Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Réponse rapide à un ami qui s’inquiète de savoir comment l’on peut imposer la solution à deux États à Israël ? Par Danielle Bleitrach

Notez d’abord qu’il n’est pas plus facile d’imposer votre rêve d’une victoire totale de la juste cause palestinienne et d’un seul Etat palestinien, puisque vous partez de l’impossibilité de faire entendre raison et justice à l’impérialisme des Etats-Unis et à son protégé le gouvernement d’extrême droite israélien. La discussion a commencé parce que la position chinoise publiée dans ce blog était jugée trop timorée et il était exigé une adhésion totale à la lutte du Hamas.

D’abord soulignons que dans le conflit israélo-palestinien mais qui en fait implique toute la politique des Etats-Unis au Moyen Orient, le positionnement de la Chine va être déterminant comme il l’est d’ailleurs pour l’Ukraine et pour tous les autres conflits latents ou ouverts dans le monde. C’est en fait la Chine qui est visée par les Etats-Unis, non seulement parce que c’est le principal concurrent mais aussi parce qu’elle est communiste et que cette concurrence est celle qui regroupe le front anti-impérialiste, celui des pays du sud, mais aussi celui des victimes de la politique d’exploitation, de la pression du capital sur le travail et son corollaire la guerre. En novembre, à San Francisco déjà dans la rencontre entre les présidents Joe Biden et Xi Jinping a été conclue une sorte de trêve arbitrée par les entrepreneurs et les forces économiques rassemblées là et qui se sont pressées autour de la Chine qui représente un facteur de stabilité dans la montée des périls et la crise du dollar, les menaces générées par les tensions et la politique monétaire des USA.

Nous n’avons pas le temps de reprendre ici tous les rapports de forces internationaux tels qu’ils apparaissent dans les différents sommets intervenus depuis 6 mois mais vous pouvez constater qu’ils témoignent tous d’une évolution dans laquelle la Chine a les cartes gagnantes en main même si la situation est celle de tensions et d’une aggravation de la situation économique essentiellement comme résultat des politiques des Etats-Unis. La situation a basculé mais les tensions n’en sont pas moins dangereuses.

Les élections à Taiwan ont lieu en janvier, si il y a revendication à l’autonomie, une période de déstabilisation interviendra alors même que les Etats-Unis ne sont pas en état d’assumer un autre front que celui de l’Ukraine et celui de Gaza, les deux pouvant s’étendre à toute la région en Europe et au Moyen Orient (avec déjà le blocage de la mer rouge).

La Chine, elle est en train d’opérer une restructuration économique de grande ampleur en passant de la manufacture à une économie technologiquement avancée sous “blocus” des Etats-Unis, et elle veut éviter la guerre.

Il y a donc trêve mais très superficielle et qui menace d’être rompue à chaque moment. Du côté de l’Ukraine et de l’Europe, la Russie a créé des conditions favorables mais il n’en est pas de même à Gaza. Le gouvernement israélien ressemble à Zelensky assurant qu’il va gagner la guerre, il a même déclaré que d’ici mars le Hamas serait éliminé de Gaza. Mais il ne s’agit pas seulement d’une armée mais d’une population. Ce qui rend l’élimination d’une autre nature que la victoire sur une armée. Et qui déjà dans la situation présente tend non seulement à renverser toute sympathie à l’égard d’israël mais tend à transformer tous les autres conflits en cours et cette fois contre les Etats-Unis.

Malgré ce, Il y a des faucons qui souhaitent l’ouverture d’un front régional attaquant l’Iran. A ce titre, il a beaucoup été question d’un rapport récent de l’écrivain israélien Gadi Taub dans Tablet qui indique qu’Israël va « abandonner sa stratégie défensive et passer à l’offensive ». Cela signifie éliminer le Hezbollah, puis s’engager dans « une lutte multiforme contre l’Iran au sujet de sa volonté d’hégémonie régionale et de son programme d’armes nucléaires ». Cette prise de position serait celle de l’opinion israélienne disent ceux qui voient le pire, ce dont personnellement je doute fortement. C’est tout au plus celle du gouvernement d’extrême-droite israélien parfaitement impopulaire et dont il s’agit de renforcer l’impopularité au lieu de raconter n’importe quoi y compris de jouer la carte de l’antisémitisme. Taub comme “Bibi” considère que la politique de Blinken favorise la pénétration de la région par les protecteurs de l’Iran, les Russes et les Chinois, aux dépens des États-Unis. C’est dans ce contexte comme celui des faucons ukrainiens qu’Israël prétend l’emporter rapidement.

Mais alors que le front européen, et même asiatique se fissure face aux conséquences économiques de ce bellicisme et de la politique de sanctions, qu’en est-il sur celui du Moyen orient ? Apparemment au niveau des manifestations il y a un large soutien du Hamas. En fait il y a un large consensus contre le Hamas mais la pression des foules en particulier arabes oblige à chercher des solutions. En fait face à la crise et aux inquiétudes d’un effondrement la plupart des pays arabes y compris l’Égypte ne veulent pas subir un détournement de même nature que celui par l’EI, al-Qaïda et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). En Europe n’en parlons pas le risque d’une vague de terrorisme islamique retour du boomerang est majoritaire et alimente la montée de l’extrême-droite.

Il en est partout de ce que nous voyons en France, choisir la guerre c’est renforcer l’extrême-droite et affaiblir ce qui est en train de naître.

Il faut partir au contraire de ce qui en train de naître, non seulement une indignation légitime devant le massacre des populations civiles, ce qui se traduit à la fois par le refus du Hamas et une méfiance hostile à l’égard d’Israël qui se reporte de plus en plus sur les Etats-Unis. Ce qui est reproché à Israël et aux Etats-Unis c’est d’avoir mis de côté la résolution de la situation en Palestine et de n’avoir jamais réalisé ce qui était prétendument amorcé par les accords d’Oslo. Quelque chose d’assez semblable à ce que les Etats-Unis ont entretenu en Europe avec l’Ukraine, ou à Taiwan. Donc nait un consensus que reflètent les votes à l’ONU sur la nécessité d’un État palestinien.

Voilà ce que vient de déclarer Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères :

 Rapport du ministre russe des affaires étrangères Sergey Lavrov à la session plénière du Conseil fédéral de la Fédération de Russie :
▪️Les pays occidentaux et Israël sont déterminés à empêcher la création de l’État palestinien et ne souhaitent pas non plus mettre en œuvre les résolutions de l’ONU à cet égard ;
▪️L’absence de l’État palestinien est le principal facteur qui alimente les phénomènes sociaux extrêmes et les risques sécuritaires vécus au Moyen-Orient ;
▪️Lors de ses relations avec Israël et les pays arabes, la Russie souligne toujours qu’il est inacceptable de créer des risques supplémentaires pour la sécurité d’Israël.

Comme le note Lavrov, c’est à l’occident autant qu’à Israël que l’on doit ce blocage de l’Etat palestinien, alors comme nous sommes en France un de ces pays, nous avons un rôle à jouer envers notre propre gouvernement dans la reconnaissance de l’Etat palestinien.

Ce qui donne du poids à cette revendication c’est le danger d’une extension de de conflit à tout le moyen orient. Et si l’on ne veut pas en particulier que les routes de l’énergie soient bloquées avec des conséquences économiques catastrophiques il faut dans une période d’une année résoudre ce problème. Une année parce qu’il y a diverses échéances électorales (Taiwan, et surtout l’élection aux USA) et que les effets de la crise s’aggravent.

La plupart des États, en dehors des Etats-Unis, néanmoins très embarrassés et d’Israël (mais de plus en plus contesté y compris par les israéliens), une part grandissant des Etats (exemple le Brésil et même les pays arabes qui ne veulent pas du Hamas) et des milieux d’affaire s’orientent vers l’idée d’une trêve prolongée entre les USA et la Chine, mais aussi vers un changement radical de la politique israélienne qui n’empêcherait plus que ce crée un espace d’échange politico-commercial de l’Inde à l’Afrique qui rassemblerait les investisseurs arabes, iraniens. Israël doit trouver un moyen de s’intégrer davantage et mieux avec le reste du Moyen-Orient. Israël doit cesser d’être une sorte d’avant-poste européen au Moyen-Orient. Il doit être un pont vers l’Europe et l’Occident au Moyen-Orient. Ce doit être un espace de croissance pour Israël lui-même, pour le Moyen-Orient et pour l’Occident mais cela passe par les deux Etats, cette solution dans laquelle se jouerait la concurrence entre la Russie et la Chine d’un côté et de l’autre des Etats-Unis permettrait de surmonter les menaces qui aujourd’hui pèsent sur l”économie mondiale.

En fait il s’agit de changer un peu en espérant que l’essentiel, la domination impérialiste et le profit capitaliste continuera à gouverner l’ordre du monde mais nous ne sommes plus dans la manière dont en 1991 l’impérialisme a pu reporter sur les pays du sud, y compris sur les ex-pays socialistes sa propre crise avec sa domination militaire et celle du dollar, même s’il est capable d’aller trés loin dans la destruction.

Nous avons donc cette toile de fond qui est celle de l’effondrement lent de l’hégémonie des Etats-Unis, avec une alternative entre la guerre mondiale ou l’acceptation d’un processus dans lequel toutes les contradictions continueraient à s’exercer, ce qui rend impossible une “coexistence pacifique” mais permet comme le tentent les Chinois de créer un rapport des forces qui évite la guerre, la gagne sans avoir à la faire. Cela crée une situation bien différente de celle d’un desespoir dans laquelle les Palestiniens et tous les peuples qui subissent une situation d’injustice intolérable depuis des décennies, la situation n’ayant cessé de s’aggraver depuis la chute de l’URSS, devraient être des victimes.

Encore faut-il voir ce qui est en train de changer à l’échelle planétaire pour mesurer les conditions des rassemblements et quelles perspectives sont les plus susceptibles de faire gagner. Tant qu’il n’y a pas de perspectives politiques … heureusement j’espère que ceux qui vivent des drames humains comme les Cubains, les Gazaouis, les militaires sacrifiés, et y compris les jeunes sauront mieux que nous intervenir, nous à qui il manque encore une organisation…

Danielle Bleitrach

il fait un temps magnifique à Marseille et je vous envoie toutes mes amitiés…
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