Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Face aux Russes, l’Occident renforce son unité mais le fossé avec le reste du monde s’accroît, par Susi Dennison(1)


Une analyse qui parait pertinente dans un temps t1, celui d’une année après l’intervention russe, elle tient compte non seulement des positions des États mais celle de l’opinion publique pour établir une expertise auprès du Conseil de l’Europe. Ce rapport correspond à d’autres enquêtes qui montrent que le “consensus occidental” en France, concerne plutôt les personnes âgées et aisées et que les jeunes et milieux populaires seraient plutôt proches du reste de la planète, un noyau stable mais dans un contexte de mécontentement face aux problèmes internes et donc aux effets de la guerre. De surcroit, il semble nécessaire en ce qui concerne l’Europe de souligner de fortes disparités régionales au sein même des pays, ce qui est particulièrement exact dans les ex-pays socialistes. En outre, vu l’évolution rapide (en un an) des opinions concernant de fait l’état du monde et la domination occidentale, nous sommes devant un processus qui risque de déboucher assez rapidement sur des évolutions considérables. (note et commentaires de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Un an après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, une réorganisation fondamentale de l’ordre international est en cours. L’Occident, uni pour la première fois depuis des années, a redécouvert sa raison d’être, dit l’analyse de Susi Dennison, elle ajoute que “Parallèlement, on assiste à une compétition croissante entre les puissances émergentes pour le leadership géopolitique.” On pourrait également noter que la position de la Chine concernant un monde multipolaire dans lequel les souverainetés de tous seraient respectées et les conflits régionaux traités par la négociation est en train de devenir le nouveau consensus, soutenu en particulier par les puissances émergentes. J’ajouterais que l’unité de l’occident n’a rien d’évident et repose sur une conception entretenue de la forteresse assiégée dans laquelle des “régimes hostiles”, véritables défis civilisationnels sont le prétexte à unité de façade qui crée à l’intérieur des vaincus face aux sanctions et efforts de guerre comme on le voit aujourd’hui en Europe. L’unité est celle de la peur et le théâtre paranoïaque d’une propagande désormais devenu un grand classique, celle de l’hostilité face au méchant appartenant à une civilisation du mal qui en veut à la liberté et à nos valeurs démocratiques.

Mais voyons la suite de la démonstration qui fait état de multiples enquêtes d’opinion autant que des positions des dirigeants, des “élites” des pays concernés :

En Europe, alors que de nouvelles offensives se profilent, le conflit suscite des inquiétudes quant à la capacité du continent à se défendre et à l’ampleur du soutien à l’effort de guerre ukrainien. Le conflit a également mis en évidence la difficulté à se passer à long terme des énergies russes dont l’UE dépend depuis longtemps. Tous ces éléments ont impacté les prises de position nationales ou européennes sur le conflit. Ils ont donné lieu à des désaccords ouverts ou en coulisse, comme en ont témoigné les atermoiements relatifs à la fourniture de chars Leopard à l’Ukraine, ou encore les réticences hongroises à appliquer les sanctions contre la Russie.

Malgré ces divisions politiques, l’opinion publique reste ferme dans son soutien à l’Ukraine. Une nouvelle enquête réalisée dans 10 pays européens, ainsi qu’en Inde, en Turquie, en Chine et en Russie, publiée cette semaine par le Conseil européen pour les relations internationales (ECFR) révèle que, malgré les défis de l’année écoulée, les Européens restent unis dans ce soutien et dans leur volonté de voir la Russie perdre la guerre.

L’enquête de l’ECFR montre que la majorité des habitants interrogés, dans les neuf pays de l’UE où cette enquête a été menée, soutiennent l’embargo sur l’énergie russe, malgré le préjudice réel que cela cause à certaines économies nationales. Un an après le début du conflit, plus des deux tiers des personnes interrogées dans l’UE (et les trois quarts en Grande-Bretagne) considèrent la Russie comme un « adversaire » ou un « rival » de leur pays, ce qui les place au même niveau que les États-Unis, où 71 % des personnes interrogées sont du même avis.

Mais si le conflit a favorisé l’unité de l’Occident et de l’Europe, il a également mis en évidence un fossé entre l’Occident et les autres nations. En témoignent les différences de perception de la Russie, ou encore de la façon dont le conflit doit prendre fin :

En Europe et aux États-Unis, l’opinion dominante considère que l’Ukraine doit regagner tout son territoire, même si cela implique une guerre plus longue. C’est le contraire en Chine, en Turquie et en Inde, où la plupart des personnes interrogées préféreraient que la guerre prenne fin le plus vite possible, même si cela implique que l’Ukraine cède des territoires à la Russie.


La réputation de la Russie, près d’un an après le début de « l’opération spéciale » menée par le Kremlin et qui était censée durer trois jours, varie également énormément, montre l’enquête de l’ECFR. Les trois quarts des personnes interrogées en Chine (76 %), en Inde (77 %) et en Turquie (73 %) considèrent aujourd’hui la Russie comme plus forte, ou aussi forte, qu’il y a un an. Dans certains cas, l’opinion selon laquelle la Russie est un « allié » ou un « partenaire » mondial de leur pays est astronomique – Inde (80 %), Chine (79 %), Turquie (69 %) – un contraste frappant avec les réponses de l’UE-9 et du reste de l’Occident, où la Russie est non seulement considérée comme fondamentalement plus faible, mais décrite comme « agressive » et « indigne de confiance ».

Cependant, le clivage le plus prononcé se révèle peut-être dans la façon dont les citoyens perçoivent l’état du monde et le futur ordre mondial. En Occident, l’héritage de la guerre froide perdure et façonne l’opinion publique. Il existe une forte conviction que nous entrons dans un monde bipolaire, dirigé par les États-Unis et la Chine. Mais ailleurs, et en particulier dans les puissances émergentes, comme l’Inde ou la Turquie, cette opinion n’est pas aussi répandue. Dans ces deux nations, les personnes interrogées voient leur pays comme un acteur dont le rôle est de plus en plus important sur la scène internationale et pressentent le développement d’un ordre mondial multipolaire, qui sera partagé entre de nombreux centres de pouvoir. Dans un tel scénario, l’Occident serait un pôle parmi d’autres et ne serait plus le leader de la démocratie mondiale en charge de définir l’ordre international.

Cela placerait l’Europe, et l’alliance occidentale au sens large, dans une position sans précédent. L’Ouest cesserait d’incarner la défense d’un ordre fondé sur des règles, pour devenir une puissance en déclin.

Les dirigeants européens et occidentaux feraient donc bien de prendre la mesure des ambitions des puissances concurrentes. Celles-ci peuvent diverger dans leur positionnement vis-à-vis de la guerre, mais aussi souscrire aux mérites d’un ordre international fondé sur des règles. En faisant preuve d’un peu d’humilité, notamment dans ses relations avec des pays hésitant entre démocratie et autoritarisme, comme l’Inde et la Turquie, l’Europe n’a pas besoin d’abandonner ses valeurs. Au contraire, elle pourrait défendre celles-ci dans le cadre d’une nouvelle coalition de puissances partageant des valeurs. Cela nécessitera un exercice d’équilibre diplomatique : il s’agit de convaincre les pouvoirs émergents de se rallier à des résolutions clés, tout en tenant compte des intérêts de ces nations et de leur opinion publique nationale. Les mois à venir permettront de déterminer si les dirigeants européens sont prêts à relever ce défi et s’ils peuvent renforcer la position de l’Europe dans un monde post-occidental de plus en plus divisé.

(1) Susi Dennison est chercheuse principale au Conseil européen des relations étrangères. Ses sujets d’intérêt comprennent la stratégie, la politique et la cohésion dans la politique étrangère européenne; le climat et l’énergie, les migrations et la boîte à outils pour l’Europe en tant qu’acteur mondial.

À l’ECFR, Dennison agit en tant que chef de cabinet du directeur et dirige le programme European Power ainsi que le processus de croissance et de transformation organisationnelle. Elle travaille à l’ECFR depuis 2010 dans divers rôles, notamment le développement du travail de l’ECFR avec les données d’opinion publique sur la politique étrangère, la direction du projet de tableau de bord de la politique étrangère de l’ECFR pendant cinq ans, le travail sur l’Afrique du Nord dans les premières années du programme MENA et l’exploration de la manière dont l’UE peut poursuivre une politique étrangère fondée sur des valeurs qui soutient les droits de l’homme et la démocratie dans un monde contesté. Avant de rejoindre l’ECFR, Dennison a travaillé pour Amnesty International et HM Treasury au Royaume-Uni.

Print Friendly, PDF & Email

Vues : 195

Suite de l'article

3 Commentaires

  • Philippe, le belge
    Philippe, le belge

    Un an après le début du conflit, plus des deux tiers des personnes interrogées dans l’UE (et les trois quarts en Grande-Bretagne) considèrent la Russie comme un « adversaire » ou un « rival » de leur pays, ce qui les place au même niveau que les États-Unis, où 71 % des personnes interrogées sont du même avis.”

    Ce que ne dit pas cette analyse, c’est que ces pourcentages sont obtenus aussi après un an de propagande médiatique ininterrompue et à sens unique et qu’après ça, malgré tout, un quart à près d’un tiers de la population occidentale n’y crois toujours pas! C’est presque exceptionnel!

    Répondre
    • admin5319
      admin5319

      tout à fait d’accord après pareil pilonnage on ne doit pas s’étonner…
      J’en profite pour vous faire part de ma réponse sur face book à un gentil camarade qui me dit que j date des années soixante et que la Russie de Poutine ce n’est pas l’URSS… il est vraiment très courtois…

      cher camarade tu me crois aussi inculte que toi, mais rassurees toi je ne prends pas Poutine pour un dirigeant communiste mais
      1) je trouve extraordinaire que les communistes français qui depuis trente ans font porter tous leurs coups contre l’URSS découvrent enfin qu’il y a une légère différence entre l’URSS et la Russie quand il n’y a plus ni Lénine, ni même staline.
      2) néanmoins je trouve un peu léger que les mêmes camarades feignent d’ignorer que dans la Russie de Poutine, le principal parti d’opposition est le KPRF alors que dans leur chère ukraine les communistes sont pourchassés et tués, avec quelques autres partis par des gens qui se réclament du vertueux Bandera (un sympathisant communiste sans doute à tes yeux) et que jamais on ait dans l’humanité ou dans les congrès du PCF la moindre allusion à la position du KPRF.
      3) enfin je trouve étonnant que dans sa dernière proclamation le PCF propose de réunir toutes les Brics y compris ce fasciste de l’Inde et exclue la Chine qui est dirigée par un parti communiste et est le seul pays à avoir fait despropositions contraires… cher camarade je pense que tu devrais un peu plus te mettre au goût du jour et pas à des stéréotypes qui datent du temps où les Etats-Unis étaient les grands vainqueurs de la guerre froide.
      4) j’ajouterai si ne régnait pas dans l’humanité, dans la presse communiste la plus impitoyable des censures, les arguments et les FAITS contradictoires présentés dans histoire et societe permettraient un débat de congrès plus riche et plus démocratiqes.
      il s’agit là de simples remarques de bon sens et j’ai bien d’autres arguments pour conseiller aux camarades de sortir de leur coquille et de s’intéresser au vaste monde.

      Répondre
  • Olivier Montulet
    Olivier Montulet

    Encore un auteur occidental qui reste enfermé dans la carricature arrogante, simpliste, manichéenne, impérialiste, raciste et ridicule :nous, les bons, sommes dans des démocrates les autres sous régimes autoritaires.
    Pénible !

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.