Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

los delinquentes, un long hymne à la liberté

Un long film en deux parties qui dure trois heures… Très argentin, puisque par moment on a envie de crier au chef d’oeuvre et d’autres on se dit que trop c’est trop. L’Argentin est volontiers hableur, démesuré, un brin narcissique, il est comme le péronisme, on ne sait jamais à qui on à affaire et les deux “délinquants” de l’histoire qui ont monté un bracage de banque sous une forme inédite découvrent dans les affres de l’angoisse du mode de production capitaliste que la prison, le travail dans lesquels le fric règne en maître pose une seule question: “comment ne plus perdre son temps?” Il faut réinventer les choses disparues, la poèsie concrète, le cinéma, l’art des jardins et en filigrane penser à la France, pour mieux rompre avec ses sophistications. Ce film nous vient d’un pays qui est comme son cinéma, débordant de vie et menacé. Peut-être faut-il alors simplement dire au spectateur de faire comme l’équipe de tournage, celle dans le film autour de Ramon le videaste, gorgé d’images et de vin et celle de Moreno le metteur en scène: prends le plaisir que t’offre ce que tu vois, dis toi simplement que chaque film est cet acte collectif qui tient ou ne tient pas ses promesses , celui-là, comme bien des productions venues du sud, a la force des tentatives de ceux qui ne renoncent pas, parfois cela est suffisant par rapport à tous ceux qui nous invitent à ne plus rien chercher.

Los Delincuentes a été projeté au Festival de Cannes 2023 dans la sélection Un Certain Regard. Il n’a reçu aucun prix mais le bouche à oreille a fait que l’on s’est retrouvé convaincu que c’était peut-être le film qu’il fallait voir. C’est vrai. Il s’agit d’un remake d’un film argentin célèbre de 1949, L’Affaire de Buenos Aires d’Hugo Fregonese qui est un film culte qui à l’époque avait attiré Hollywood tant le metteur en scène dans la logique bunélienne au Mexique mais en plus dépouillé, plus centré sur le film noir avait privilégié l’autopsie d’un mauvais coup et l’univers des prisons, la motivation étant le fric. la fois film de casse et de prison, qui voit un employé de banque se faire volontairement incarcérer pour profiter d’un magot,  Mais c’était en 1949, l’Argentine est à la fois dans ses permanences et se transforme…

L’Affaire de Buenos Aires d’Hugo Fregonese 1949

En Argentine,les luttes politiques sont violentes,populistes, jamais le parti communiste n’a pu réellement s’implanter on dit que c’est parce qu’il a été fondé par des juifs, et il n’y a rien de plus antisémite que le peuple argentin (si ce n’est les Polonais, les Ukrainiens), voir raciste puisqu’on accuse les Argentins d’avoir tué leurs esclaves noirs, ce qui est sur c’est que l’influence italienne s’y fait sentir y compris sous la forme mussolinienne mais là attention aux analogies trompeuses. le pays a connu 1929 et en 1930, le chomage de masse, les rebellions populaires et le général José Félix Uriburu prend le pouvoir par un coup d’État. Le pays entre dans une période sombre comme il en connait périodiquement avec une oligarchie qui se donne aux Etats-Unis.On ne comprend rien au péronisme si on y voit un simple fascisme, il faut comprendre que la haine des Etats-Unis et de l’oligarchie locale fait que l’on considère ses adversaires parfois avec sympathie et c’est vrai partout en Amérique latine comme dans bien des pays “colonisés”. . En 1943, Peron prend le pouvoir par un putsch militaire. Admirateur de Mussolini et Franco, il met en place une dictature militaire et développe un culte de sa personnalité. Mais il maintient le multipartisme et les élections démocratiques.
En 1955, un nouveau coup d’État met en place le régime de la Révolution libératrice. Les coup d’État se succèdent en 1962, puis en 1966 quand le général Ongania prend le pouvoir. Il prend en main tous les pouvoirs de manière autoritaire au profit de l’oligarchie et des USA, il torture d’une manière atroce.Une révolte populaire en 1970 se transforme en quasi-guerre civile. Les disparitions et les massacres sont nombreux jusqu’en 1973. Peron est élu président en 1973, il meurt en 1974 et son épouse prend le pouvoir. Le pays est livré aux militaires qui écrasent l’opposition, ils prennent le pouvoir par un coup d’État en 1976. La junte militaire gouvernera jusqu’en 1983. Durant cette période, les « disparitions », les internements arbitraires et la torture contre les opposants sont généralisés.

Aujourd’hui on le sait après quelques années de peronisme bolivarien, c’est de nouveau au pouvoir un grotesque, une marionnette des Etats-Unis, l’étranglement des populations, les droits du travail bafoués et quand le ciéaste décrit l’univers de la banque, l’arbitraire proche de celui des prisons, il ne nous raconte pas seulement ce qui se passe sur toute la planète mais bien jusqu’où celà peut prendre des proportions démentes en Argentine.

le travail qui a perdu son sens et n’est plus que représsion, un collectif la banque qui tourne à vide

Ce bref résumé du contexte historique, pour dire combien il est difficile d’appliquer nos catégories sur l’Argentine. Le cinéma, les financements deviennent de plus en plus difficiles, le documentaire est privilégié et surtout le nouveau pouvoir en place à suspendu toutes les aides et condamne de ce fait une industrie pleine de vitalité à l’asphyxie. Que faire? Comme dans le film être toujours plus des fous de cinéma qui continuent et revendiquent la fiction et la politique de la subjectivité. Mais surtout une écriture cinématographique qui retrouve la complexité des origines face à la paresse des plateformes numériques. Ils attendent beaucoup de la France qui continue sa politique d’aide à la production et à la diffusion. ce film est traversé par une critique et hommage à la sophistication française… le cinéma mais aussi l’espace, les paysages et la musique de Saint-Saëns et Poulenc qui donne à la fois du romantisme et de la legereté dans le cérémonial .

Le mérite de ce film c’est qu’il nous dit justement de ne pas nous fier à ce que nous croyons savoir, de prendre le temps de comprendre ce qui nait alors que l’on ne l’attend pas, est-ce un hasard si ce qui est le plus fantastique c’est le jeu, les relations entre les personnages sur le mode d’une comptine enfantine, puisque ce sont toujours les mêmes lettres qui sont utlisés dans les prénoms des protagonistes.Morán vole et confie le produit de son vol à Román, qui est la culpabilité incarnée pendant qu’il part en prison purger sa peine de trois ans et demi, et là se heurte au gang qui gère le lieu et qui exige une part du magot. Román non seulement est cerné par l’inspectrice des assureurs sur son lieu de travail, mais la présence du trésor dans un placard détruit son couple… Sur les conseils de Morán il part dans l’Argentine de la pampa avec ses collines en fond pour cacher l’argent. Jusque la, c’est toute la première partie c’est un thriller qui dans la deuxième partie va devenir une fable philosophique mais sans la moindre pesanteur, parce qu’il y a toujours la capacité à sentir l’air, les corps, après la rencontre avec Norma, Morna et Ramon le vidéaste amoureux du cinéma. L’argent est planqué sous un gros rocher pratiquement oublié et là c’est le choix de la rupture avec les conventions à la recherche d’un temps qui soit celui des raisons de vivre.

la prison couloir obscur où s’impose un espace de survie

Mais non ils n’ont pas trouvé de recette, en existe-t-il ? Les deux protagonistes comme le leur dit l’héroïne sont totalement dément, leur acte est le plus aliénant qui soit, il les soumet au pire des carcans, mais paradoxalement suivant la logique qui serait celle d’un Bresson (le condamné à mort s’est échappé, mais aussi l’intemporalité des dames du bois de Boulogne ou l’argent) ils ont trouvé le chemin d’une liberté fragile qui reste à reconquérir. J’ai pensé à Bresson mais Moreno doit lui penser à Ozu, Rosselini et un il s’interroge sur le réalisme à la manière un peu décalée de l’assaut de la Nouvelle vague…

Mais malgré ce décrochage suspect, on peut même en bon marxistes noter que nous sommes là devant la manière dont le capital, la banque, la ville, le produit du vol se heurte à l’état réel des forces productives humaines, le XX eme siècle a cru qu’il suffisait d’éliminer le capitalisme, le XXI e découvre que sous le socialisme le capital peut peut-être rentrer dans une nouvelle relation des êtres humains à la nature, à leur propre nature… les chemins de la liberté et le retour à l’utopie au sein d’un renouveau du sud dans un monde multipolaire qui continue à s’adresser à l’utopie de la révolution française… et à son marché… enfants sage de la cinéphilie et trop plein de vie…

Il faudrait encore expliquer qui est l’auteur Moreno (presque dans la comptine), il participe par une revue La Revista del Cine avec son héroine Norma Laura Parades qui a défendu un renouveau du cinéma argentin dans lequel la critique politique est aussi la revendication d’une terre primitive, collective … On ne sait pas très bien ce qu’ils cherchent, l’acte est plus important que le projet.

la fable sans pesanteur…

peut-être faut-il alors simplement dire au spectateur de faire comme l’équipe de tournage, celle du film autour de Ramon gorgé d’images et de vin et celle de Moreno qui nous offre ce film: prends le plaisir que t’offre ce que tu vois, dis toi simplement qu’un film est cet acte collectif qui tient ou ne tient pas ses promesses et celui-là est comme bien des productions venues du sud, des tentatives de ceux qui ne renoncent pas parfois cela est suffisant par rapport à tous ceux qui nous invitent à ne plus rien chercher.

danielle Bleitrach

Print Friendly, PDF & Email

Vues : 72

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.