Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Aujourd’hui il n’y aura de reflexion que sur un seul article

Nous souhaitons ici donner toute son importance à l’article présenté sur le XXe congrès du PCUS, celui du “rapport Khrouchtchev”. Il sera publié pratiquement seul pour laisser le temps aux lecteurs de le lire et de le travailler, assorti seulement de cette présentation et d’une vidéo sur une de nos conférences.

Notre blog histoire et société se doit de saluer ce pourquoi il a été créé, une réflexion de fond sur des événements historiques qui ont durablement marqué l’histoire et dont des interprétations politiciennes risquent de masquer la signification. Nous avons souligné à plusieurs reprises que le parti communiste chinois depuis des années consacre d’importants moyens à cette question.

Nous n’avons jamais revendiqué l’objectivité, mais défendu le point de vue du chercheur et celui du militant, les seules garanties épistémologiques étant sa mise en évidence et la nature de la démonstration qui donne à juger des faits sur lesquels on s’appuie. En ce qui me concerne j’ai toujours défendu la thèse que les sciences humaines sont différentes des sciences exacts ou dites telles, pour la raison très simple qu’elles portent sur des sujets, des “analysants” dirait Lacan et pas de simples analysés. Il a fallu donc introduire le critère de la pratique dans l’étude. Il existe des formes d’objectivité qui par exemple se retrouvent dans la démographie sur de grandes masses, de longues périodes et d’autres formes matérielles de connaissance, il faut tenter de les utiliser en sachant bien que nos statistiques sont des instruments primaires et dont le niveau de certitude est faible. Enfin chaque période historique produit sa propre interprétation et quand les situations historiques évoluent d’autres hypothèses apparaissent et nous invitent à remettre en question certaines certitudes antérieures. Mais là aussi il faut chercher le “noyau de vérité”. Être communiste a correspondu à des “valeurs”, la défense des exploités en particulier mais aussi à l’idée que le parti était une sorte de laboratoire des faits sociaux échappant le plus possible à l’idéologie dominante.

Marianne, elle, est linguiste, polyglotte et a donc une approche un peu différente de l’enquête mais tout à fait complémentaire de la mienne en particulier en matière d’interviews et de réflexion sur le matériau recueilli. Le fait que nous soyons communistes et à la fois convaincues de la nécessité d’un parti mais plus intéressées par le communisme comme civilisation a jeté les bases de ce dialogue.

Je tiens à souligner que cette préoccupation de Marianne et de moi ne date pas d’aujourd’hui et notre livre écrit en 2017 –Staline tyran sanguinaire ou héros national paru chez Delga- fait état de la manière dont nous interpellons un colloque d’historiens russes à Saint Pétersbourg sur la nécessaire élucidation de ces questions qui continuent à peser sur l’histoire y compris de notre pays, la France.

Parce que l’histoire ne concerne pas les seuls historiens mais bien ceux qui la font.

Les seuls textes que nous publierons donc aujourd’hui, en dehors de cette importante réflexion émanant des communistes russes, est cette brève présentation mais aussi une vidéo en rappel de notre conférence sur le sujet. Il est trop facile de taxer de “staliniens”, puisque le vocable devenu diffamatoire en France économise toute réflexion sur le sujet, ceux qui tentent de réfléchir aux interprétations diverses qui se sont substituées politiquement à la compréhension et à la nécessaire analyse d’un tel événement. Il y a là simple bigoterie et pas travail d’historien, ni même de militant communiste affrontant son passé d’une manière nécessaire. En effet, l’interprétation qui a prévalu en France n’a plus été celle qui existait encore au XXIIème Congrès ou sous Georges Marchais dans les congrès suivants et qui était déjà pourtant une révision de la position de Maurice Thorez. A partir de la mutation de Robert Hue, il y a eu un alignement total sur les thèses de la bourgeoisie, de l’UE et des trotskistes (dans la seule référence “marxiste” autorisée) .

Un point que je souligne dans la description des “conspirateurs” qui interviennent immédiatement à la mort de Staline, dans le texte traduit par Marianne. Ce sont des individus qui à l’inverse de Lénine, Staline lui-même mais aussi Mao, Fidel, et Maurice Thorez, n’ont aucune propension à la réflexion théorique, stratégique mais sont enfermés dans les jeux de pouvoirs, les questions secondaires. Rien de nouveau sous le soleil.Sauf peut-être à souligner que cette capacité stratégique est liée à l’articulation des temps, celui du long terme de la contradiction hommeXnature ou forces productives, celui du mouvement historique conscient la contradiction des rapports de production et le lutte des classes avec le sens de l’événement. D’où la nécessité de ces moments d’enfermement théorique qui surprennent toujours. Qui peut imaginer qu’un processus révolutionnaire se présente dans sa pureté idéale se trompe mais qui n’est pas capable d’avoir une pensée stratégique sur le long terme et sur les opportunités immédiats ne sait pas ce qu’est le politique du moins d’un point de vue marxiste. La question qui n’est pas élucidée et qui pourtant demeure centrale est comment de tels individus accèdent-ils au pouvoir, à quel moment une certaine spécialisation technique prend le pas sur la stratégie et sur la dictature du prolétariat, ce qui peut aller jusqu’à des profils qui sont totalement étranger au communisme …

Certes l’histoire, la publication des archives nous dévoilera s’il y a eu des vendus, des “traitres”, mais l’essentiel me parait être le fait que la chute de l’URSS, l’idée -fausse- qu’il n’y eut pas de résistance est venue élargir les fissures de la “déstalinisation” khrouchtchévienne et du temps de la “stagnation”, chez des individus politiciens, chez qui rien de ce qui était secondaire ne leur était étranger, ce que montre l’article que nous publions.

En ce qui concerne l’interprétation française de l’histoire et de la portée de l’URSS, il y eut une évolution dont je ne percevais pas la nécessité. Elle nous plaçait en porte à faux avec l’immense majorité des partis communistes et ne nous permettait pas de voir ce qui était en train de surgir, le multilatéralisme, les résistances venues du sud (1), la montée du parti communiste chinois, la constitution d’un camp alternatif autour de la Chine et de la Russie. C’est ce que j’ai commencé à remettre en cause et je dois dire que quand le PCF en est arrivé à analyser la chute de l’URSS comme “un air de liberté” et organiser la censure de Lénine en parallèle avec l’isolement total avec les partis communistes et les forces progressistes, j’ai considéré que les conditions de la réflexion n’étaient pas réalisées. Surtout, mais c’est relativement secondaire, que cela s’assortissait d’injures et de diffamations quand la censure n’y suffisait plus dans mon cas. Alors que la simple honnêteté intellectuelle m’oblige à dire que je n’ai jamais été stalinienne et que j’ai longtemps partagé le refus d’en parler en considérant que l’affaire avait été jugée et tranchée. Encore aujourd’hui je n’ai pas d’opinion établie sur la question, simplement des interrogations auxquelles il n’a jamais été répondu de manière satisfaisante et un refus lui bien réel d’établir une équivalence entre le vainqueur de la deuxième guerre mondiale et son immonde vaincu. A tout cela il faut ajouter la conviction qu’il en est des groupes sociaux comme des individus, le trafic de leur mémoire leur interdit l’action. Il faut sortir les cadavres des placards.

Il existe des conditions de réflexion qui aujourd’hui, demain ce sera je l’espère différent, peuvent le plus utilement se développer en dehors des partis et notre entente avec le travail de la maison d’édition Delga, ceux qui ont entrepris de publier les pièces au dossier n’est peut-être pas la même au niveau de nos positions politiques immédiates entre auteurs et éditeurs. Il faut donc avancer là où nous pouvons le faire en coopérant et sans affrontement stériles, ceux de la concurrence autant que ceux des choix partisans à court terme.

Je dois dire, mais ce n’est pas le choix de Marianne, que le jour où j’ai mesuré à quel point loin d’être une aide l’appartenance au PCF était une entrave à la réflexion sur l’histoire qui se confondait à ma propre histoire, j’ai décidé sans la moindre colère ni amertume de ne plus mettre sur ma pensée cet éteignoir. Il y a chez les militants et je le comprends un besoin de ne pas savoir, de ne pas se mettre sur le dos un tel affrontement avec les idées reçues que je ne tiens pas “à charger la barque”. Même si je suis en désaccord avec ce choix, je pense que refuser le débat sur ce passé, se contenter de la doxa est nuisible à l’activité politique et contribue à la marginalisation du PCF et risque désormais de renforcer l’américanisation de la société française, l’incapacité à penser et agir dans une dimension de classe, les divisions sociétales prennent le dessus. La négation de l’histoire comme étant celle de la lutte des classes fait partie de cette “américanisation”. Mais il s’agit là d’un point de vue plus que minoritaire et qu’il n’est sans doute pas utile d’agiter pour la majorité des militants y compris ceux qui tentent d’imposer un retour à une perspective socialiste. Et de toute manière, j’ai définitivement quitté le parti puisque mon âge et donc mes activités m’incitaient plutôt à privilégier la réflexion théorique et historique que l’action politique au jour le jour.

Seuls ceux pour qui le besoin de savoir n’est pas contradictoire, au contraire, avec celui de l’action, pourront utiliser ce que nous publions ici. Et c’est très bien comme cela au point où nous en sommes. Parce qu’il y a une évolution. Je suis convaincue – et le mouvement des idées que j’observe va dans ce sens- qu’il y a une évolution face à la révélation de la pandémie, de l’ère Trump, des mensonges diffusés comme des vérités, du deux poids deux mesures quand l’on contemple le traitement d’Assange avec celui de Navalny pour ne citer qu’un exemple. L’ébranlement est tel que ce qui était certitude hier l’est déjà beaucoup moins aujourd’hui, c’est une course de vitesse comme dans toutes les chutes d’empire que Rosa Luxembourg avait résumé par “Socialisme ou barbarie”… Ce fut hélas la barbarie qui advint. Il m’arrive de craindre que nous n’y échappions pas…

Danielle Bleitrach

(1) j’ai bien souvent souligné le rôle joué par Cuba et la vision de Fidel Castro sur cette prise de conscience. Cela m’a inspiré plusieurs livres sur Cuba, en particulier celui sur le nouveau temps historique : Les États-Unis de mal empire, histoire des résistances qui nous viennent du sud, en particulier dans sa version espagnole.

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