Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’incapacité de la gauche à reconnaître un paysage économique profondément modifié donne à Trump une réelle chance de remporter cette élection

Ce diagnostic impitoyable sur ce qui porte au pouvoir un Trump ne se limite pas aux Etats-Unis mais concerne y compris ses alliés français en particulier. Tant qu’on ignorera ce que vivent les couches populaires au profit de rassemblements basés sur le communautarisme, sur les personnalités, la voie sera ouverte à toutes les aventures. Le parti démocrate pas plus que la gauche française n’est prêt à entendre la leçon (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoire et société).

30/08/2020

Par Glenn Diesen
19 août, 2020

Malgré quelques défauts plus qu’évidents, le président Trump présente toujours une option viable pour de nombreux Américains laissés pour compte économiquement par le nouvel ordre mondial et un parti démocrate qui ne reconnaît même pas qu’il y a un problème.

Pourquoi les Américains voteraient-ils pour Trump? L’ancienne star de télé-réalité est vulgaire, bruyante, a un rapport des plus lâche avec les faits et ne se comporte pas de manière présidentielle même en faisant un effort d’imagination.

Sur le plan intérieur, la société se polarise sous son administration et l’électorat craint que le pays ne se dirige dans la mauvaise direction. Sur le plan international, les alliés sont mal traités et les adversaires sont provoqués, tandis que les traités internationaux cruciaux s’effondrent de gauche et de droite. Pourtant, la tendance de l’establishment politique des médias à rejeter ses électeurs comme étant xénophobes et imbéciles est une erreur.

Comme pour toutes les élections américaines, l’économie a tendance à être la question centrale. Le cas de Trump est qu’il semble être la seule alternative au statu quo à un moment où l’économie néolibérale s’effondre. La classe politique reconnaît que de nombreux Américains ont été laissés pour compte pendant la mondialisation, mais on a généralement pensé que cela pourrait être résolu dans le format néolibéral. C’est une erreur, car l’effondrement de l’industrie manufacturière américaine – au grand désarroi des cols bleus – était en grande partie intentionnel.

À la fin des années 80 et au début des années 90, l’économie américaine a subi un changement radical, la société devant être façonnée presque uniquement par le marché. Les activités à faible profit dans les chaînes d’approvisionnement ont été externalisées vers des pays à bas salaires, et les multinationales occidentales ont absorbé et consolidé le contrôle de la recherche, du développement, du marketing et des droits de propriété intellectuelle.

Les accords commerciaux axés sur la libéralisation du commerce et l’extension des droits de propriété intellectuelle ont été conçus pour une division internationale radicale du travail. Dans la nouvelle division internationale du travail de l’ère numérique, les technologies américaines pourraient saturer les marchés étrangers et en retour ouvrir la fabrication à la concurrence du reste du monde. En termes simples, le leadership économique américain reposait sur une division du travail où les États-Unis inventeraient le smartphone et les Chinois pourraient le fabriquer.

La stratégie était un cadeau pour l’industrie numérique, mais les cols bleus de l’industrie manufacturière ont été jetés sous le bus. Les régions métropolitaines de la côte ouest et de la côte est ont explosé, tandis que le reste du pays était abandonné. Le gouvernement américain n’a pas répondu de manière significative à la polarisation socio-économique croissante du pays.

Traditionnellement, la gauche politique préconisait la redistribution des richesses comme limitation du libre-échange, tandis que la droite politique chercherait à protéger les communautés et les valeurs traditionnelles des forces du marché sans entraves. Dans le cadre du consensus néolibéral, la classe politique est largement impuissante car le marché devrait résoudre toutes les perturbations sociétales.

Pour aggraver les choses, la division internationale du travail qui a favorisé l’industrie technologique a semblé s’effondrer. La Chine a progressivement gravi les chaînes de valeur mondiales et remet en question le leadership technologique et économique des États-Unis. Les smartphones du futur seront inventés et fabriqués par la Chine. Le leadership américain ne semble plus viable sous le format libéral de la mondialisation.

Trump a puisé dans ces puissants courants sous-jacents de la société et de l’économie américaines, ce qui l’a conduit à la Maison Blanche. Comment Trump a-t-il joué? Pauvrement. Ses politiques sont incohérentes, contradictoires et semblent souvent servir uniquement sa vanité ou ses efforts de réélection. La reprise économique chancelante a toujours reposé sur une relance artificielle, Trump s’est plongé dans le «marais» qu’il avait l’intention de drainer, et il semble y avoir une absence de réflexion stratégique dans son engagement avec le monde au sens large.

En 1998, près de deux décennies avant que Trump ne remporte l’élection présidentielle, le philosophe américain Richard Rorty a fait une prédiction sur la voie du néolibéralisme de son pays: « Les membres des syndicats, et les travailleurs non organisés et non qualifiés, réaliseront tôt ou tard que leur gouvernement est tel qu’il est, n’essayant même pas d’empêcher les salaires de baisser ou d’empêcher l’exportation d’emplois. À peu près au même moment, ils se rendront compte que les cols blancs des banlieues – qui ont désespérément peur d’être anéantis – ne vont pas se laisser imposer pour fournir des avantages sociaux à qui que ce soit. À ce stade, quelque chose va craquer.

«L’électorat non suburbain décidera que le système a échoué et commencera à chercher un homme fort pour lequel voter – quelqu’un prêt à leur assurer qu’une fois élu, les bureaucrates suffisants, les avocats délicats, les vendeurs d’obligations surpayés et les professeurs postmodernistes ne régneront plus. … Une fois que l’homme fort prend ses fonctions, personne ne peut prédire ce qui va se passer.

La réélection éventuelle de Trump ne sera pas le résultat de sa capacité à résoudre les problèmes socio-économiques, mais plutôt le résultat de l’échec de l’opposition à les reconnaître. La gauche politique, attachée à l’économie néolibérale, est réticente à envisager des réformes économiques. Le résultat a été une plate-forme politique dénuée de sens et destructrice composée de politiques identitaires qui divisent, de théories du complot anti-russes et de se concentrer sur les personnalités plutôt que sur le contenu. Le ticket Joe Biden-Kamala Harris incarne parfaitement le vaisseau vide qu’est devenu le Parti démocrate.

La réticence à reconnaître pourquoi les gens ont voté pour Trump jouera donc un rôle déterminant dans sa possible réélection.

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4 Commentaires

  • John V. Doe

    Texte brillant comme toujours et sa conclusion fait très mal à “la gauche de droite”, idéologiquement incapable de sortir de “Tina” depuis 40 ans. Comme trop souvent et depuis trop longtemps, ce sont ses trahisons des luttes de la classe ouvrière, sa haine du marxisme et sa suffisance qui vont nous précipiter tout droit dans la catastrophe fasciste.

    Comme en 1933 en Allemagne, nous voyons les agitateurs fascistes américains être protégés par une police qui n’obéit plus qu’à elle-même et à l’idéologie que sa fonction sous-tend. Et toujours comme en ’33, c’est l’agitateur, ici Trump, qui se pose en pacificateur des troubles que son idéologie fasciste et ses discours racistes ont provoqués dans une classe ouvrière jetée sciemment et depuis 40 ans dans la sous-prolétarisation financière, idéologique et politique.

    En octobre 2019, j’avais imprudemment prédit que Biden serait choisi et qu’il allait perdre face à Trump. Je ne m’attendais pas à ce que ce ticket perdant se soit encore déforcé lui-même en s’adjoignant l’insignifiante et droitière Kamala Harris. Cette “gauche de droite” ne nous décevra décidément jamais dans sa nullité en ne nous proposant que le néo-libéralisme de la finance, en perte de vitesse, comme alternative à l’extrême-droite d’une industrie lourde en voie d’extinction. A l’identique chez nous, Macron l’emporte encore sur Le Pen mais à force de “désespérer Billancourt” il est permis de se demander pour combien de temps encore.

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  • […] aujourd’hui, je ne saurais trop vous recommander la lecture de « L’incapacité de la gauche à reconnaître un paysage économique profondément modifié donne…. Oui, le titre est long mais l’article est court et se conclut brillamment par ces mots […]

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  • Roberto FLORES
    Roberto FLORES

    Bonjour,
    Merci pour la qualité de la plupart des articles sélectionnés.
    Pouvez-vous joindre la source de vos articles, s’il vous plaît? Et si possible, les liens correspondants?
    Cordialement

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  • rony mondestin
    rony mondestin

    La gauche? De quelle gauche? Mais de quoi parlons nous finalement?Cela devient tout de meme une vaste plaisanterie.Ces gens la ne sont meme pas des socio democrates .je pense que cést vraiment mal indique sinon tres malsain de classer de “gauche” des gens de droite moderee..
    Les criteres ont-ils change? Leur position vis a vis du capital et de la classe ouvriere differe-t-elle de celle des republicains ou des conservateurs? Ou de celle du grand grand patronat ?Des actions destabilisantes contre les peuples et gouvernement souverains, comme le peuple venezuelien a qui ils refusent le droit de vivre sa propre experience,cette “”gauche a-t-elle denonce ou appuye cette aggression imperialiste caracterisee.?
    Comment peut on etre de gauche et ne pas etre anti imperialiste? Comment peut on etre de gauche et ETRE IMPERIALISTE en meme temps ? Soyons donc logique et serieux….quand meme
    En mars 2015 c’est bien Barak Obama le chouchou de cette”gauche” qui a pris un “Executive Order decretant que le Venezuala est une menace pour la securite interieur des USA.
    On connait la suite…et sa cohorte de sanctions contre le peuple ce pays et de la misere qui en decoule.
    Ce meme Barak Obama qui, durant ses huit ans a la presidence americaine,a tue plus de civils,innocents,femmes et enfants mineurs, et de militants,que les 2 Bush reunis ,via le programme politique ,non legale,et amorale, d’operer des assassinats par drone.
    Cet Obama ,lui aussi,ce monstre a la belle denture et aux beaux discours creux bourres de cliches, est malhonettement qualifie d”homme de gauche .
    Une farce cynique a faire pleurer toutes ces femmes et tous hommes qui ont donne leur vie pour la cause du socialisme,et pour les droits des peuples durant ces 100 dernieres annees.
    Moi,enfant j’ai vu mourir des hommes de gauche dans les cachots de Duvalier en Haiti,( sous les administrations des democrates) mon pays,petit pays des Caraibes

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