiques que ceux de mon adolescence réfugiée dans les bibliothèques et qui comme Cordier ne craignait pas de se nourrir de n’importe quoi… Doume Pagani est philosophe musicologue, l’écouter est un pur moment de bonheur offert par les éditions Delga, une plongée dans l’érudition et dans la manière dont elle nait dans le ruisseau, dans la sueur du travail comme le défendait Neruda et les poètes communistes des temps “staliniens”. De la voix perdue à la voie de la modernité.

Dans le fond ce qui caractérise ces “Diogène” c’est l’incapacité à trahir, à se trahir eux-mêmes…


https://youtu.be/i05NbSuo994
En convoquant entre autres Baudelaire et Debussy, Dominique Pagani réagit au texte de Dominique Bertrand LA “VOIX PERDUE”, L’ÉCHELLE MUSICALE ET LE DESTIN DE LA MODERNITÉ disponible au lien suivant :

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