Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Un plan de relance pour les transports collectifs, par Laurent Brun*

Cet article nous permet de vous recommander une fois de plus l’excellente revue Progressistes. D’insister également sur l’importance du rail. Hier en commentaire d’un article sur le rétablissement économique de la Chine, un lecteur signalait le rôle joué par le trafic ferroviaire (beaucoup plus rapide que le fret par la navigation) dans cette situation favorable qui se combine avec une moindre pollution (note de Danielle Bleitrach).

*Laurent Brun est Secrétaire général de la Fédération CGT des cheminots

Le texte ci-dessous est une tribune écrite par le syndicaliste Laurent Brun, dans laquelle il ne mâche pas ses mots à l’égard de la politique ferroviaire actuelle. Outre ses critiques sur la question à l’encontre du gouvernement actionnaire majoritaire de la SNCF, il esquisse ici un plan de relance massif du secteur ferroviaire

Je vais me concentrer sur ce que je connais : le ferroviaire… Plus d’un mois après l’annonce du déconfinement, manifestement, les usagers ont encore un peu peur de se retrouver dans les espaces clos que sont les trains. La fréquentation remonte plus doucement que prévu et pour ceux qui ont le choix, ils semblent privilégier la voiture individuelle. Cette situation est renforcée par un pétrole « bon marché », ce qui devrait durer avec la baisse de l’activité économique. Je ne m’arrêterais pas sur ce point, qui mériterait à lui seul un développement (paradoxe du marché libre : il favorise la pollution en cas de ralentissement économique). 

Je reste donc sur la logique de « relance »… première mesure impérative : il faut redonner confiance aux usagers. Ce qui saute immédiatement aux yeux dans les gares, c’est que malgré la faible fréquentation, les files d’attentes sont de retour (amplifiées par la distanciation). C’est le résultat d’une application typique du R/D (Recettes sur Dépenses). On reprend donc les mesures de gestion classiques : moins d’activité = moins de personnel. Mais du coup on recrée les files d’attente et ce n’est pas du tout rassurant. Donc l’une des premières mesures devrait être au contraire de bannir les attroupements en mettant du personnel en surnombre à la vente.  Pour les trains de l’été c’est la même logique. La SNCF a expliqué qu’un TGV n’est rentable qu’à partir d’un remplissage de 70%. Donc on va probablement tenter de remplir les trains à mort en juillet et août pour retrouver la profitabilité antérieure. La suppression de TGV va dans ce sens-là. Et ce faisant, la fraction de la population la plus craintive ne remettra pas les pieds dans nos trains. Il faudrait au contraire rester dans une offre excédentaire, au moins jusqu’à la fin de l’année.  Évidemment, du point de vue économique c’est délicat. C’est là que l’Etat et son plan de relance économique pourrait intervenir avec une aide financière temporaire qui le permette. Il devrait aussi remettre en cause (ou au moins reporter) sa logique d’ouverture à la concurrence, car il est clair que la SNCF ne sera pas incitée à prendre des mesures coûteuses pour rassurer ses usagers dans une situation où elle risque de se faire tailler des croupières par des compagnies concurrentes… pour l’instant les mesures sanitaires ou autres peuvent être amorties sur l’ensemble du réseau ferroviaire… c’est une forme de solidarité nationale qui persiste malgré la destruction des outils les plus importants dans les dernières réformes (péréquation tarifaire notamment)… il ne faudrait pas rentrer dans la logique infernale du fret ! 

Au-delà du court terme, le plan de relance ferroviaire devrait marquer une rupture avec la situation antérieure pour redonner envie aux usagers de croire dans le train, et en convaincre de nouveaux de changer de mode de déplacement. C’est une occasion inespérée de report modal. Au-delà de la remise en cause de la concurrence évoquée plus haut, il convient de ré examiner les choix récents : le rapport Duron sur les infrastructures (quoi qu’on en pense par ailleurs) présentait 3 scenarii :  1) la concentration des investissements sur un périmètre réduit de lignes et l’abandon du reste (2,4 milliards d’euros par an) ; 2) des investissements sur l’ensemble du réseau (3 milliards d’euros par an) ; 3) des investissements supérieurs pour accélérer la réalisation des travaux et résoudre plus rapidement les problèmes des usagers (4milliards d’euros par an). Le gouvernement a choisi le scénario que je qualifierais de « 1,5 » soit 2,7 milliards d’euros par an, mais il a en outre imposé à la SNCF de les assumer presque exclusivement sur ses fonds propres comme au joyeux temps de la construction des LGV, grâce à un mécanisme pervers de « dividende » versé par SNCF Voyageurs à SNCF Réseau. L’une des mesures les plus significatives en faveur du rail serait donc de passer au scénario 3, et que ce soit l’Etat qui assume en totalité le financement de ces investissements. En apportant 4 milliards par an pendant 20 ans au système ferroviaire :  – il rééquilibrerait la situation avec le mode routier (dont la collectivité finance 100% des infrastructures), – il permettrait de résoudre plus rapidement les problèmes d’infra qui empoisonnent la vie des usagers et des cheminots, – il permettrait à SNCF Réseau de dégager 2 milliards par an pour améliorer encore le service public (retour à une politique de prévention dans la maintenance, arrêt de la sous-traitance, réouverture immédiate des petites lignes…). Dans le mécanisme de financement des TER c’est l’Etat qui paye les sillons à la place des Régions, il pourrait donc aussi demander la baisse du prix des sillons pour ré-attribuer cette somme sous forme de dotation aux régions afin qu’elles puissent faire face à la perte de recette liée à la crise…- et il dégagerait SNCF voyageurs de ces obligations (dividende) ce qui lui permettrait d’améliorer le service offert (réserves de personnels pour pallier les incidents, présence humaine dans les gares et les trains…) et pourquoi pas de créer de nouveaux droits (réduction de 90% sur un aller-retour par an pour chaque Français au titre du droit aux vacances… ce qui ferait découvrir le train à beaucoup de gens et encouragerait le tourisme intérieur)… 

Évidemment, on ne peut pas parler de plan de relance sans aborder le FRET… les cheminots (y compris ceux des EF privées) ont assuré : 60 à 70% des trains ont continué à rouler pour assurer l’approvisionnement de la nation. Mais toutes les compagnies sont dans un état critique. Cela vient à un moment où l’Union Européenne a déjà fait le constat de l’impasse de la libéralisation et a donc autorisé discrètement l’année dernière les États membres à recommencer à subventionner le FRET. Donc le Gouvernement en profite et va annoncer une aide publique de 100 à 150 millions d’euros. Ce sont bien les subventions qui vont maintenir la pérennité de l’activité. Mais cela ne va permette que la consolidation des trafics actuels, en aucun cas un report massif de la route sur le rail, dont nous avons pourtant cruellement besoin. Il est donc temps d’abandonner la concurrence, de fusionner toutes les compagnies privées moribondes dans la SNCF, et de mettre en place une politique plus ambitieuse de report modal, planifiée, coordonnée avec tous les acteurs (ports, Marchés d’Interêt National, grands logisticiens…). La CGT fera des propositions concrètes sur ce point très bientôt. Alors je terminerai par ce que va faire le Gouvernement… Même si il ne nous parle pas (nous ne sommes que de pauvres salariés, lui il parle avec les patrons), nous entendons des choses… Et pour l’instant, c’est plutôt tout le contraire de ce qu’il faudrait : il a imposé à SNCF Voyageurs de verser en juillet un dividende de 760 millions d’euros à SNCF Réseau. Ils ne veulent pas reconnaître l’aberration de cette mesure issue de la réforme de 2018 donc ils poussent à ce qu’elle soit respectée, quitte à tout casser autour. 

Ce faisant, le message qu’ils envoient à la SNCF est : débrouillez-vous pour tenir vos objectifs financiers malgré la crise, donc pressurez à nouveaux vos salariés, réduisez les investissements pour vos usagers (sauf si ça touche les multinationales du BTP, dans ce cas vous maintenez les chantiers comme le CDG Express), revenez à des conditions de transport dégradées, mais payez ce dividende ! Il se murmure aussi que certaines filiales pourraient être vendues… sont-ce celles dont nous n’avons que faire car pas ferroviaires et trop éloignées pour représenter un intérêt de coopération ? Non, ce serait celles qui détiennent du capital ferroviaire en France (on parle de Ermewa, filiale SNCF à 100%, qui est un loueur de matériel roulant et possède aujourd’hui les wagons fret par exemple…). Nous sommes décidément bien restés dans l’ancien monde. Le nouveau ne viendra que par nos luttes ! Alors préparons-nous, syndiquons-nous, organisons-nous, il faut que ça chauffe !

REVUE PROGRESSISTES

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