Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Jean-Claude Delaunay : la logique des blocs est périmée

Jean-Claude ce que tu écris là est passionnant, mais j’en reviens toujours au même point : pourquoi diable te mêles-tu de parler de l’URSS dont tu ignores tout d’une manière de plus en plus gênante. En effet, celui qui connait un peu le rôle de l’URSS dans les relations internationales et je te recommande là-dessus le livre de Ponomarev (qui n’est pas un “stalinien”) et l’analyse qu’il fait du rôle de l’URSS comme facteur de paix ou de souveraineté nationale, le changement que l’existence de l’URSS introduit en matière de relations internationales. Que tu le veuilles ou non le modèle chinois est un modèle soviétique comme toutes les révolutions réussies, celui dans lequel le rôle du parti dépasse les économismes et adopte une forme de centralité politique dans la direction. Quand un intellectuel cultive ce genre de coquetterie, du genre opposer la Chine à l’URSS, tu sais pourtant que non seulement il est superficiel de le traiter en une ligne comme un acquis (acquis de qui et par qui?) et la filiation réelle entre la Chine et la révolution léniniste, autre chose est la critique nécessaire de ce qui a permis la contrerévolution gorbatchévienne, mais ce genre de notation détourne ce faisant de la tâche pratique alors que ton analyse aide à préciser les enjeux d’aujourd’hui, y compris les leçons que la Chine a tiré du gorbatchévisme et donc le Que faire? et c’est ça l’essentiel. Dans ce blog tu le sais, qui se veut communiste sans être pour autant l’organe d’aucun parti nous nous battons pour la responsabilité politique et le rôle d’avant-garde des intellectuels, chacun de nous, toi comme moi nous le payons de censures, de solitude, mais c’est notre honneur et le fruit de nos convictions marxistes-léniniste, tout cela est exigeant, ton article prouve à quel point nous avons un besoin de réflexion en liaison avec la pratique politique de ceux qui s’organisent pour une lutte révolutionnaire… (note de Danielle Bleitrach pour histoire et societe)

C’est certainement vers un nouveau système de relations internationales que le monde se dirige, toutes choses égales par ailleurs en ce qui concerne l’éclatement d’une guerre nucléaire.
 
Je souhaite, dans ce bref commentaire, aboutir au même résultat que celui avancé par Pommier et Badie (la logique des blocs est close), mais en raisonnant (du moins je le crois) autrement qu’eux.
 
L’impérialisme est en recul. Ses dirigeants aimeraient imposer la logique des blocs, qui fut mise en place par les impérialistes eux-mêmes. Dès le début du 20è siècle, les pays capitalistes développés (les pays impérialistes ou encore les pays parvenus au stade de l’impérialisme) ont cherché à détruire l’Union soviétique, qui fut pendant plus de 70 ans, sauf pour les grandes bourgeoisies et la plupart des trotskystes, la matérialisation du socialisme. Les dirigeants des pays impérialistes ont eu intérêt à promouvoir la stratégie des deux blocs pour produire les armements qui font les délices du secteur monopoliste militarisé, pour mieux faire accepter par leurs populations les dépenses militaires induites par les guerres, pour mieux faire passer la domination par eux exercée sur leurs Etats comme sur les affaires du monde. En outre, une stratégie de bloc prive l’adversaire socialiste du bénéfice des avancées techniques réalisées ailleurs. Les socialistes doivent tout faire par eux-mêmes alors qu’ils sont sous-développés.
 
La stratégie actuellement promue par la Chine et soutenue par les autres pays socialistes est différente. Ce que la Chine promeut est la paix et non l’affrontement. Je crois que c’est la grande différence entre la stratégie internationale du socialisme contemporain d’impulsion chinoise et celle de l’Union soviétique. Aujourd’hui les Chinois disent, et ils le disent parce qu’ils ont la capacité de le dire et de faire respecter leur parole : « Chacun est maître chez soi et faisons des affaires ensemble. C’est à chacun des peuples concernés et à leurs gouvernements de trouver le régime qui leur convient ». C’est une stratégie de portée économique et politique, d’ouverture sur le marché mondial. De cette stratégie découle un certaine configuration des alliances internationales.
 
Hier, les soviétiques étaient conduits à dire, et d’un certaine manière forcés à dire : « Nous allons faire mieux que les capitalistes et les impérialistes, qui nous obligent à nous battre contre eux. Nous sommes ouvertement et militairement rivaux ». Cette logique des deux blocs a d’une certaine manière échoué dans la mesure où, sous le couvert de cet affrontement, les soviétiques ont industrialisé leur patrie et construit une armée puissante. Il est apparu cependant, à un certain moment (années 1980) et en liaison avec d’autres facteurs de nature principalement politique, que l’URSS ne pouvait plus suivre. En 1991, le bloc impérialiste a cru avoir enfin gagné le combat mené sous sa conduite et depuis ses débuts contre le socialisme.
 
Sous la pression de ses contradictions internes, il s’est lui-même ouvert, reportant au niveau mondial et dans le cadre renouvelé de la mondialisation impérialiste, sa volonté de domination tant du monde et que de ses propres populations. Ce faisant, il s’est affaibli. La stratégie des deux blocs est devenue la stratégie du bloc unique de la domination mondiale, tant au plan économique (monnaie mondiale et contrôle de la finance ainsi que des investissements) que politique et militaire. Or la stratégie du bloc impérialiste unique mondialisé est en train d’échouer. Que s’est-il passé?
 
Il s’est passé que, comme le disent les vieux marxistes stupides, les contradictions se sont amplifiées et approfondies. Comme l’ont expérimenté les impérialistes japonais, plus un empire s’étend et plus il est difficile d’en assurer le contrôle. Cela s’observe dans le monde contemporain relativement aux Etats-Unis et à leurs compagnons impérialistes, surtout si, aux côtés des éléments rebelles déjà existants, les pays socialistes, se développent et prospèrent d’autres rebelles, les pays en voie de développement dont les bourgeoisie nationales sont poussées au cul par leur population, croissante, pour que leurs propres besoins soient pris en compte. C’est l’aspect le plus nouveau du monde contemporain, à savoir la volonté des peuples sous-développés industriellement de se développer. Le 21è siècle ne sera peut-être pas le siècle du socialisme mais ce sera à coup sûr le siècle du développement. Nous sommes un certain nombre à penser de la sorte depuis un certain temps. Dans ce contexte, il n’est plus possible d’être un jouet docile des impérialistes, voire un non-aligné, car si, par exemple, un pays socialiste vous propose son aide sans exiger une particulière dépendance, et compte tenu de ce que les masses populaires vous poussent en ce sens, vous acceptez cette aide. Vous allez même, peut-être, la solliciter.
 
La stratégie du Bloc unique impérialiste est alors mise en défaut définitivement. Bien sûr, le système d’alliances qui se met en place dans ce contexte est un système d’alliances entre des pays socialistes et des pays capitalistes soucieux de leur développement. Il existe des conflits et de profondes différences entre ces pays, des oppositions et des contradictions de régime, de frontières, de cultures et d’idéologies. Le monde réel n’est pas un conte de fée.
 
Ce que la raison humaine peut cependant avancer, quand elle soutenue par la force des armes et la volonté d’être réellement au service des peuples, est que chacun est maître chez soi, d’une part, et que, d’autre part, il n’est pas de conflit qui ne puisse être résolu en prenant le temps nécessaire et par la négociation. L’alliance entre pays socialistes peut d’ailleurs, elle-aussi, être soumise à des fortes tensions. La rupture entre la Russie soviétique et la Chine populaire en est une malheureuse illustration. Bref, ces nouveaux systèmes d’alliances supposent la mise en place d’une morale de la négociation, totalement orientée par la conviction que la paix est la meilleure des situations pour les peuples.
 
Pour les impérialistes, au contraire, la conviction est que la guerre est la meilleure des solutions pour le bénéfice de quelques-uns. Tant que l’impérialisme aura quelque pouvoir, les systèmes d’alliances qui se formeront auront une certaine solidité et une solidité certaine en raison même de ce qu’est l’impérialisme. Il est banal de dire qu’un système est un système et qu’il accomplit sa destinée systémique jusqu’à la phase de sa neutralisation et de sa disparition en tant que système. Claude Julien, lorsqu’il dirigeait Le Monde Diplomatique, aimait à répéter qu’il n’existe pas d’impérialisme intelligent. Ce qui veut dire, relativement à l’article de Pommier et Badie, que les systèmes des alliances qui se forment aujourd’hui au-delà de la logique des blocs se développeront et feront preuve d’une réelle stabilité car ils reposent sur un autre système que l’Impérialisme, à savoir le Socialisme, et qu’ils sont situés dans un contexte qui les poussera vers cette stabilité. C’est la force actuelle du socialisme qui s’exprime ainsi aujourd’hui en réponse aux soubresauts guerriers de la bande des cinq (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Canada, Allemagne, France). Si les dirigeants des pays impérialistes n’ont pas compris cette nouvelle logique, c’est d’une part pour la raison que, étant les serviteurs des intérêts monopolistes, ils sont obsédés par le socialisme et l’indépendance réelle des peuples. C’est d’autre part pour la raison qu’ils luttent et lutteront jusqu’au bout et peut-être au delà de la raison, contre leur remplacement historique.
 
Je vais, pour conclure, souligner deux aspects que je crois de première grandeur pour comprendre la restructuration du monde et les formes prises par les alliances entre nations non-impérialistes. Je ne fais ici que les évoquer.
 
Le premier est l’introduction dans l’analyse du rôle des forces productives modernes. Nous ne vivons plus dans le contexte de la révolution industrielle, c’est-à-dire de la révolution ayant engendré le travail industriel et les marchés nationaux. Nous sommes désormais plongés (et le monde dans son ensemble) dans ce que Ivan Lavallée a appelé “une cyber-révolution”, laquelle est autre chose et bien plus que ce que Paul Boccara appela “une révolution informationnelle”. La révolution actuelle des forces productives désigne une révolution du travail, de toutes les formes de travail, que ce dernier soit industriel ou de service, marchand ou domestique, guerrier ou pacifique, national ou international, et non une révolution relative à l’usage de l’information. Elle désigne également le renversement du rôle des forces productives humaines par rapport aux forces productives matérielles, au bénéfice des premières.
 
Le second serait la prise en compte de tous ces défis contemporains auxquels l’humanité doit faire face aujourd’hui et ne peut le faire que collectivement et à l’échelle mondiale : la santé, l’écologie, la communication des informations, le développement des échanges de biens et services, en même temps que le développement économique de chaque pays et la paix générale. Le système impérialiste se révèle incapable de faire face positivement à ces exigences. Le fonctionnement du monde contemporain ne nécessite pas la fin du capitalisme mais il nécessite à coup sûr la fin de l’impérialisme dans sa forme moderne.
 
L’angle marxiste et léniniste d’analyse que j’ai adopté me conduit à retrouver la conclusion générale de Pommier et Badie mais en lui donnant une autre allure. Je suis assez content, finalement, d’être un vieux marxiste stupide et décérébré. 

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1 Commentaire

  • Xuan

    J’avoue que dans un premier temps je n’avais pas lu jusqu’au bout Bertrand Badie.

    Avec l’impression d’un jardinier accumulant quantité d’observations minutieuses sur les feuilles noircies, blanchâtres, rouillées, piquées ou séchées de ses rosiers, sans jamais s’inquiéter du sol, de l’exposition ni de l’humidité.

    Je veux dire que sa relation très savante et très documentée des « alliances de blocs » concerne l’idéologie dominante des états, et non leur économie, ni leurs rapports sociaux de production, ni les rapports économiques qui les relient et qui les opposent.

    Puis, parce qu’il faut bien constater l’échec de cette méthode, il en vient au «jeu fluctuant des connivences pragmatiques » qui ne nous est d’aucun secours.

    Pragmatisme le mot est lâché, malséant dans la représentation idéale bourgeoise comme un pet dans le Bal des débs. Mais en réalité même la période de l’après guerre ne s’est pas réduite à des idéologies ni à des blocs.

    L’Europe représentait alors une communauté d’intérêts des monopoles capitalistes, qui ne se confondait pas exactement avec ceux des monopoles US si on se souvient de certains couacs gaullistes, jusqu’aux déboires du Concorde en 1999. Dès 1946, au terme des négociations Blum-Byrnes, la France devait 653 milliards de dollars aux USA. C’est-à-dire que le bloc en question était peut-être idéologiquement uni par rapport à l’URSS mais divisé quant au fond.

    Puisque Badie fait allusion à la réédition de Bandoeng, revenons à l’original celui de 1955, où la Chine Populaire appliquait en fait les conclusions de « la Démocratie Nouvelle» :

    « Peu importe, chez les peuples opprimés, quelles classes, quels partis ou individus participent à la révolution, et peu importe qu’ils soient conscients ou non de ce que nous venons d’exposer, qu’ils le comprennent ou non, il suffit qu’ils s’opposent à l’impérialisme pour que leur révolution devienne une partie de la révolution mondiale socialiste prolétarienne et qu’ils en soient les alliés.» [Mao Tsé-toung – De la démocratie nouvelle- 1940]

    Pouvait-on faire plus « pragmatique » ? Comme on peut le deviner le « non alignement » n’est qu’une façon de parler répondant à la logique des blocs. En réalité le « non alignement » contribue au socialisme à la fois dans la nation colonisée et dans la métropole impérialiste.

    L’essor de ces révolutions anticoloniales dans tout le tiers monde, initiées dès la Libération et en butte à de féroces répressions comme ‘l’Oradour malgache’, furent aussi pour les USA l’occasion de briser les vieux empires coloniaux français et anglais. Là aussi on constate que la « logique de bloc » habillait une bande de malfrats en costume trois-pièces, mais les poches pleines de surins et de rasoirs.

    Aujourd’hui la nouvelle guerre froide engagée par les USA contre la Russie et la Chine tente de ressusciter un bloc occidental, mais il y a plus d’une paille dans l’acier.

    Comme l’indique Jean Claude, « La stratégie du Bloc unique impérialiste est alors mise en défaut définitivement ».Et elle est mise en échec par l’hégémonisme lui-même, qui a créé à l’étranger ses propres concurrents industriels, placé ses investissements dans la sphère financière et détruit ses propres sources de plus value.

     

    Badie en vient à pencher pour le pragmatisme, la défense des intérêts matériels de chacun, et observe ces nouveaux jeux complexes qui n’ont rien de cartésien. Descartes était déjà matérialiste, mais encore idéaliste, et les philosophes de la bourgeoisie occidentale n’ont jamais fait le saut. Marx écrivait dans la critique de l’économie politique que « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience. » Il faudrait rechercher les causes économiques des “alliances de blocs”, comme les causes économiques du stade actuel de la mondialisation.

    Comme l’écrit Badie, la sécurité est «reconstruite en termes globaux » « On ne viendra jamais à bout des incohérences en matière climatique autrement que par une gouvernance globale ».

    C’est la conclusion même tirée par Xi Jinping d’une « communauté de destin », face aux défis des pandémies, de la faim, du terrorisme, du réchauffement climatique, de la pollution…

    Mais comment peut-on parler de communauté de destin dans un monde infesté par des mangeurs d’homme ?

    Un monde multipolaire ne devient pas une congrégation de Bisounours.

    La variation des « connivences pragmatiques » n’est pas un jeu du hasard, c’est la conséquence des intérêts matériels de chaque nation. Or ces intérêts matériels se sont profondément intriqués, de sorte que chaque action entraîne des conséquences dans le monde entier mais aussi sur le pays d’origine, à preuve les conséquences des sanctions européennes.

    Si l’impérialisme tente la déconnexion commerciale il pénalise ses propres entreprises, subit la pénurie et plonge dans l’inflation. S’il essaie le découplage monétaire c’est sa monnaie qui est désertée. Et s’il renonce à la guerre, il se nie lui-même.

    Contrairement aux affirmations des vert-de-gris de tous bords, la mondialisation n’est pas la conséquence de l’hégémonisme US. La mondialisation a commencé avant qu’on puisse écrire son histoire et se poursuivra dans un monde multipolaire, tandis que les sanctions et les guerres occidentales, le découplage, et finalement l’opposition à la mondialisation et à la “communauté de destin”, vont à rebours de l’histoire.

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