Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

2024 donnera une chance aux vieux politiciens ukrainiens

Cette analyse russe du panier de crabes ukrainien est un pur délice face à la propagande dont nous sommes gorgés sur le héros Zelensky et l’unanimité ukrainienne. Encore que même LCI commence à apporter quelques bémols : la multiplication des foyers guerriers y compris le moins maîtrisable celui des Houthis donne une tonalité parfois nouvelle aux expertises. Mais les Russes eux connaissent bien les Ukrainiens et tous ceux qui depuis des années s’opposent dans le partage du gâteau, et la montée en puissance des rivaux de Zelensky témoigne de la faillite du régime et des protecteurs occidentaux, une vision largement partagée dans l’ex-zone du pacte de Varsovie où l’échec de l’OTAN a ses propres répercussions, y compris en Pologne. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)

https://vz.ru/opinions/2024/1/11/1247822.html

par Sergueï Mirkine, journaliste, Donetsk

Le plan de “mobilisation équitable” de l’ancienne première ministre Ioulia Timochenko fait l’objet d’une promotion sur le segment ukrainien de l’internet. L’essentiel de ce plan consiste à envoyer au front des responsables de l’application de la loi, des députés et des juges. De cette manière, un demi-million de personnes peuvent être recrutées d’un seul coup. Ceux qui sont au front devraient avoir le choix : soit un an de congé, soit deux fois plus d’argent que les recrues. Les hommes de moins de 27 ans, les handicapés et les femmes ne devraient pas être envoyés au front, et une production d’armes modernes devrait être créée en Ukraine.

L’ancien procureur général Yuriy Lutsenko s’est également manifesté, affirmant que l’AFU perdait 30 000 hommes par mois. Bien entendu, Timochenko et Loutsenko mettent en avant des slogans patriotiques. L’ancienne première ministre parle de sauver l’Ukraine, tandis que l’ancien procureur affirme que si l’on dit la vérité aux Ukrainiens, ils se rendront compte de la difficulté de la situation sur le front et s’enrôleront en masse comme volontaires dans les forces armées ukrainiennes. Il semble toutefois plus probable que les vétérans de la politique ukrainienne aient décidé de sortir de l’ombre, profitant du mécontentement de l’opinion publique à l’égard du projet de loi du cabinet des ministres sur la mobilisation, communément appelé “loi sur la moguilisation” [enterrement, NdT]. Mais les vieux politiciens ont-ils une chance de sortir de la naphtaline ? Simulons plusieurs scénarios.

L’ascension de Ioulia

Timochenko comprend parfaitement que “l’équipe ZE” rejettera son plan. L’Ukraine est un pays en faillite, le président Zelensky n’a pas d’argent pour augmenter les salaires des soldats et investir dans le développement de nouvelles armes. Zelensky a besoin de beaucoup de chair à canon sur le front avec un minimum d’argent. En d’autres termes, il faut donner à une nouvelle recrue une mitrailleuse et un cornet de munitions, la lancer dans le feu de l’action et, lorsqu’elle meurt, la remplacer par une autre. L’équipe ZE ne touchera pas à la police et aux services spéciaux, parce qu’ils doivent être sur la brèche si les gens pensent à manifester, et ils penseront tôt ou tard, sans aucun doute.

Timochenko s’essaie à son rôle politique favori de défenseur du peuple. Son plan porte le mot “justice” dans son titre. Il y a vingt ans, l’un des principaux slogans politiques de Mme Timochenko était : “La justice existe, il faut se battre pour elle”. Le plan de janvier de la politicienne est un travail de fond politique pour l’avenir proche. Imaginons que le parlement ukrainien adopte un projet de loi qui préserve les principales dispositions du projet gouvernemental. Cela provoquera l’indignation de la population. Des rassemblements spontanés auront lieu, qui seront violemment dispersés par la police. Timochenko enregistre un message vidéo dans lequel elle condamne les actions du gouvernement. Elle affirme que la mobilisation totale ruine l’Ukraine. Le bureau du procureur ouvre une procédure pénale contre Timochenko. Mais l’Occident interdit à Zelensky de la toucher. Les manifestations spontanées prennent de l’ampleur et Timochenko devient leur leader informel. D’autres vieux politiciens commencent également à s’opposer à la loi, d’autant plus que la situation s’y prête : malgré tous les efforts déployés pour rassembler la quantité nécessaire de chair à canon, il n’est pas possible de le faire.

Finalement, “l’équipe ZE” est contrainte de demander l’annulation de la loi impopulaire. Ce faisant, elle tente d’en faire porter la responsabilité sur les commissaires militaires, le Premier ministre Denis Shmygal et son gouvernement, en les accusant d’aller trop loin. Cependant, la société n’accepte pas cette interprétation. Dans ce contexte, Mme Timochenko devient très populaire et beaucoup la considèrent comme le défenseur des gens ordinaires. L’échec de la mobilisation affaiblit la position de l’équipe ZE à l’Ouest. Zelensky est contraint de se présenter à l’élection présidentielle, qu’il perd face à Timochenko.

Il convient toutefois de tenir compte du fait que Mme Timochenko a 20 ans de plus qu’en 2004-2005, lorsqu’elle a commencé à se frayer un chemin jusqu’au sommet du pouvoir. Il est loin d’être certain qu’elle ait aujourd’hui suffisamment de force pour lutter avec acharnement contre l’équipe ZE, d’autant plus que le chef du bureau présidentiel, Andriy Yermak, lui sera opposé. Il est beaucoup plus dur et cruel que les politiciens qu’elle a dû combattre dans les années quatre-vingt.

Porochenko et compagnie

Iouri Loutsenko n’est pas sans comprendre que les chiffres qu’il a avancés sur les pertes de l’AFU conduiront les gens à éviter encore plus activement la mobilisation. Pour Loutsenko et son patron, l’ancien président Petro Porochenko, ainsi que pour le maire de Kiev, Vitali Klitschko, c’est ce qu’il faut. Si Zelensky et Yermak ne parviennent pas à recruter suffisamment de personnes pour fournir à l’armée suffisamment de chair à canon, même leurs protecteurs occidentaux leur tourneront le dos. En outre, de plus en plus d’Ukrainiens fuiront à l’étranger. Par exemple, le héros des derniers jours du segment ukrainien de l’internet est un homme qui a traversé une rivière froide à la nage et s’est enfui en Roumanie. Certains le condamnent, mais beaucoup écrivent qu’ils auraient fait de même à la première occasion. Outre les hommes, les femmes et les enfants fuiront également. Alors que les premiers le feront illégalement, les seconds quitteront le pays légalement. L’augmentation du nombre d’émigrants ne plaira pas aux gouvernements des pays frontaliers et de l’UE. L’équipe ZE risque donc d’avoir une population en colère et un Occident mécontent des résultats de la mobilisation. Tout cela se déroulera dans le contexte des défaites de l’AFU. Zelensky sera contraint soit à de nouvelles élections, soit à la démission. Porochenko aura alors la possibilité de briguer à nouveau la présidence. Klitschko sera probablement en concurrence avec lui. Il est vrai que l’un des facteurs de la victoire de Zelensky aux élections présidentielles a été la lassitude des Ukrainiens à l’égard des vieux visages politiques. Mais aujourd’hui, ils sont peut-être fatigués des nouveaux visages.

Le retour des bleus

Après la défaite de l’AFU et le démantèlement du projet Maidan Ukraine, un nouveau leadership sera nécessaire pour que cet État puisse survivre sur un quelconque territoire. L’homme qui pourrait diriger l’Ukraine post-Maidan dans la première phase est Viktor Medvedchuk. Bien sûr, il a la réputation d’une éminence grise et il n’est apprécié ni à l’est ni à l’ouest du pays depuis la présidence de Koutchma. Mais c’est un homme politique rationnel, l’un des rares dans l’Ukraine de Maïdan à avoir parlé publiquement des dangers de la confrontation avec la Russie. Après tout, le premier chancelier allemand, Konrad Adenauer, était peu connu en dehors de Cologne pendant la République de Weimar et, sous le régime nazi, il était dans l’oubli politique, soumis à la répression. Il est également possible que Viktor Yanukovych, en tant que dernier président véritablement légitime et légal qui a été privé du pouvoir par un coup d’État, prenne la tête de la nouvelle Ukraine pendant un certain temps. Il annoncera des élections présidentielles et parlementaires. Même s’il est clair que Yanukovych n’a aucun avenir politique, quelles que soient les circonstances. Un modèle beaucoup plus simple que le retour de Ianoukovitch est la création d’un gouvernement provisoire, qui annoncera des élections. 2024 pourrait être une année de triomphe pour certains vieux politiciens ukrainiens.

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