Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Un nouvel ordre mondial doit être établi au lieu de la guerre, par Andrey Sorokine

Sur un mode ironique que les Russes adoptent volontiers depuis que l’histoire les a privés de l’URSS, situation dont ils commencent à peine à émerger, cet article dit le caractère absurde des relations internationales. Les capitalistes occidentaux sont incapables d’adopter un langage diplomatique envers les pays dont ils exigent la subordination – et entre eux ce n’est guère mieux- ces gens- là nous mènent à une catastrophe nucléaire, dit l’auteur. Et il propose que tous ceux qu’inquiète la situation militent pour un nouvel ordre international capable de tenir ces gens-là… L’issue est de retourner à l’entrée de celui-ci quand après la deuxième guerre mondiale des institutions internationales ont été mises en place inaugurant la guerre froide et de repenser le multilatéralisme et plus un antagonisme. (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)

27 mars 2021

https://vz.ru/opinions/2021/3/27/1091246.html

Chaque jour, il y a de mauvaises nouvelles de la vie internationale. Le président d’une superpuissance nucléaire souveraine déblatère quelque chose d’inimaginable sur le président d’une autre superpuissance nucléaire souveraine. Les camarades chinois sont obligés d’expliquer à leurs partenaires américains les bases de l’étiquette diplomatique et les signes d’au moins un agenda constructif dans les relations bilatérales des premières économies du monde. Notre ministre des Affaires étrangères, maître reconnu des mots d’esprit, a estampé toutes les absurdités qui se produisent avec un nouvel aphorisme pour les manuels du futur: «une diplomatie de bobards, quand ce n’est pas une diplomatie de barjots» [traduction libre, les mots employés en russe sont les anglicismes fake et freak, NdT].

Rien, hélas, de surprenant. De même que l’étiquette est l’emballage des mœurs, la diplomatie est un moyen d’expression de certains participants à la politique internationale. Qu’en est-il de la politique internationale aujourd’hui? Personne n’aime personne (surtout pas nous, mais entre eux ça ne va pas mieux), tous intriguent à tire-larigot et mettent tous les bâtons qui leur tombent sous la main dans les roues de la coopération constructive et de la paix dans le monde. Voilà toute la diplomatie de nos ‘partenaires’ sur laquelle ils communiquent bien sagement, en observant de manière touchante l’unité stylistique de la forme et du contenu.

Cependant, nous devons admettre que cette triste réalité n’est qu’une manifestation des lois objectives du développement historique, connues de chaque écolier soviétique à partir des résumés des classiques du marxisme-léninisme: l’exacerbation des contradictions impérialistes dans une période difficile de la mondialisation, la crise systémique. C’est un problème tout ce qu’il y a de plus banal: les crises sont ancrées dans la nature même de l’ordre socio-économique capitaliste, et elles sont également ancrées dans le processus de développement historique. Et la tension dans les relations internationales n’en est qu’une manifestation extérieure.

Est-il possible, en comprenant scientifiquement la nature des contradictions, de réguler la tension avec de la bonne volonté, du bon sens et en l’absence de résistance des parties opposées? Oui. Il y a même eu une telle expérience réussie dans la seconde moitié du XXe siècle: l’ordre mondial de Yalta. Mais il est terminé. Non parce qu’il était mauvais, mais en vertu des circonstances qui, malheureusement, ont objectivement changé. Les normes et institutions de Yalta n’ont survécu aujourd’hui que sous la forme de slogans et de décorations. En fait, au lieu de l’ordre mondial de Yalta, nous avons un désordre mondial post-Yalta, lourd de conséquences tragiques à l’échelle mondiale.

Et maintenant, le président russe explique raisonnablement à ses partenaires internationaux depuis de nombreuses années maintenant: la sortie se trouve au même endroit que l’entrée. Poutine se réfère directement à l’expérience réussie des Trois Grands en 1945 dans l’établissement de l’ordre mondial d’après-guerre. Oui, dit-il, les circonstances ont changé de la manière que l’on connait. Mais les principes de Yalta du consentement des puissances mondiales sont toujours valables technologiquement et pertinents. Il suffit de combiner l’un avec l’autre et d’élargir le cercle des fondateurs et des garants du nouvel ordre mondial grâce à l’apport des nouveaux centres de pouvoir émergents (on ne peut pas se passer de la Chine, n’est-ce pas?). La seul modification de procédure par rapport à l’héritage des pères fondateurs: ne pas le faire après une guerre dévastatrice, mais à la place.

Photo: gkuna / YAY / TASS

Mais non. Les partenaires internationaux n’écoutent pas. L’automne dernier, lorsque Poutine a exposé ce concept en détail lors de la session anniversaire de l’Assemblée générale des Nations Unies, c’était comme jeter des perles contre un mur. Le problème est que l’indifférence des partenaires internationaux à une solution apparemment rationnelle, la«réinitialisation de Yalta» est, hélas, aussi objective et naturelle. En effet, quelle est l’essence du Yalta original?

Premièrement. Il s’agit d’un accord entre deux superpuissances mondiales incontestées de leur temps avec la participation d’une troisième – en fait, déjà dépassée, mais toujours autoritaire et ayant gardé l’esprit clair. Les trois dirigeants sont des personnages aux proportions gigantesques, capables de penser à l’échelle historique et qui, en 1945, avaient une compréhension plus que profonde et substantielle des questions de guerre et de paix.

Deuxièmement. Il s’agit de la reconnaissance mutuelle de la viabilité de deux projets civilisationnels de l’ordre mondial – le soviétique et l’américain. Et la définition de règles de concurrence minimalement traumatisantes, mais constructives.

Troisièmement. Les deux super-grands, présentant leurs projets de mondialisation et se trouvant à un zénith inatteignable de leur puissance, étaient à la fois concurrentes et garantes du respect des règles de la concurrence. C’est pourquoi le monde du XXe siècle est «bipolaire».

Tous les avantages du monde de Yalta sont un dérivé de ces trois composants. L’effondrement des deux projets de mondialisation, l’un après l’autre – d’abord l’URSS, puis le modèle de la mondialisation unipolaire – à la fin du siècle dernier et au début de ce siècle, a enterré l’ordre mondial de Yalta sous lui. Le monde a tout simplement perdu le charme revigorant de la compétition civilisationnelle pour plonger dans une morale archaïque, comme avant l’ère du matérialisme historique.

Formellement, nos partenaires américains n’ont pas encore abandonné le mirage de l’hégémonie unipolaire. Et le Biden actuel, avec une vigueur renouvelée et des prouesses juvéniles étonnantes pour son âge, entreprit de mimer la résurrection de ce projet épuisé. Ce qui signifie même pas une mis à jour, au moins, mais un ravalement de façade. Mais c’est une pantomime, dans laquelle les composantes civilisationnelles raisonnables, compétitives du projet ont depuis longtemps été remplacées par la cupidité primitive et la manie de la domination du monde. Et du haut de ce clocher, la Russie et même la Chine – tout de même, les deux seuls États capables et efficaces de la planète – sont perçues non comme des concurrents-camarades d’armes dans un ordre mondial rationnel, mais comme des parias, des indésirables et des obstacles sur la route du pillage mondial.

Ce sont les symptômes de la disparition de la mondialisation unipolaire que Poutine a diagnostiquée dans son discours immémorial à Munich. Eh bien, quand même : lui, comme le camarade Xi, a appris à la source les schémas historiques et l’exacerbation des contradictions impérialistes. Et la mémoire génétique raconte sans aucun doute comment cela se termine. Mais … Roosevelt est mort – et il n’y a plus personne à qui parler. Et de quoi parler, d’ailleurs : la cupidité et la mégalomanie ne peuvent faire l’objet d’un accord à l’amiable.

Ainsi, des trois éléments clés de Yalta, nous n’avons même pas les deux premiers – la bonne volonté avec la pensée historique de toutes les puissances mondiales et la reconnaissance mutuelle de l’égalité de souveraineté. Il ne reste qu’un seul argument convaincant qui peut maintenir l’ordre mondial qui se trouve aujourd’hui au bord de la guerre et de la paix. Par conséquent, Dieu accorde la santé et le succès dans la préparation militaire et politique des Forces Armées de la Fédération de Russie. Et là, avec un peu de chance, la bonne volonté et le bon sens referont surface.

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