Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Grèce(4), de l’esclavage comme l’un des beaux arts…

En 1984, j’étais allée pour la première fois en Grèce. En tant que membre du Comité central du PCF, je servais d’accompagnatrice à Gaston Plissonnier, membre du secrétariat du PCF. C’était l’être le plus attentif aux autres qui se puisse exister, un peu maniaque et très angoissé à l’idée de mal agir. L’internationale communiste, les soviétiques surtout étaient la patrie d’adoption de ce petit bourguignon modeste et héroïque: “Danielle que va penser l’Internationale si je dis ça!” protestait-il quand je voulais révéler ce qu’il me confiait hors écriture: “Gaston, pourquoi écris-tu tes mémoires si tu ne veux rien révéler ?”Mais il suffit bien de décrire la réalité sans chercher des secrets pour rendre justice aux communistes, il y a des choses que nous ne pouvons pas dire, ce sont ceux que nous avons aidés qui doivent les révéler s’ils le désirent” me répondait-il en supprimant d’un trait de plume le paragraphe indiscret. Ce n’est pas à moi à le dire mais à celui que nous avons aidé dans sa lutte, répétait-il..

Un soir, Florakis le secrétaire du parti communiste grec de l’époque nous a retenus Gaston et moi avec le secrétaire du parti communiste vietnamien pour que nous lui fassions un compte-rendu de la rencontre du PCF avec le parti communiste chinois. Florakis était dubitatif. Et il nous a raconté comment lui et les partisans grecs après des années de souffrance, de torture, à deux doigts de prendre Athènes s’étaient arrêtés sur ordre de Staline dont l’on peut penser qu’il ne voyait que la Pologne et la ligne Curzon. Il nous a affirmé que si c’était à refaire, il le referait parce qu’un communiste devait considérer la totalité du champ de bataille et seuls les soviétiques le maitrisaient. Le lendemain, lors du Congrès, Florakis avait renouvelé l’exploit en infléchissant les débats du Congrès à la demande des camarades soviétiques. Ceux-ci pensaient qu’il fallait à n’importe quel pris desserrer l’encerclement de l’OTAN et obtenir sur cette question l’accord ou la neutralité du Pasok, le parti socialiste grec.

Le congrès de 1984 qui avait été conçu sur la base d’un antisocialisme virulent, une dénonciation tout azimut de Papandréou et de sa politique antisociale, avait changé brutalement de tonalité.

Vassili, à qui je rapporte le fait, réfléchit un moment et me dit qu’il était jeune communiste à ce Congrès et qu’il se souvient. D’ailleurs, ajoute-t-il, le parti et Florakis ont fait l’autocritique de cette trop grande soumission au parti communiste d’Union soviétique.

Je souris, Vassili aussi, je pense à cette affirmation qui veut que le parti ait toujours raison, quitte à ce que des infléchissements dans la pratique politique interviennent en préparant une rectification plus tard. En ce moment la lutte contre la livraison d’armes de l’OTAN à l’Ukraine est très forte malgré la thèse des deux impérialismes. Et j’aimerais bien que le PCF ait une action aussi résolue contre l’OTAN même si comme les camarades grecs il dénonce avec vigueur Poutine et ses choix politiques, alors que 70% des Grecs sont eux en faveur des Russes. Sans parler des Grecs qui se trouvent en Ukraine et ailleurs en Europe. D’ailleurs la thèse des deux impérialismes n’est pas défendu avec tant de vigueur, on se contente de rappeler que Poutine a restauré le capitalisme et que personne ne peut lui faire confiance, ce qui n’est pas faux. Sur la Chine c’est autre chose, il y a l’achat du Pirée par des capitalistes chinois, la manière dont ils exploitent les travailleurs. Mais Vassili entend mes arguments sur le socialisme chinois, et sur le fait que leurs capitalistes n’achètent que ce que les nôtres vendent et qu’il faut d’abord lutter contre nos capitalistes qui bradent le patrimoine de notre peuple, et surtout il est ébranlé par les relations privilégiées que les Cubains ont noué avec les Chinois. Le parti l’a envoyé en 1998 aider les Cubains à reconstruire des maisons effondrées par un ouragan. Il est resté plusieurs mois à ce titre aux côtés des travailleurs cubains et il en garde un souvenir ébloui : Cuba c’est le plus haut lieu de l’humanité” me dit-il et il me pardonne de m’aventurer sur le terrain dangereux de la critique du KKE au nom de nos fidélités à la Résistance et à Cuba. Je me le tiens pour dit, et nous échangeons nos vues admiratives sur le peuple, les dirigeants cubains.

Voula son épouse, est belle et sa jeunesse parait éternelle, sa maison construite entièrement par son mari maçon est sur un sommet qui fait face au mont Taygète, un panorama circulaire qui domine vallées et montagne à des kilomètres. Tout est fonctionnel chaque objet est beau parce qu’il est utile… Cette maison est un palais, marbre, bois, grande cheminée, on s’assied sur une marche devant l’âtre. La cuisine de Voula a du goût comme dans la plupart des familles, dans les gargotes touristiques c’est plus rare, le vin de Vassili (une piquette acide) vient de la treille de la terrasse, l’huile d’olive de leur champs proches : tailler les arbres, désherber, cueillir les olives, mettre à macérer est un travail qui occupe Vassili jusqu’à la nuit depuis la retraite, ça et le militantisme… Voula est grande mince, et a pourtant un appétit féroce, elle a autant d’élégance et de prestance que Vassili, mais leurs mains sont des spatules caleuses aux ongles rongés lui par le ciment, le taillage des pierres, elle par l’emballage, le nettoyage, c’est une ouvrière encore en activité. La prolétaire ressemble à Pénélope la reine d’Ithaque, dont Ulysse a sculpté de ses mains le lit en bois d’olivier. Ses enfants ont tous fait des études et ses filles mathématiciennes veulent qu’elle aille chez le coiffeur, elle s’en moque… Elle m’entoure les épaules de ses bras quand je décris “la période spéciale à Cuba, l’absence de savon, de médicaments, le temps perdu à attendre en vain un véhicule et pourtant tout le monde, les enfants propres et soignés, ce sont les femmes qui résistent, qu’il s’agisse d’une grève ou d’un blocus, la lutte ne devient solide qu’avec leur accord… “j’aime la manière dont tu parles de Cuba” me dit-elle… Elle et Joannes, dont je vous parlerai n’ont aucun doute sur le combat du parti. Mais il y a eu durant ce séjour d’autres voix de femmes porteuses de doute…

Mais pour revenir à Gaston Plissonnier, c’était un organisateur né, il avait des qualités de préfet impérial, la classe ouvrière regorgeait de ces capacités, Ambroise Croizat, Marcel Paul, qu’ont-ils de moins que ces bureaucrates qui ont laissé le service public grec, français à l’abandon ? Toutes les Révolutions produisent des compétences qui ne demandaient qu’à éclore, il suffit que le peuple le veuille pour que des générations aptes à affronter les problèmes apparaissent…

A la suite de ce voyage en Grèce, Gaston et moi sommes devenus proches, il a exigé que mon nom paraisse sur ses mémoires “Une vie pour lutter” et que j’en sois la plume. Ce séjour en Grèce, dans les loisirs que laissaient les temps morts du Congrès fut pour lui une initiation à la culture classique, la visite de divers sites, mes explications et ma maîtrise toute relative de l’alphabet grec l’avait convaincu que j’étais un puits de sciences : “Danielle, comme tu es savante! ” Sur le Parthénon alors que je lui désignais la cavité centrale des énormes colonnes dans laquelle on incrustait un joint de cèdre pour enfiler les morceaux les uns dans les autres, il me demanda: “Crois-tu que les esclaves qui charriaient ces pierres avaient le sens du beau?

Oui c’était bien là le problème, qui a le droit de gérer la cité, est-ce comme le dit Platon, celui qui détient le savoir, la philosophie, la raison, au point d’interdire le poète ?

Cette admiration pour la Grèce a été nourrie d’une culture des plus classiques, il ne s’est pas passé un jour de ma vie sans que j’aie lu une centaine de pages au moins et je n’oublie pratiquement rien… j’avais constaté et je le constate toujours que ceux qui ont cette culture là sont en général d’abominables pédants, souvent des bourgeois conformistes, qui y voyaient matière à “distinction”. Cela n’a pas raté, à Sparte sur les ruines du théâtre construit par les Romains, j’ai eu une longue conversation avec un médecin parlant le français, l’italien, l’anglais et qui a été stupéfait de voir une femme, vieille de surcroit qui avait les mêmes références que les siennes… Il était imbuvable, un conservateur convaincu non seulement de l’excellence grecque mais de celle des “doriens”, sa propre ethnie… à l’exclusion de tous les autres. Un mépris universel dont il daignait ne pas me faire sentir le poids puisque je savais l’essentiel des guerres du Péloponnèse et de l’influence de Sparte sur les élèves de Socrate… J’imagine que madame Macron, née Trogneux a les mêmes références, ce qui nous vaut la promotion d’un Stéphane Berne… Tous les ministres de la culture de la Ve République (sauf un certain Michelet) m’ont horripilée. Ces gens-là avaient des citations dignes de l’Almanach Vermot et comme Roselyne Bachelot semblait sortis du salon bourgeois de madame Verdurin. Ils avaient le cœur sec et voulaient des courtisans, quand il ne se conduisaient pas avec les pauvres gens de culture comme le rapace qui menace le rossignol selon le grand Hésiode, des pleutres qui exigent d’avoir une cour qui vote bien pour leur faire l’aumône de subventions :

Misérable, pourquoi cries-tu? Tu appartiens à bien

plus fort que toi. Tu iras où je te mènerai, tout bon chanteur que tu sois,

Et de toi, à mon gré, je ferai mon repas ou te rendrai la liberté.

Bien fou qui résiste à plus fort que soi:

Il n’obtient pas la victoire et à la honte ajoute

la souffrance” (vers 205-210)

Hésiode dénonce les despotes, le roi qui opprime le poète, mais il ne se fait pas d’illusion, l’injustice est totale, elle règne même dans les cieux, le seul qui aura pitié des humains, le seul saint que reconnaissait Marx, le Titan Prométhée a voulu adoucir le sort des mortels en leur donnant le feu pour qu’ils aient moins froid, moins peur, et Zeus impitoyable l’a enchaîné envoyant son aigle chaque jour lui dévorer le foie dans d’indicibles souffrances.

Dans sa théogonie, l’ancêtre de toute la poésie, Hésiode nous a décrit la naissance des dieux, quand aux clans succèdent les rois, l’animisme, le totémisme avec le dieu animal, mais dans son autre ouvrage dont est extraite cette fable du rossignol et du faucon comme le mythe de Prométhée, “les travaux et les jours”, il donne aussi une description des travaux agricoles sur les terres arides de son pays natal et c’est un calendrier précis de l’année d’un agriculteur en incluant des conseils : outils, soins des animaux, travaux des champs. Un chapitre décrit la rigueur de l’hiver dans les montagnes de Grèce. Il termine le récit en prédisant qu’à la fin, l’homme de la justice devient riche, tandis que celui de la démesure perdra tout. Hésiode est le prophète de la race de fer, qu’il fait succéder à la race des Héros mythologiques, ce monde de rois et de chèvres sur du marbre dans les fissures duquel il pousse des clématites.

Il est un usage de la culture qui va avec celui de la démocratie, de l’art et la manière de s’approprier la démocratie athénienne pour tyranniser le monde. C’était de ce vol-là dont s’était plaint justement Peter, en dénonçant la manière dont les capitalistes faisaient du principe d’égalité devant la loi le prototype qui justifiait la mise à genoux du peuple grec et leur imbécile esprit de supériorité. Avec son dernier avatar, le contrôle financier par le monopole du dollar, ce qui permet la soumission géopolitique, l’étranglement d’un peuple.

La Grèce est comme toute l’Europe, groggy, mise à genoux, gorgée de trahison, la gauche désagrégée, celle qui se voulait à “visage humain” l’a conduite à l’inhumanité sous couvert de démocratie et une fois de plus livré les pauvres, les faibles au sadisme des puissants. Cet étranglement du rossignol par le faucon n’est pas si éloigné de ce que dans leurs manifestations certains écrivent sur un drap :

Avec une augmentation de 24 € d’allocations – pour ceux qui les reçoivent – et une augmentation de 55 € pour certaines personnes très gravement handicapées ne voteront pas pour vous. Bien plus, nous n’accepterons pas de devenir votre “maquillage”, votre “peinture” pour vendre votre “sensibilité sociale” aux gens qui par vous ont été pillés comme nous l’avons été toutes ces années.

Pour revenir à la “culture”, à la Grèce, il y a eu dans ma vie une sorte de miracle, mon amour pour la culture classique a rencontré avec les communistes l’anticonformisme, la Révolution, grâce à la lutte des classes.

Pourtant quand tout au long de mon séjour j’ai tenté à travers les traductions de Maria de dire à mes amis du KKE mon émotion à retrouver Hésiode et toute cette Grèce mythique, ils m’ont regardée avec étonnement. Ils se demandaient peut-être quelle mouche me piquait. Mais en confiance, puisque j’étais communiste, amie de Cuba, ils m’ont chargé les bras de leur industrie familiale, les confitures, les herbes séchées, l’origan, le thé des montagnes, cette cuisine simple et savante, ils l’ont préparée pour moi, il y a des choses qui ne se disent pas, elles se sentent et il suffit de s’enlacer pour se comprendre entre combattants.

De la fable je suis passée à la recherche de la vérité… Je vais tenter de vous expliquer… En matière d’histoire ce qui vous attire d’abord ce sont les énigmes, les fables, les légendes …

A Tripi, le petit Moscou de la Laconie, il y a un lieu mystérieux, un gouffre, de ceux où l’on peut se réciter ce texte de J.P. Vernant :

Sur la gauche, tu trouveras dans le palais d’Hadès, une source

A côté d’elle, s’élève un cyprès blanc,

Tâche de ne pas t’approcher de cette source.

Tu en trouveras une autre, dont l’eau fraîche

S’écoule du lac de la Mémoire. Des gardes veillent sur elle.

Dire : “je suis l’enfant de la Terre et du ciel étoilé.

Je fais partie, vous le savez, d’une lignée céleste

J’ai grand soif, j’en meurs: donnez-moi vite

L’eau fraiche qui s’écoule du Lac de la Mémoire

Et d’eux-mêmes ils te donneront à boire de la source sainte.

Et, après cela, parmi les autres héros tu seras le maitre.

montée au Keadas

Le village de Tripi est accroché au flanc du mont Taygète, les maisons, la route, les cultures en espalier tout parait suspendu pour mieux contempler la vallée de Sparte et une autre chaine en face qui ouvre et barre l’horizon, celle au sommet de laquelle Vassili a construit sa maison.

Quand on sort du hameau, au nord, poursuivi par les chiens qui aboient et se ruent sur vous pour réclamer une caresse, on se retrouve devant un escalier en pierre aux marches sans fin au milieu des orangers et des cédrats, ces citrons monstrueux à la pulpe précieuse. Tous les jours, d’heure en heure, deux ou trois voitures s’arrêtent, des occupants en descendent et entament l’escalade du rocher en empruntant l’escalier. Maria que j’interroge se moque: “Il n’y a rien à voir!” Rien, si ce n’est un trou très profond, duquel on sent monter une bise glacée, un souffle très puissant qui dit la profondeur du gouffre et la présence d’Hadès le dieu des enfers. De ce lieu, la légende qui travestit l’histoire a fait l’endroit maudit où les Spartiates jetaient leurs enfants mal formés dès leur naissance. En fait, récemment des spéléologues ont plongé avec leur équipement dans ce puits d’eau profonde ouvert par quelques séismes et en ont exploré la cavité. Ils n’ont pas trouvé de squelettes d’enfants mais ceux d’hommes adultes, une centaine. Qui étaient-ils? Des prisonniers de guerre? Des condamnés ? On l’ignore! Il n’empêche que l’on continue à dire de ceux qui ne valent rien qu’ils sont bons pour le Keadas, et cette fente de la montagne attire les touristes. Ils viennent là, escaladent les marches et se penchent sur le trou sombre pour sentir le souffle de l’enfer. Des entrailles de la montagne couverte d’arbres ployant sous les oranges et de fleurs méditerranéenne monte comme à Delphe, à la source du Styx, les peurs ancestrales que l’être humain prend pour de la mémoire. “Il n’y a rien à voir me dit Maria et alors qu’un motard nous demande où se trouve le Kéadas, là où les Spartiates sacrifiaient leurs propres enfants, elle a un geste vers le nord: “C’est par là, mais il n’y a rien à voir si ce n’est un souffle glacé et un trou noir”…

gouffre du Keadas

Être communiste et se référer à l’histoire c’est en dénoncer les mythes mais aussi leur donner un sens encore plus riche, plus fort ceux de l’épopée de l’humanité, pour cela il faut refuser de s’abreuver à certaines sources de la mémoire, reprendre le flambeau de Prométhée pour dénoncer ceux qui trompent les faibles, les innocents, et venir déployer ce drap sur lequel on a écrit: “Nous ne voterons pas pour vous!” En espérant être entendu… Par-delà la propagande qui fait de vous des criminels comparables aux nazis qui ont été vos bourreaux” On prend toujours parti mais en espérant que la vérité finit toujours par être révolutionnaire et elle l’est souvent du moins sur des temps longs …

Il y a eu heureusement pour moi d’autres modes de connaissance pour étancher ma soif de fables et me donner envie de comprendre. La découverte de l’histoire de l’Antiquité sous la direction de V. Diakov et S. Kovalev, aux éditions en langue étrangères de Moscou fut une véritable révélation. Une initiation à un chef d’œuvre les textes de F. Engels : l’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, publiés en 1884, Marx venait de mourir mais il avait laissé à son ami et collaborateur le soin de reprendre les travaux de Morgan. Les chapitres IV et V sont consacrés à la démocratie athénienne et offrent une perspective novatrice sur l’histoire de la Grèce, le caractère esclavagiste de la société. Les questions économiques, mais aussi les luttes sociales et les rapports de classes sont au centre de la compréhension du passé.

Le communisme n’a pas été seulement un parti politique, il a été une civilisation, un choix de vie aux multiples facettes que mon adolescence a eu le privilège de trouver à sa porte avec les vendeurs de l’Humanité dimanche, des enseignants, des héros. Il n’y avait alors aucun fossé infranchissable entre la démocratie que face au nazisme, le parti communiste grec faisait partir de la base et cette compréhension savante de l’histoire et de la culture grecque. Oui la Grèce fut esclavagiste et à la question de Gaston : les esclaves ployant sous la charge avaient-ils le sens du beau ? je pouvais répondre par le constat de Marx dans la Contribution à la critique de l’économie politique, qui tout en analysant le mode de production esclavagiste en appréciait les mérites en matière de civilisation: “Mais la difficulté n’est pas de comprendre que l’art grec et l’épopée sont liés à certaines formes du développement social. La difficulté réside dans le fait qu’ils nous procurent encore une jouissance esthétique et qu’ils ont encore pour nous, à certains égards, la valeur de normes et de modèles inaccessibles“.

Modèles inaccessibles? Oui mais parfois on sait que ce n’est pas un simple rêve… d’autre fois au contraire…

J’ai quitté la Grèce le 24 avril, la veille le dimanche 23 avril, la Vouli le parlement grec avait été dissous pour un mois, d’ici au premier tour du scrutin prévu pour le 21 mai. Je crois que les lecteurs auront compris à travers mes reportages que ces élections interviennent dans un contexte de dix ans de crise économique qui s’est encore aggravée avec le Covid, le ralentissement du tourisme et l’inflation ici galopante. En Laconie il n’y avait pas encore d’affiches, pas d’ambiance de meeting, mais à Athènes c’était un peu différent. Il s’agit de savoir qui succédera au premier ministre conservateur Kyriakos Mitsotakis à la tête du pays, l’atmosphère on l’aura compris était morose.  

En Grèce, en 2022, l’inflation annuelle a atteint une moyenne de 9,3%, selon les données d’Eurostat. Une moyenne propulsée en particulier par la flambée des prix de l’énergie. Entre 2021 et 2022, le coût moyen de l’électricité y a ainsi augmenté de 141%, selon l’Institut de l’énergie de l’Europe du Sud-Est. Cette poussée des prix frappe un pays, la Grèce, déjà durement éprouvé par une décennie de crise économique, associée à une politique d’austérité qui a fait fondre les salaires, et les retraites, réduites à plus de dix reprises.

Le choix il y en pas si on croit les sondages, les seuls qualifiés pour accéder au pouvoir sont les mêmes, d’un côté Kyriakos Mitsotakis, le premier ministre libéral au pouvoir depuis 2019, de l’autre Tsipras dont chacun sait à quel point il s’est effondré devant les exigences des créanciers de la Grèce, la Grèce est sous dictature, elle est financière comme la France. Tsipras avait suscité des espoirs il y a 8 ans et ce fut la déception, ce qu’il a parfaitement réussi c’est à prendre la moitié de ses voix au parti communiste et si certains disent vouloir revoter communiste, il est à craindre que les déçus retrouvent le chemin de l’abstention. L’inefficacité de l’État et le délabrement des services publics se sont ainsi imposés comme des thèmes de campagne à la suite du terrible accident de chemin de fer qui a couté la vie à 70 personnes dont une majorité de jeunes. Il y a quelques jours, Kyriakos Mitsotakis indiquaient ainsi comme priorité le soutien au secteur fragilisé de la santé publique et la hausse des salaires, qui avaient fondu en raison des politiques d’austérité, au moment de la crise. Alexis Tsipras, son adversaire, compte lui notamment faire campagne sur le thème de l’inflation, en proposant des baisses de taxes et d’avantages d’aides publiques pour les foyers les plus modestes. 

Bien que les conservateurs disposent de plusieurs points d’avance dans les sondages [les dernières études indiquent entre 3 et 7 points d’avance] les observateurs estiment pourtant qu’il faudra certainement une coalition pour diriger le pays à l’issue de ce scrutin. D’abord, faute de majorité absolue, un second tour devrait être nécessaire. Selon toute probabilité, celui-ci devrait avoir lieu au mois de juillet. Du score des communistes il n’est même pas question dans ce genre de pronostic puisqu’ils seront écartés par le système.

À l’issue de ce deuxième scrutin – sauf grosse surprise – le relatif équilibre des forces entre Nouvelle Démocratie et Syriza devrait conférer un poids très important à la troisième force politique du pays, à savoir le Pasok, les socialistes grecs. Complètement déconsidérés les socialistes presque autant que les nôtres et pour des raisons assez comparables, ils seront néanmoins les faiseurs de majorité. Car tout indique en effet qu’il faudra alors une coalition pour obtenir une majorité absolue au Parlement. À l’heure actuelle, la question récurrente dans les débats politiques en Grèce, consiste donc à se demander avec lequel des deux partis, celui de droite ou celui de gauche, le Pasok pourrait décider de s’allier. On mesure à quel point comme dans le reste de l’Europe ces manipulations sont exaltantes alors que la vie devient de plus en plus difficile.

Les seuls dont chacun reconnait qu’ils ne mentent pas ce sont les communistes. Je me demande si les communistes français bénéficient encore d’un tel atout? … La question que posent certains, des femmes en particulier est : à quoi sert de voter communiste puisqu’ils ne participeront à aucune coalition? Ils ne veulent pas le pouvoir… ça c’est le propos de Marie Helena, Thalia la gouvernante de Peter, se contentait elle d’affirmer que les Grecs étaient trop bêtes, et une autre amie qu’ils espéraient en respectant les principes du clientélisme y gagner un petit quelque chose, une aumône… Avec les communistes il n’y avait que des coups à prendre… Les patrons ne voulaient pas les employer…

Non a répondu Maria à Marie Helena : Ne dis pas que les communistes ne veulent pas le pouvoir, dis que tu ne veux pas leur donner le pouvoir parce que tu t’es laissée convaincre que seuls les bourgeois avaient le droit d’exercer sur toi leur dictature, quitte à ce qu’il y ait celle de la loi et celle encore plus impitoyable de la finance, mais celle-là tu l’ignores, tu crains simplement la vengeance des pauvres parce qu’on t’a raconté peut-être qu’ils mangeaient les petits enfants… pourtant tu devrais réfléchir au sens de ton vote, contre qui de fait il sera dirigé, contre ces jeunes, ces pauvres gens qui n’arrivent plus à subsister, à se soigner, qu’est-ce qu’ils t’ont fait pour que tu les sacrifies systématiquement parce que c’est cette démission de ton droit de citoyen que tu crois être de la politique ?

Moi j’ai eu envie d’interpeller Marie Helena qui était celle qui dans le fond me ressemblait le plus : tu es une intellectuelle, tu crois avoir encore le choix mais le jour où il n’y aura plus dans ton pays de parti communiste ou il sera dans l’état du mien, tu verras à quel point ta liberté de pensée se raréfie, ça tu ne peux pas encore l’imaginer mais je t’assure que c’est terrible… Une pensée officielle à laquelle on n’ose plus s’opposer… tous ces gens qui te récitent la messe, leur messe et qui croient si tu tentes de mettre en cause leurs “certitudes” que tu es une fanatique, amie des tyrans…

Danielle Bleitrach

PS. C’est d’ailleurs toute l’Europe qui est dans le même potage… Berlin pour la première fois depuis des années a perdu son maire social démocrate au profit d’un conservateur qui doit s’allier aux dits sociaux démocrates… A la marge, nombre de gens ne s’y reconnaissent plus, il y a des grèves inusitées, mais aussi des pacifistes déterminés qui viennent chanter des chants soviétiques comme ici devant la porte de Brandebourg. Nous n’en sommes qu’au début mais l’affrontement si cela se poursuit devrait de plus en plus reposer sur les luttes sociales, et dénoncer la guerre, le capitalisme… sans qu’il existe une expression politique adaptée à ces conflits de classe…

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