Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Egon Krenz : le mouvement de protestation en RDA en 1989 ne voulait pas de l’unité allemande

L’unité allemande était-elle vraiment voulue par les protestataires en RDA ? Egon Krenz dit « Non ». Un article d’invité. Paul Barbazange nous a envoyé cet important article précédé du commentaire d’une camarade allemande que voici et qui parle du contexte allemand actuel, de la montée de l’extrême droite et s’interroge sur les origines d’une telle résurgence. Comme le disait Heiner Muller, la destruction de la RDA, ça a été la destruction d’une alternative, désormais on va vous vendre la même saucisse, une fois avec de la moutarde, une fois avec du ketchup. Il est clair que nombreux étaient ceux qui ne voulaient pas la fin de la RDA non seulement à l’est, mais à l’ouest. Et elle n’aurait pas pu avoir lieu sans la trahison de Gorbatchev, c’est la thèse défendue par Egon Kenz, le dernier président de la RDA, qui parle rarement pour ne rien dire. La camarade allemande dénonce la politique des sanctions contre la Russie et la désindustrialisation, le fossé des inégalités, derrière les “verts”, les habitants de l’est savent ce que cela représente, ils l’ont déjà vécu. (note et traduction -avec deepl- de Danielle Bleitrach pour histoire et societe)

A l’occasion de la “fête nationale” du 3 oct. la Berliner Zeitung vient de publier plusieurs articles sur la réunification, dont hier un article d’Egon Krenz au titre “Le mouvement de la protestation (en RDA 1989) ne voulait pas la réunification”. L’objectif du journal est de déclencher un débat sur les problèmes qui en résultent. C’est vrai que les institutions publiques, les médias et une grande partie des citoyens à l’ouest discréditaient la RDA. Mais il y avait aussi pas mal d’Allemands de l’ouest qui souhaitaient que la
RDA reste et réussisse. A l’époque Il y a même eu certains élites à l’ouest qui se sont opposées à la liquidation de la RDA, voir le meurtre de M. Rohwedder, le premier président de la Treuhand. A mon avis le vrai problème actuellement c’est la politique des sanctions et de la rupture totale avec la Russie par le gouvernement fédéral, représentée avant tout par le parti des Verts. Ainsi Sahra Wagenknecht dans sa Newsletter du 5 oct, “Surmonter les divisions au lieu de les aggraver” : “Nous assistons à une aggravation de la division sociale et politique, pas tant entre l’Est et l’Ouest …. qu’en raison du fossé croissant entre le haut et le bas, du conflit entre une élite d’opinion affinitaire verte d’un côté et la majorité de la population d’autre part. … Et ce qui est peut-être encore pire, c’est qu’ils (les élites vertes) représentent un abandon total de toute politique de détente et poussent ainsi au déclin du pays.” Le peuple de la RDA ne veut pas connaitre une deuxième défaite comme celle des années 1990. Contrairement à l’ouest ils comprennent bien mieux ce que signifie la désindustrialisation en cours.

z07.10.2023 | 06 h 08

4 novembre 1989 : Manifestation contre la violence et pour les droits constitutionnels, la liberté de la presse, la liberté d’expression et de réunion, devant le Palais de la République.

4 novembre 1989 : Manifestation contre la violence et pour les droits constitutionnels, la liberté de la presse, la liberté d’expression et de réunion, devant le Palais de la République.Rolf Zöllner/Imago

À l’occasion de la Journée de l’unité allemande, on a beaucoup parlé dans les discours et les interviews du respect des biographies de la RDA. C’est louable, et il faut espérer qu’elle sera enfin mise en œuvre dans la politique pratique.

Cependant, c’est une falsification de l’histoire si, en même temps, on prétend que les réalisations des citoyens de la RDA ont été accomplies malgré le régime de la RDA. Au contraire, il est vrai que beaucoup de choses dans lesquelles la RDA était supérieure à la République fédérale, telles que l’égalité des droits pour les femmes, la promotion de la jeunesse, le système éducatif, la garde des enfants et bien plus encore, n’étaient possibles que dans les conditions de la RDA.

C’est également une falsification de l’histoire que d’établir un lien entre les manifestations de l’automne à Leipzig et dans d’autres villes de la RDA et l’unité allemande.

L’automne 1989 n’était pas un prélude au rattachement de la RDA à la République fédérale.

Voici quelques faits qui sont manifestement passés sous silence :

  • L’appel des “Six de Leipzig” est interprété comme un appel à un mouvement de liberté que l’on voit de préférence dans la tradition des révolutions de 1848 et 1918. Mais le texte ne le dit pas.

Le 9 octobre 1989, aucune demande d’abolition de la RDA ou d’unification avec la République fédérale n’a été formulée. Même la démission du gouvernement n’a pas été demandée. Le chef d’orchestre Kurt Masur, le théologien Dr Peter Zimmermann, l’artiste de cabaret Bernd-Lutz Lange ainsi que les secrétaires de la direction du SED Dr Kurt Meier, Jochen Pommert et Dr Roland Wötzel avaient appelé la population à la prudence. Il est utile de se rappeler le texte original :


Notre préoccupation et notre responsabilité communes nous ont réunis aujourd’hui. Nous sommes concernés par l’évolution de notre ville et cherchons une solution. Nous avons tous besoin d’un libre échange d’opinions sur la poursuite du socialisme dans notre pays. C’est pourquoi les personnes citées promettent aujourd’hui à tous les citoyens de mettre en œuvre toute leur force et leur autorité pour que ce dialogue soit mené non seulement dans le district de Leipzig, mais aussi avec notre gouvernement. Nous vous demandons instamment de faire preuve de discernement afin que le dialogue pacifique soit possible”.

On a demandé à Wolfgang Ullmann, du mouvement citoyen “Demokratie jetzt” (La démocratie maintenant) : “Sur la question de la souveraineté, l’opposition tire à la même corde que le SED ?” L’historien ecclésiastique a répondu : “Oui, je n’ai pas honte de le dire… D’ailleurs, je fais partie des gens qui ne cachent pas du tout qu’ils se sont toujours su aux côtés des communistes, même dans notre pays, en ce qui concerne la décision fondamentale antifasciste”. (Source : interview de Wolfgang Ullmann, taz du 18 novembre 1989).

  • Le 24 octobre 1989, les pasteurs Schorlemmer et Eppelmann m’ont écrit une lettre dans laquelle ils disaient : “Ce qui nous importe, c’est le développement de la démocratie et du socialisme dans notre pays”.
    Lors du grand rassemblement sur l’Alexanderplatz de Berlin, aucun orateur n’a réclamé l’unité allemande. Le 4 novembre était une tentative de créer une RDA démocratisée, a fait remarquer Friedrich Schorlemmer. Il était question ce jour-là de liberté de la presse, de liberté de circulation, d’élections libres – sauf qu’il n’était pas question d’une chose ce 4 novembre : l’unité allemande. “Elle n’était pas du tout à l’ordre du jour”, se souvient Schorlemmer. “Nous voulions construire un autre pays. Nous voulions un changement fondamental de la RDA”.
  • Même les représentants les plus influents de l’opposition à la RDA ne voulaient pas changer la dualité de l’Etat allemand. Bärbel Bohley, par exemple, s’est exprimée sur les idées de réunification dans une interview accordée au journal français Le Figaro : “Non. C’est un sujet pour les campagnes électorales en Allemagne de l’Ouest. Après quarante ans, il y a deux sociétés différentes. Le mode de vie ouest-allemand nous est totalement étranger […]. Ce que veut la RFA, c’est une unification dans laquelle elle impose son modèle. Mais les Allemands de l’Est ne veulent pas se débarrasser de quarante ans de leur histoire”.

    – Les personnes de confiance du Deutsches Theater Berlin ont adressé une lettre au chancelier Kohl, dans laquelle on pouvait lire : “Nous observons avec une irritation croissante votre engagement pour la démocratie en RDA, nous entendons votre appel à des élections libres dans notre pays, dont vous voulez faire dépendre la coopération économique. Le peuple de la RDA s’est battu lui-même pour ses réformes et continuera à le faire à l’avenir. Dans le dialogue âprement mené avec notre gouvernement et le SED, nous n’avons pas besoin de l’appui politique de votre gouvernement et de votre parti. […] Nous n’avons rien contre le fait que vous, Monsieur le Chancelier, descendiez dans la rue pour des élections libres, mais nous ne voulons pas vous voir parmi les resquilleurs de notre mouvement de réforme. […] En outre, que doivent être ces élections libres, achetées avec l’argent de la République fédérale ?” (Source : Neues Deutschland du 24 novembre 1989.)

    Le président allemand Steinmeier a déclaré il y a quelque temps que l’histoire aurait été différente si Gorbatchev n’avait pas exhorté les dirigeants du SED à faire preuve de retenue. Une telle déclaration sous-entend que les dirigeants de la RDA auraient été déterminés à recourir à la violence. La vérité est que Gorbatchev n’a pas exhorté, explicitement ou implicitement, les dirigeants du SED à faire preuve de retenue. Cela n’était d’ailleurs pas nécessaire. La décision de ne pas recourir à la violence à l’automne 1989 a été prise uniquement à Berlin, donc par les dirigeants de la RDA, en pleine conscience de leur responsabilité. Il ne s’agit pas ici de jouer sur les mots, mais bien de processus historiques et de leur interprétation. Par ailleurs, il s’agit bien sûr aussi du jugement que les générations suivantes porteront sur les processus historiques en RDA. Nous avons interdit l’usage des armes à l’automne 1989 parce que les différences politiques ne peuvent pas être résolues par la violence. Je suis d’autant plus consterné de voir comment l’Allemagne se laisse peu à peu entraîner dans un danger de guerre imminent.

    L’unité allemande n’aurait jamais vu le jour sans l’Union soviétique. Je considère comme une tragédie le fait que nous célébrons le 33e anniversaire avec une relation avec la Russie qui ne pourrait pas être pire. La ministre allemande des Affaires étrangères a parlé de manière irresponsable du fait que l’Occident était en guerre contre la Russie et que l’objectif était de “ruiner la Russie”. La Russie n’a jamais représenté un danger pour l’Allemagne. L’Allemagne a envahi l’Union soviétique en 1941 avec l’intention de démanteler l’État et d’exterminer une partie de la population. Le mur de Berlin a disparu. Il a été déplacé vers l’est. Il n’est plus entre l’OTAN et le traité de Varsovie, mais entre l’OTAN et la Russie. Il se trouve là où il passait en principe ce 22 juin 1941, lorsque l’Allemagne a envahi l’Union soviétique. Ce déplacement de la frontière est à l’opposé de ce qui a été réclamé en 1989 dans les rues et sur les places de la RDA.

    La force, l’argent et les ressources que l’on consacre à dénoncer la RDA – toute une “industrie de la mise à jour” s’y emploie – seraient plus judicieusement investis dans un débat de fond sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Les nazis, les néonazis et les incendiaires intellectuels de l’AfD sont un danger pour l’Allemagne – mais pas l’héritage de la RDA.

    Lorsque j’ai rencontré Gorbatchev au début des années 90 pour l’informer que la justice fédérale allemande avait ouvert plus de 100 000 procédures d’enquête contre des citoyens de RDA, il m’a raconté une conversation avec le chancelier Kohl. Celui-ci lui avait dit que, sur le plan économique, on maîtriserait rapidement l’unité allemande, mais “Mikhaïl Sergueïevitch, nous avons rencontré là-bas, à l’Est, un peuple étranger. Ils sont très différents de nous”.
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Zum Autor
Egon Krenz wurde im März 1937 in Kolberg, Pommern, geboren. Krenz war vom 18. Oktober bis zum 6. Dezember 1989 als Nachfolger Erich Honeckers Generalsekretär des ZKs der SED sowie ab 24. Oktober bis zum selben Enddatum Staatsratsvorsitzender und Vorsitzender des Nationalen Verteidigungsrates der DDR.

À propos de l’auteur
Egon Krenz est né à Kołobrzeg, en Poméranie, en mars 1937. Du 18 octobre au 6 décembre 1989, Krenz succède à Erich Honecker comme secrétaire général du Comité central du SED et, du 24 octobre jusqu’à la même date de fin, président du Conseil d’État et président du Conseil de défense nationale de la RDA.



https://www.berliner-zeitung.de/politik-gesellschaft/egon-krenz-die-protestbewegung-in-der-ddr-von-1989-wollte-keine-deutsche-einheit-li.1405566



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1 Commentaire

  • Bernard Malfon
    Bernard Malfon

    lu dans Ostrovski : “erreur ou trahison … ” : “Dés la fin du plenum de juillet (1990) du CC du PCUS, Mikhail Gorbatchev disparut de Moscou. On apprit par la suite qu’il avait passé les 15 et 16 juillet dans son pays natal, le village de montagne d’Arkhyz, où, à l’abri des regards indiscrets, il avait rencontré le chancelier de la RFA, H. Kohl …”
    Le livre d’Alexandre Ostrovski nous dévoile l’ampleur de la trahison de Gorbatchev et d’une bonne partie de l’élite de l’URSS

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