Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Déclin d’empire et illusions coûteuses

8 MARS 2024

On assiste à une évolution accélérée de l’opinion de la gauche aux Etats-Unis, comme d’ailleurs dans l’occident en général : si lors de l’intervention russe en Ukraine il existait un consensus général pour condamner celle-ci, si la diabolisation de Poutine et d’une Russie paranoïaque au bord de l’effondrement avait peu de contradicteurs, peu à peu (le choc de ce qui se passe à Gaza est un tournant), on a semblé découvrir l’existence d’autres opinions dans le monde, la dénonciation du rôle de l’OTAN et des USA, la guerre par procuration et l’embrasement avec la Chine dans la visée… Puis ce furent les mensonges permanents sur l’état réel des “fronts” qui apparurent avec l’invention du “héros”, aujourd’hui on voit de plus en plus être dénoncée comme ici la folie de ceux qui de fait, comme Macron petit messager des USA, nous conduisent vers la guerre. Est-ce un hasard si alors on recourt de plus en plus comme nous le faisons dans histoire et société à l’enseignement d’une histoire dont on a privé les peuples pour briser avec leur mémoire leur capacité d’intervention alors même que la colère décuple désormais leur capacité à douter du narratif officiel. Notez le diagnostic à peu près général, non seulement l’occident se dirige vers la Bérézina mais il le fait dans un contexte de déclin démographique, économique et politique qu’il ne veut pas voir et qui est pire que ce que les précédents assauts (Napoléon, Hitler) connaissaient… Là l’occident refuse de voir qu’un nouveau monde est en train d’émerger… et que la force de la Russie a été de s’appuyer sur lui pour faire face à l’offensive de l’OTAN (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

PAR RICHARD D. WOLFFFacebook (en anglais seulementGazouillerSur RedditMessagerie électronique

Пераправа цераз раку Бярэзіну (Biarezina)

Déclin de l’Empire et illusions coûteuses

Lorsque Napoléon engagea la Russie dans une guerre terrestre européenne, les Russes organisèrent une défense déterminée et les Français perdirent. Quand Hitler a essayé la même chose, l’Union soviétique a réagi de la même manière, et les Allemands ont perdu. Au cours de la Première Guerre mondiale et de sa guerre civile post-révolutionnaire (1914-1922), la Russie d’abord, puis l’URSS, se sont défendues avec beaucoup plus d’efficacité contre deux invasions que les envahisseurs ne l’avaient calculé. Cette histoire aurait dû avertir les dirigeants américains et européens de minimiser les risques d’affronter la Russie, en particulier lorsque la Russie se sentait menacée et déterminée à se défendre.

Au lieu de la prudence, les illusions ont suscité des jugements mal avisés de la part de l’Occident collectif (grosso modo les pays du G7 : les États-Unis et leurs principaux alliés). Ces illusions ont émergé en partie du déni généralisé de l’Occident collectif de son déclin économique relatif au XXIe siècle. Ce déni a également permis un aveuglement remarquable sur les limites que le déclin imposait aux actions collectives de l’Occident mondial. Les illusions provenaient également d’une sous-évaluation fondamentale de la position défensive de la Russie et de ses engagements qui en découlaient. La guerre en Ukraine illustre de manière frappante à la fois le déclin et les illusions coûteuses qu’il entretient.

Les États-Unis et l’Europe ont sérieusement sous-estimé ce que la Russie pourrait et ferait pour l’emporter militairement en Ukraine. La victoire de la Russie, du moins jusqu’à présent après deux ans de guerre, s’est avérée décisive. Leur sous-estimation découlait d’une incapacité commune à saisir ou à absorber l’évolution de l’économie mondiale et ses implications. En minimisant, en marginalisant ou simplement en niant le déclin de l’empire américain par rapport à la montée en puissance de la Chine et de ses alliés des BRICS, les États-Unis et l’Europe ont ignoré les implications de ce déclin. Le soutien des alliés de la Russie, combiné à sa détermination nationale à se défendre, a jusqu’à présent vaincu une Ukraine lourdement financée et armée par l’Occident collectif. Historiquement, les empires en déclin provoquent souvent des dénis et des illusions qui enseignent à leur peuple de « dures leçons » et lui imposent des « choix difficiles ». Voilà où nous en sommes aujourd’hui.

L’économie du déclin de l’empire américain constitue le contexte mondial continu. Le PIB collectif, la richesse, les revenus, la part du commerce mondial et la présence au plus haut niveau des nouvelles technologies des pays des BRICS dépassent de plus en plus ceux du G7. Ce développement économique incessant encadre également le déclin des influences politiques et culturelles du G7. Le programme massif de sanctions américaines et européennes contre la Russie après février 2022 a échoué. La Russie s’est particulièrement tournée vers ses alliés des BRICS pour échapper rapidement et complètement à la plupart des effets escomptés de ces sanctions.

Les votes de l’ONU sur la question du cessez-le-feu à Gaza reflètent et renforcent les difficultés croissantes auxquelles sont confrontées les positions américaines au Moyen-Orient et dans le monde. Il en va de même pour l’intervention des Houthis dans la navigation en mer Rouge et pour d’autres initiatives arabes et islamiques futures soutenant la Palestine contre Israël. Parmi les conséquences découlant de l’évolution de l’économie mondiale, beaucoup contribuent à saper et à affaiblir l’empire américain.

Le manque de respect de Trump pour l’OTAN est en partie l’expression d’une déception à l’égard d’une institution qu’il peut blâmer pour ne pas avoir réussi à arrêter le déclin de l’empire. Trump et ses partisans déclassent largement de nombreuses institutions autrefois considérées comme cruciales pour la gestion de l’empire américain à l’échelle mondiale. Les régimes Trump et Biden ont tous deux attaqué la société chinoise Huawei, partagé des engagements dans des guerres commerciales et tarifaires et fortement subventionné des entreprises américaines en difficulté concurrentielle. Rien de moins qu’un glissement historique de la mondialisation néolibérale vers le nationalisme économique est en cours. Un empire américain qui ciblait autrefois le monde entier est en train de se réduire à un simple bloc régional confronté à un ou plusieurs blocs régionaux émergents. Une grande partie des autres nations du monde – une possible « majorité mondiale » de la population de la planète – s’éloigne de l’empire américain.

Les politiques nationalistes économiques agressives des dirigeants américains détournent l’attention du déclin de l’empire et facilitent ainsi son déni. Pourtant, ils causent aussi de nouveaux problèmes. Les Alliés craignent que le nationalisme économique aux États-Unis n’ait déjà ou n’affecte bientôt négativement leurs relations économiques avec les États-Unis ; « L’Amérique d’abord » ne vise pas seulement les Chinois. De nombreux pays repensent et reconstruisent leurs relations économiques avec les États-Unis et leurs attentes quant à l’avenir de ces relations. De même, de grands groupes d’employeurs américains reconsidèrent leurs stratégies d’investissement. Ceux qui ont investi massivement à l’étranger dans le cadre de la frénésie de mondialisation néolibérale du dernier demi-siècle sont particulièrement craintifs. Ils anticipent les coûts et les pertes découlant des changements de politique vers le nationalisme économique. Leur réticence ralentit ces changements. Alors que les capitalistes du monde entier s’adaptent pratiquement à l’évolution de l’économie mondiale, ils se querellent et contestent également la direction et le rythme du changement. Cela ajoute de l’incertitude et de la volatilité à une économie mondiale encore plus déstabilisée. Au fur et à mesure que l’empire américain s’effondre, l’ordre économique mondial qu’il dominait et imposait autrefois change.

Les slogans « Make America Great Again » (MAGA) ont politiquement instrumentalisé le déclin de l’empire américain, toujours en termes soigneusement vagues et généraux. Ils le simplifient et le comprennent mal dans un autre ensemble d’illusions. Trump, promet-il à plusieurs reprises, annulera ce déclin et l’inversera. Il punira ceux qu’il en accuse : la Chine, mais aussi les démocrates, les libéraux, les mondialistes, les socialistes et les marxistes qu’il met dans le même sac dans une stratégie de construction de blocs. Il y a rarement une attention sérieuse à l’économie du déclin du G7, car cela impliquerait de manière critique les décisions des capitalistes motivées par le profit comme principales causes du déclin. Ni les républicains ni les démocrates n’osent le faire. Biden parle et agit comme si la richesse et la position de pouvoir des États-Unis au sein de l’économie mondiale n’avaient pas diminué par rapport à ce qu’elles étaient dans la seconde moitié du XXe siècle (la majeure partie de la vie politique de Biden).

Continuer à financer et à armer l’Ukraine dans la guerre contre la Russie, tout comme approuver et soutenir le traitement des Palestiniens par Israël, sont des politiques fondées sur le déni d’un monde changé. Il en va de même pour les vagues successives de sanctions économiques, même si chaque vague n’a pas atteint ses objectifs. L’utilisation de droits de douane pour empêcher les véhicules électriques chinois d’être de meilleure qualité et moins chers que ceux du marché américain ne fera que désavantager les particuliers américains (via les prix plus élevés de ces véhicules électriques chinois) et les entreprises (via la concurrence mondiale des entreprises achetant les voitures et les camions chinois moins chers).

Peut-être que les illusions les plus grandes et les plus coûteuses qui découlent d’un déni d’années de déclin pèsent sur l’élection présidentielle à venir. Les deux principaux partis et leurs candidats n’offrent aucun plan sérieux sur la façon de faire face au déclin de l’empire qu’ils cherchent à diriger. Les deux parties ont présidé à tour de rôle à la baisse, mais le déni et le blâme de l’autre sont tout ce que l’une ou l’autre des parties propose en 2024. Biden offre aux électeurs un partenariat dans le déni du déclin de l’empire. Trump promet vaguement d’annuler le déclin causé par un mauvais leadership démocrate que son élection éliminera. Rien de ce que fait l’un ou l’autre des principaux partis n’implique des admissions et des évaluations sobres d’une économie mondiale en mutation et de la façon dont chacun envisage d’y faire face.

Les 40 à 50 dernières années de l’histoire économique du G7 ont été marquées par des redistributions extrêmes de la richesse et des revenus vers le haut. Ces redistributions ont fonctionné à la fois comme causes et effets de la mondialisation néolibérale. Cependant, les réactions intérieures (divisions économiques et sociales de plus en plus hostiles et volatiles) et les réactions extérieures (émergence de la Chine et des BRICS d’aujourd’hui) sapent la mondialisation néolibérale et commencent à remettre en question les inégalités qui l’accompagnent. Le capitalisme américain et son empire ne peuvent pas encore faire face à son déclin dans un monde en mutation. Les illusions sur le maintien ou la reconquête du pouvoir au sommet de la société prolifèrent aux côtés des théories du complot délirantes et des boucs émissaires politiques (immigrants, Chine, Russie) en bas.

Pendant ce temps, les coûts économiques, politiques et culturels augmentent. Et à un certain niveau, comme le dit la célèbre chanson de Leonard Cohen, « Everybody Knows ».

Cet article a été produit par Economy for All, un projet de l’Independent Media Institute.

Richard Wolff est l’auteur de Capitalism Hits the Fan et Capitalism’s Crisis Deepens. Il est le fondateur de Democracy at Work.

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