Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Macron a vu le salut de l’Europe dans l’Ukraine, par Piotr Akopov

Macron qui “macronne” c’est-à-dire dit n’importe quoi avec une “superbe” arrogance a le don d’un certain diagnostic dans lequel Marx reconnaitrait la capacité française à s’émouvoir face au danger mais aussi l’incapacité à aller jusqu’au bout de son analyse: “Macron ne voit tout simplement pas les contradictions entre ses appels à renforcer la souveraineté européenne et ses revendications sur l’Ukraine. L’un contredit directement l’autre, et l’incapacité à réaliser cela est exactement ce qui a conduit l’Europe à aggraver ses problèmes en tant que marionnette des Anglo-Saxons. Si Paris veut sauver l’UE, il doit réfléchir à la manière de desserrer l’étau atlantiste, au lieu de le resserrer encore plus autour du cou de l’Europe en soutenant des rêves-revendications inutiles sur l’Ukraine.” (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)

https://ria.ru/20240427/makron-1942603008.html

Notre Europe d’aujourd’hui est mortelle, elle peut mourir, a déclaré Emmanuel Macron lors d’un discours à la Sorbonne. Le président français ne parlait pas du conflit avec la Russie (bien qu’il en ait parlé aussi), il s’inquiétait du fait que la démocratie libérale est de plus en plus contestée dans le monde et qu’il existe un risque énorme que l’Europe soit affaiblie ou même mise à l’écart à l’horizon de la prochaine décennie. Pour éviter cela, le choix de sauver l’Europe doit être fait dès maintenant, a prévenu M. Macron. Qui, parmi les Européens, pourrait s’opposer à un tel choix – mourir ou être sauvé ?

Mais le problème justement n’est pas seulement de savoir comment se sauver, mais aussi de savoir qui sauver, c’est-à-dire ce qu’est l’Europe. Non seulement l’UE elle-même a des idées différentes sur sa forme et même sur son essence, non seulement l’UE n’est pas une entité véritablement indépendante, mais ses frontières sont également très arbitraires. L’UE veut s’étendre, devenir indépendante et se sauver en même temps, mais en essayant de faire tout cela en même temps, cela ne marchera certainement pas.

Ne serait-ce que parce que, pour mettre fin à la crise dans le processus de construction d’une Europe unie (c’est-à-dire pour se sauver soi-même), il faut revoir les principes mêmes de son unification – c’est ce sur quoi insistent les eurosceptiques, qui gagnent en popularité dans presque tous les pays de l’UE. Il s’agit d’une tâche très difficile, que les euro-élites orientées vers l’Atlantique ne veulent même pas entreprendre : elles sont sûres qu’elles parviendront à survivre et à repousser le mécontentement croissant de la population à l’égard de l’intégration européenne. Elles ne veulent aucune révision de la stratégie – dans le sens d’une réduction de l’influence des structures d’intégration, de l’abandon de la voie vers un super-État unique et du passage au principe confédéral de la construction de l’UE. Le drapeau européen est entre leurs mains, mais un tel entêtement nécessite non seulement l’unité des élites européennes, mais aussi un environnement extérieur favorable (afin qu’elles puissent se concentrer sur la lutte contre l’ennemi intérieur que sont les eurosceptiques).

Mais la situation internationale ne fait qu’empirer, ce qui place l’Europe devant un choix simple : pour survivre, elle doit renforcer sa subjectivité, être responsable de sa propre sécurité, déterminer sa propre voie, car continuer à exister en tant que partenaire junior des Anglo-Saxons conduit à l’affaiblissement de l’Europe, au fait que ses intérêts (dans leur ensemble) ne sont pas pris en compte. Le choix de Macron semble évident – c’est pourquoi, dans son discours actuel, il a de nouveau exhorté les Européens à ne compter que sur eux-mêmes pour leur propre défense : “L’Europe doit être capable de défendre ce à quoi elle tient, avec ses alliés quand ils sont prêts à le faire, et seule quand c’est nécessaire”.

C’est-à-dire moins dépendre des Etats-Unis qui, comme l’a dit Macron, ont pour première priorité leur propre pays (une allusion à des troubles intérieurs imminents) et pour deuxième priorité la lutte contre la Chine. L’Europe, qui est “en situation d’encerclement” face aux puissances régionales, doit donc construire sa propre “initiative européenne de défense” (y compris un bouclier antimissile) : “Les événements récents ont démontré l’importance de la défense antimissile, de la capacité de frappe en profondeur face à des adversaires libérés de tout frein”.

D’ailleurs, Macron a cité nommément ces derniers : l’Iran et la Russie. Contre la menace russe, un système paneuropéen de défense antimissile est bien sûr nécessaire, et les armes nucléaires françaises n’existent pas pour rien. Tous ces arguments de Macron ne sont pas nouveaux – il souhaite depuis longtemps que l’Europe renforce sa souveraineté en augmentant ses propres capacités de défense. Mais ces appels ne mènent à rien : la croissance des dépenses de défense et des achats d’armes se fait toujours dans le cadre et sous le contrôle des structures atlantiques. L’OTAN se renforce et il n’est pas dans l’intérêt des atlantistes de donner à l’UE, qui est sous leur contrôle, une autonomie au moins relative.

En d’autres termes, l’UE n’est ni en train de se sauver, ni en train d’évoluer vers l’indépendance, mais elle a aussi une troisième dimension : l’élargissement. Macron l’a d’ailleurs évoqué en parlant du début de notre opération en Ukraine : “Depuis ce temps, l’Europe se pense comme un tout indivisible et confirme que l’Ukraine et la Moldavie font partie de notre famille européenne et ont vocation à rejoindre l’UE le moment venu, tout comme les Balkans occidentaux”.

En d’autres termes, l’Europe considère déjà l’Ukraine comme étant à elle, et ce sont précisément les revendications d’atlantisation de l’Ukraine qui ont provoqué le conflit. L’européanisation de l’Ukraine n’est pas différente de l’atlantisme, car elle n’est qu’une couverture et ne convient pas du tout à la Russie. Mais Macron fait semblant de croire encore qu’il pourra repousser les frontières de l’Europe et du monde russe vers l’est, et il ne se contente donc pas de dire que “la condition préalable” à leur “sécurité est que la Russie ne gagne pas la guerre d’agression qu’elle mène contre l’Ukraine”, mais il promet aussi l’absorption de l’Ukraine par l’Europe.

On pourrait y voir un simple désir de titiller la Russie et de soutenir moralement Kiev, tout comme les spéculations de Macron sur la possibilité d’envoyer des troupes françaises en Ukraine. Mais c’est bien plus compliqué que cela : Macron ne voit tout simplement pas les contradictions entre ses appels à renforcer la souveraineté européenne et ses revendications sur l’Ukraine. L’un contredit directement l’autre, et l’incapacité à réaliser cela est exactement ce qui a conduit l’Europe à aggraver ses problèmes en tant que marionnette des Anglo-Saxons. Si Paris veut sauver l’UE, il doit réfléchir à la manière de desserrer l’étau atlantiste, au lieu de le resserrer encore plus autour du cou de l’Europe en soutenant des rêves-revendications inutiles sur l’Ukraine.

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2 Commentaires

  • Etoilerouge
    Etoilerouge

    Qui finance les états de l’UE? C’est à la bourse que les entreprises se financent soit une domination anglo saxons ne totale. Qui paie dirige. Macron est un clown habituel de la France

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  • Xuan

    Ce qui menace l’unité européenne est d’abord en Europe et pend prioritairement au nez des radis roses, des vert-de-gris et de toute la clique social démocrate.
    Ces individus commencent à transpirer à grosses gouttes en apprenant que Von der Layen, la cheffe de file du combat “démocratique” pour l’Ukraine, s’apprête à conclure une alliance politicienne avec la facho Meloni.

    Le visage démocratique et libéral retire son masque et c’est Fantomas.

    En même temps le courant dit “souverainiste” doit choisir entre la “lutte contre l’Empire” et le soutien à l’OTAN avec les courants les plus réactionnaires de l’Europe.

    Quant à savoir ce qui restera à Kamenka, c’est encore un mystère.
    On parie pour un costume neuf ?

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