Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Derrière le financement de la guerre, la lutte pour conserver l’hégémonie du dollar, ce qui n’a rien d’évident.

Mais comment font-ils pour trouver autant d’argent ??? 3 à 4 fois plus que la Chine ! 10 fois plus que la Fédération de Russie ! Autant que la somme des budgets militaires des 10 pays classés à leur suite !! C’est simple, la guerre rapporte à l’empire, tant qu’il peut en conserver le trône. Les milliards supplémentaires prévus par l’amendement Reed/Inhofe et les milliards d’aide militaire et non-militaire (qui s’appelle comment ? humanitaire ? heuf heuf) ne sont en fait qu’un investissement qui pâlit devant les montants espérés en retour. Contrôle du dollar (1, 02 Euros aujourd’hui), 260 milliards de commandes d’armement par les pays de la sphère occidentale depuis le début de l’année, 200 millions de bénéfices par méthanier remplaçant les pipelines russo-européens, fuite des capitaux loin du théâtre de la guerre à venir plus les petits profits ici et là (voir la question agraire et les céréales ukrainiennes), c’est un investissement qui se comprend, nous dit Jean-Luc Picker qui a traduit l’article, oui mais justement derrière la guerre en Ukraine dont l’occident voulait faire la question centrale du G20, il y avait d’autres enjeux que nous analysons dans d’autres articles de ce jour (note de J.LPicker et Danielle Bleitrach et traduction de Jean-Luc Picker)

Jean-Luc Picker ajoute : “Pour mémoire, Biden a proposé 847 milliards US$ pour la partie du budget (dite discrétionnaire) qui sera allouée au pentagone. Les sénateurs des deux parties ne s’en satisfont pas. Ils veulent encore en rajouter. Comme indiqué dans cet article, la part réelle des dépenses militaires états-unienne pour maintenir leur statut d’hégémon dépasse déjà le trillion de dollars en réalité : on doit y ajouter tous les financements de guerres par procuration (israël, afrique…), les vétérans, le soutien aux régimes imposés par les US pour diverses raisons, l’espionnage etc…. financements qui passent par d’autres départements. Mais un investissement dans ce business, encore plus que dans les autres, c’est aussi un risque. A la taille des montants annoncés. Toutes voiles dehors pour les profiteurs de guerre ! L’amendement bipartisan préparé par les sénateurs Reed et Inhofe veut invoquer des pouvoirs de guerre exceptionnels pour justifier des dépenses d’armement qui offriront aux marchands d’armes des profits non moins exceptionnels.” Derrière ces dépenses folles pour entretenir la guerre en Ukraine mais aussi sur tous les continents, il faut bien mesurer que se joue une autre “guerre” conduite par la Chine et qui s’appuie à la fois sur le refus des peuples des conséquences de cette politique qui génère guerre, gaspillage, destruction, inflation, mais aussi sur le fait que les “alliés” des USA en sont les victimes aussi. C’est une partie peut-être encore plus “tendue” que la guerre en Ukraine mais qui en explique les raisons. (note de Jean-Luc Picker et Danielle Bleitrach)

illustration : Lancement d’un missile par un ATACMS (domaine public, Wikimedia Commons)

Republié dans Consortium News (à partir de Common Dreams) le 15 novembre 2022 par Medea Benjamin et Nicolas J.S. Davies

Jack Reed (dém, Rhodes Island) et Jim Inhofe (rép, Oklahoma) sont les deux puissants sénateurs à la tête du Comité des Forces Armées (CFA) du sénat états-unien. Leur dernier amendement, en cours de finalisation par le congrès, propose d’invoquer les pouvoirs de guerre exceptionnels pour permettre au Pentagone d’accroître encore ses stocks d’armes.

Ils proposent d’amender le budget de la défense pour 2013 qui sera adopté durant la session parlementaire de fin d’année. Il a déjà été approuvé par le CFA à la mi-octobre et s’il est approuvé, il permettra au ministère de la défense de conclure des contrats non-compétitifs à long terme avec les fabricants d’armes qui produisent pour la guerre en Ukraine. En principe, cet amendement est supposé répondre aux besoins créés par l’amenuisement des stocks dû aux envois massifs en direction du front ukrainien. Mais une étude plus détaillée de la liste des courses montre que ce n’est là qu’un mauvais prétexte : les quantités demandées sont considérablement supérieures à ce qui a réellement été envoyé.

A titre de comparaison :

  • Les systèmes HIMARS de Lockheed Martin sont indéniablement les équipements les plus sophistiqués expédiés en Ukraine par l’armée US. Ce sont les mêmes équipements que les marines US ont utilisé pour prendre Mossoul, la seconde ville iraquienne en importance, et la réduire en gravats ([i]). Les Etats-Unis ont envoyé 38 HIMARS en Ukraine. Les sénateurs Reed et Inhofe prévoient d’en ‘réapprovisionner’ 700, plus 10.000 roquettes, pour un coût de près de 4 milliards US$.
  • Les M777 Howitzer 155 mm qui ont été livrés à l’Ukraine sont au nombre de 142. Les sénateurs prévoient d’en commander 1.000 à BAE Systems pour un montant de 3.7 milliards US$.
  • Les lanceurs HIMARS peuvent aussi tirer des MGM-140 ATACMS, missiles longue portée Lockheed Martin (jusqu’à 285 km). Les Etats-Unis ont pour l’instant refusé d’envoyer ces missiles en Ukraine. Au total, les USA n’en ont utilisé que 560, principalement en Iraq en 2003. Les missiles de plus longue portée encore appelés ‘Missiles de Frappes de Précision’, interdits par le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire dont les USA se sont retirés sous la présidence de Donald Trump sont supposés commencer à remplacer les ATACMS en 2023. Malgré cela, l’amendement prévoit d’en acquérir 6000, 10 fois plus que ce que l’armée à jamais utilisé, pour un coût de 600 millions US$
  • Le congrès a déjà dépensé 340 millions US$ pour acheter 2.800 Stinger (des missiles anti-aériens produits par Raytheon) en remplacement des 1.400 envoyés en Ukraine. Reed et Inhofe veulent en acheter 20.000, soit 14 fois plus que les stocks restants, ce qui coûtera 2.4 milliards US$
  • Les USA ont aussi livré à l’Ukraine deux systèmes Harpoon de missiles contre les navires, dans ce qui a été largement considéré comme une provocation majeure. L’amendement, lui, prévoit de commander à Boeing 1.000  Harpoon missiles (1.4 milliards US$). Il projette aussi de commander à Kongsberg (ndt : un fabricant norvégien), pour 1.8 milliards US$, 800 Missiles de Frappe Navale qui doivent remplacer les Harpoons dans les plans du Pentagone
  • Le système de défense aérien Patriot n’a pas non plus été envoyé en Ukraine, car chaque système coûte environ 1 milliard US$ et il faut plus d’une année pour former les techniciens chargés de l’utiliser et de l’entretir. Qu’à cela ne tienne, Reed et Inhofe ont mis sur leur liste 10.000 missiles Patriot, plus les lanceurs, ce qui ajoute pas loin de 30 milliards US$ au ticket de caisse.

ATACMS, Harpoons, Stingers sont tous en voie d’obsolescence dans les programmes du Pentagone. Alors pourquoi dépenser de milliards à en acquérir de nouveaux ? Quel est le but réel de cet amendement ? S’agit-il d’un flagrant exemple de comment le complexe militaro-industrialo-congressiste s’engraisse grâce à la guerre ? Ou bien, les Etats-Unis sont-ils en train de préparer une guerre de terrain massive contre la Russie ?

Nous pensons en fait que ces deux raisons coexistent derrière l’initiative du Congrès.

En étudiant la liste des armements proposés, Mark Cancian, Colonel de la Marine à la retraite et analyste militaire, juge que « il ne s’agit pas ici de remplacer ce que nous avons offert [à l’Ukraine]. Cela ressemble plutôt à la constitution de stocks en vue d’une guerre de terrain d’ampleur [contre la Russie] à venir. Cette liste n’est pas adaptée à un affrontement avec la Chine. Pour la Chine, nous aurions une liste vraiment différente » .

Le président Joe Biden a dit et répété qu’il n’enverrait pas les troupes combattre la Russie car cela équivaudrait à déclencher la 3ème guerre mondiale. Mais, plus la guerre dure, plus le risque d’escalade incontrôlée est grand et plus il devient clair que les forces états-uniennes sont directement impliquées : aide à la planification des opérations ukrainiennes, provision de renseignements acquis par satelliteCyberguerre et opérations secrètes en Ukraine des forces spéciales et des paramilitaires de la CIA. Aujourd’hui, la Russie accuse les forces spéciales britanniques d’avoir joué un rôle direct dans le sabotage des pipelines du Nord Stream.

En contradiction avec les promesses non tenues de Biden, l’implication croissante des Etats-Unis dans la guerre oblige le Pentagone à préparer l’éventualité d’une guerre totale avec la Russie. Si ces plans devaient être mis à exécution, et s’ils ne débouchent pas immédiatement sur un conflit nucléaire qui anéantirait la planète, il faudra d’immenses quantités d’armes adaptées pour qu’ils soient couronnés de succès. C’est là la signification des stocks que Reed et Inhofe entendent constituer.

Les fabricants d’armes se plaignent

L’amendement semble aussi répondre aux doléances des fabricants d’armes qui accusent le Pentagone de « lenteur » dans l’utilisation des sommes énormes mises à sa disposition pour l’aide militaire à l’Ukraine. Alors que plus de 20 milliards US$ ont déjà été alloués pour les armes envoyées sur le front, les contrats en cours pour l’achat d’armes pour l’Ukraine ne dépassaient pas 2.7 milliards US$ début novembre. L’aubaine tarde à se matérialiser, et les fabricants montrent leur impatience. Au vu des appels de plus en plus pressants dans le monde pour une solution négociée, si le congrès ne se dépêche pas, la guerre pourrait être finie avant que les industriels de la guerre ne touchent le gros lot. Dans Defense News, Mark Cancian explique : “Ce que nous avons entendu des industriels, quand nous leur parlons de ce sujet, c’est qu’ils veulent voir le signal d’une vraie demande ».

L’adoption sans difficulté par le CFA de l’amendement Reed/Inhofe à la mi-octobre est clairement le signal attendu par les marchands de la mort. Les actions de Lockheed Martin, de Northrop Grumman et General Dynamics sont parties aussi haut que leurs missiles anti-aériens, explosant à des altitudes jamais atteintes dès la fin du mois.

Julia Gledhill, une analyste du Projet pour la Supervision du Gouvernement s’emporte contre l’invocation de mesures d’urgence en temps de guerre sur lesquelles s’appuie l’amendement : « cela met à mal les timides garde-fous existants qui visent à limiter l’engraissement des industriels sur le dos de la défense ». Permettre des contrats de milliards de dollars, à long-terme et non compétitifs, montre que le peuple états-unien est coincé dans une spirale infernale de guerre et de dépenses militaires. Chaque nouvelle guerre devient un prétexte pour augmenter les dépenses militaires, dont l’essentiel n’est pas lié à la guerre au nom de laquelle ces augmentations sont votées.

Le spécialiste des budgets militaires Carl Conetta a démontré (voir l’abstract) que, en 2010, après des années de guerre en Afghanistan et en Iraq, ces opérations n’avaient pas justifié plus de 52% des augmentations budgétaires dont a bénéficié l’armée US. Andrew Lautz, de l’Union Nationale des Contribuables a lui calculé que le budget de base du Pentagone dépassera le trillion US$ en 2027, 5 ans plus tôt que la date modélisée par le Bureau du Budget du Congrès. Mais si l’on ajoute les 230 milliards US$ dépensés par les autres départements dans des opérations liées à la défense (départements de l’énergie -pour les armes nucléaires- ; des anciens combattants ; de la sécurité intérieure ; de la justice -sécurité cybernétique du FBI ; affaires étrangères), le budget de l’insécurité des Etats-Unis a déjà dépassé le trillion US$, absorbant à lui tout seul plus des deux tiers du budget ‘discrétionnaire’ annuel.

Devant l’investissement exorbitant des Etats-Unis pour chaque nouvelle génération d’armements, les politiciens des deux bords sont dans l’impossibilité de voir, et encore moins d’admettre en public, que les armes et les guerres états-uniennes sont la cause de la plupart des conflits mondiaux plutôt que leur solution, et qu’ils ne sont pas plus en mesure de solutionner la dernière crise de politique étrangère à laquelle ils sont confrontés.

Reed et Inhofe défendront leur amendement en le présentant comme une mesure de prudence pour prévenir et préparer une escalade russe de la guerre, mais la spirale d’escalade dans laquelle nous sommes enfermés n’est pas unilatérale. Elle résulte de l’escalade des deux côtés, et l’augmentation pharamineuse dans la course aux armements que l’amendement vise à autoriser est une provocation des plus dangereuse par le côté US. Elle augmente le danger d’une guerre mondiale que le président Biden nous promet d’éviter.

Les 25 dernières années ont vu une escalade catastrophique des guerres et en parallèle un gonflement sans précédents des budgets militaires US. Nous devons avoir la sagesse de comprendre la nature de la spirale d’escalade dans laquelle nous nous sommes enfermés. Après avoir flirté avec l’Armageddon pendant 45 ans de guerre froide, nous devrions aussi avoir la sagesse de réaliser le danger existentiel de cette politique de confrontation avec une Russie nucléaire. Cette sagesse exige que nous nous opposions à l’amendement Reed/Inhofe.

Medea Benjamin, est la cofondatrice de Global Exchange et CODEPINK: Women for Peace. Elle a écrit plusieurs livres : en 2018, A l’intérieur de l’Iran : une véritable histoire politique de la République Islamique d’Iran en 2016Royaume de l’injustice : les dessous de la relation Etats-Unio-saoudienne ; en 2013 : DGuerre des drones : la mort télécommandée ; en 1989, N’aies pas peur, Gringo ! : une femme hondurienne se confie ; et, en 2005, avec Judie Evans : Arrêtons maintenant la prochaine guerre : (Inner Ocean Action Guide) . 

Nicolas J. S. Davies est un journaliste indépendant, chercheur pour CODEPINK et auteur de : Du sang sur nos mains : l’invasion états-unienne et la destruction de l’Iraq.

Print Friendly, PDF & Email

Vues : 252

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.