Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

«Le Jeu de la reine», un regard venu d’ailleurs…

Un certain nombre de films disent avec talent un parti pris au meilleur sens du terme. Karim Aïnouz est un brésilien d’origine algérienne, on pourrait dire qu’il raconte l’histoire de la naissance de l’empire britannique à travers la manière dont une reine (mais qui annonce celle qui régna 45 ans Elizabeth) Catherine Parr mène un combat politique contre son ogre d’époux. Parce que c’est là l’autre trait de cette vision des femmes, elle ne sont pas la passion, l’amour, elles sont des créatures politiques. Catherine Parr a survécu à son barbe bleu d’époux parce qu’elle était intelligente comme dans un roman d’Agatha Christie où cette qualité est la meilleure chance pour l’héroïne de déjouer la logique des séries. L’autre qualité est l’art de multiplier autour de soi les solidarités domestiques, féminines en particulier.

L’Histoire nous dit peu de choses, elle raconte surtout les hommes et la guerre»

Le contraire de ce que raconte cette histoire des femmes qui, autre nouveauté, montre un “jeu” qui exige avant tout une complicité et une solidarité sans faille entre femmes. Certes Henri VIII est assez monstrueux et peu doué pour éprouver ou inspirer de l’amour mais il n’y a aucun homme y compris l’amoureux transi Thomas Seymour qui sache manifester plus de tendresse. En revanche, les personnages ont une vitalité barbare et un appétit de jouissance qui témoigne de ce qu’était l’Angleterre féodale avant qu’elle ne pille la planète, un monde sous développé, crasseux, froid et brumeux. Élevée dans un tel contexte, on comprend que la reine Elizabeth retienne la leçon et ne laisse aucun homme avoir prise sur elle. Elles sont ce qui aurait pu être un espace de tolérance et d’égalité, mais Karim Aïnouz démonte sa propre fiction : paradoxalement c’est très proche de ce que décrit un Duby y compris quand lui aussi note le silence de l’histoire sur les femmes, le côté barbare des chevaliers…

Alicia Vikander en Catherine Parr dans <em>Le Jeu de la reine</em>, de Karim Aïnouz. | Capture d'écran FilmsActu <a href="https://www.youtube.com/watch?v=WRoOM8SGORM" rel="nofollow">via YouTube</a>
Alicia Vikander en Catherine Parr dans Le Jeu de la reine, de Karim Aïnouz. |

On sait tout sur cet ogre royal que fut Henri VIII, l’originalité du film tient au choix de la dernière épouse qui si on en croit Karim Aïnouz accepta d’être son bourreau et de le suivre en enfer parce qu’être reine et aimer son roi est à ce prix là. Jude Law est un ogre inquiétant à souhait même s’il ne fait pas oublier Charles Laughton. Il est vrai que ce monstre est indépassable dans l’art et la manière d’incarner l’histoire, ses peurs et ses faiblesses puisqu’il joua aussi le peureux Galilée sous la direction de Brecht et fut l’auteur de la terrifiante “nuit du chasseur”. Jude Law a un côté effrayant mais aussi bon vivant et il s’accroche à la vie d’une manière telle que l’achever parait effectivement une nécessité si l’on veut que naisse l’empire britannique grâce à l’intelligence et la solidarité féminine. Le choix de la fiction qui en prend à son aise avec l’histoire correspond pourtant à l’intelligence de la période historique. Rien de plus intéressant qu’une classe dominante en train de s’effondrer, notait Brecht, le fait que les grands auteurs de la période élisabéthaine, Shakespeare en tête avaient réussi à raconter la fin de la féodalité en incarnant sous forme de drame intime la chute des princes et rois. C’est bien le choix de Karim Aïnouz quand il nous décrit Catherine Parr (magnifiquement interprétée par Alicia Vikander), la passion de la reine pour sa “mission” ne se contente pas de l’influence sur l’oreiller, elle est régente, écrit de la littérature, s’occupe des enfants d’Henri VIII dont elle est le première mère, et prend des risques.

Karim Aïnouz a lui même expliqué son étonnement d’être contacté pour tourner un film britannique écrit par les sœurs Jessica et Henrietta Ashworth. «L’histoire de l’Angleterre ce n’est pas mon monde. Et Catherine Parr, je ne savais pas qui c’était. […] Cet espace, le froid, le vent, pour moi c’était un univers de science-fiction.»

 «Quand on vient du Sud, faire un film c’est toujours politique. C’est un acte de résistance dans un art où nous avons été marginalisés. […] Pour un cinéaste brésilien-algérien, raconter l’histoire de l’Angleterre de mon point de vue, c’était quand même très excitant.»

C’est là que le film fait partie de quelque chose de nouveau : le regard que le sud porte sur “l’exotisme” des empires colonisateurs et la manière dont il en use avec une mentalité de cinéphile et une exagération dans le “classicisme”. Il y a quelque chose dans ce regard qui fait penser à la manière dont on filmait l’Afrique ou l’Algérie, voire les Caraïbes, le Mexique, en insistant sur la reproduction de ce qu’on estime typique. Mais lui sait et il insiste sur le décalage assumé dans le générique de la fin de « Down by the water » de PJ Harvey. Un choix de musique rock tout sauf anodin : « Finir sur une note nostalgique, c’était pas possible. »

Il est impossible de regretter la grandeur de l’empire dit ce générique… Et tout le long du film ce faux académisme avec ses tableaux et costumes à la manière de … est en fait un monde de carnaval, de maladies qui marque le sous-développement et le côté déguisement attribué le plus souvent aux civilisations du sud… et là faire des femmes, celles dont on ne parle pas plus que de l’histoire des peuples du sud, celles qui portent l’aspiration à la tolérance, à un monde réconcilié c’est introduire le présent comme un possible qui aurait pu avoir lieu… Mais qui n’aura jamais lieu sans se défaire des illusions alors même qu’elles provoquent le plaisir de l’image et de la musique…

« On imagine les Anglais sous le prisme de l’ère victorienne et de la religion, mais c’était aussi un univers très païen, sur une île isolée au bout du monde, et je voulais refléter ce côté plus charnel. Ça paraît peut-être ridicule, mais pour moi c’est comme le carnaval au Brésil : ces traditions païennes en disent long sur une culture.»

Autre aspect qui là m’a fait penser au film féministe “Il reste encore demain” non seulement parce que la complicité entre femmes est politique mais parce que le choix de recréer l’univers néoréaliste en faisant revivre le petit peuple pour mieux dépasser l’habituelle enfermement dans l’histoire d’amour travaille les mêmes dynamiques y compris le rôle de la musique, de la danse…

Nous sommes dans des temps où il faut accepter d’être regardé d’un autre point de vue… demain je vais voir un film dont j’attends plus encore Los delincuntes.

Danielle Bleitrach

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