Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le pape François, le patriarche Kirill et l’éventuelle deuxième rencontre “historique” pour la paix, par Pietro Fiocchi

Selon les bons auteurs comme Machiavel, le malheur de l’Italie fut d’avoir Rome en son sein. Mais quand le pape est un jésuite qui a toujours eu le goût de la complexité de la réalité et que celui-ci vient d’Amérique latine en naviguant entre le refus de la théorie de la libération et le souci de voir le monde en train de naitre, un communiste italien est particulièrement bien placé pour nous décrire ce que l’on peut attendre de ce pape. Celui-ci dans ces temps d’égotisme et de concurrence tente une démarche collective en particulier celle de la survie de l’église. (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)

Pietro Fiocchi pour L’Unico 15 juin 2022 14:19
https://www.lantidiplomatico.it/dettnews-papa_francesco_il_patriarca_kirill_e_il_possibile_secondo_storico_incontro_per_la_pace/39602_46600/

La paix est une tâche ardue si l’on humilie Moscou, comme le président français Emmanuel Macron ne cesse de le suggérer, et certainement impossible sans le dialogue réclamé sans cesse par le pape François.

Ces derniers temps, les gros titres et les articles de fond de la presse, les discours des experts et des leaders d’opinion s’attardent sur la question de savoir s’il faut ou non envoyer des armes en Ukraine, et si oui, lesquelles et combien. Le gouvernement italien est pour l’envoi d’armes, une grande partie du peuple italien est absolument contre, et pas par sympathie pour les choix fondamentaux du gouvernement russe. Le bon sens opte pour un langage apaisé, la diplomatie et une volonté inconditionnelle de dialogue.

Le bon exemple dans cette direction est continuellement donné par le pape François, un leader religieux qui est écouté et entendu par plus d’un milliard de croyants dans le monde. En plein conflit, il a exprimé sa volonté de rencontrer Vladimir Poutine et, quelque temps auparavant, il avait déjà confirmé aux journalistes la probabilité d’une deuxième rencontre avec le patriarche Kirill, une rencontre, jusqu’à présent manquée, qui aurait dû avoir lieu cette année même et sur laquelle des commentaires pas toujours raffinés et clairvoyants ont été faits récemment.

En des temps où une partie considérable de la politique est toute prise dans des calculs d’intérêts personnels, avec le soupçon de certains que l’un de ces intérêts est précisément la prolongation des conflits ou en tout cas une situation d’instabilité, le Pape est le seul à lancer des appels inconditionnels à la paix, à attirer l’attention mondiale sur les besoins réels des peuples et sur leur bien-être, à l’Est comme à l’Ouest.

François est un idéal de diplomatie pacifique qui appelle la rédemption, à commencer par celle d’une certaine politique américaine et de ceux qui, peut-être par intérêt personnel, n’ont aucun scrupule à exporter la guerre et la liberté à leur manière, avec un activisme ciblé et la fourniture d’instruments techniques.

L’histoire se répète, maintenant avec l’Ukraine, transformée en un champ de mort, victime de la confrontation impitoyable entre d’énormes puissances. Mais aussi de la volonté féroce et aveugle de rabaisser la Russie, à n’importe quel prix. Heureusement, ceux qui ont bien plus de charisme que certains des comptables de la géopolitique, continuent à œuvrer pour des causes plus justes. Et nous pouvons continuer à espérer la rédemption de ceux qui ont fait de l’exportation de la démocratie leur religion. Pour alimenter la réflexion, il existe un excellent ouvrage du journaliste américain Vincent Bevins : “The Jakarta Method – Washington’s Anticommunist Crusade and the Mass Murder Program that Shaped Our World” (PublicAffairs, New York, 2020).

La première rencontre “historique” entre le pape François et le patriarche Kirill a eu lieu en 2016 à l’aéroport international de La Havane, la capitale de Cuba, “carrefour entre le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest”, ainsi définie dans la Déclaration conjointe des deux plus hauts représentants chrétiens, qui dans la même Déclaration ont appelé à la fraternité, la réconciliation et l’unité.

Il est difficile d’imaginer que quelques années après un événement d’une telle importance, ces deux personnalités, déjà bien avancées dans l’âge de la sagesse, aient changé d’avis l’une sur l’autre et sur les buts supérieurs de leur mission, et qu’elles aient décidé de ne pas tenir une deuxième rencontre, qui aurait probablement abouti à un message rassurant pour les peuples, au-delà même de l’immense communauté de fidèles de l’Est et de l’Ouest, du Nord et du Sud, et un avertissement pour ceux qui ont la responsabilité de gouverner.

Il est probable que dans cette impasse, la politique a joué son rôle. Mais nous avons affaire à un caprice de l’éphémère contre la volonté de l’éternel, et aussi du bon sens populaire, qui appelle justement à la fraternité et à la réconciliation. A la paix. Il est très important de continuer à raisonner sur ce qui se passe, de comprendre les raisons, les responsabilités, les perspectives et les issues possibles.

L’Unico, pour ses lecteurs, a voulu et a pu interroger le général de corps d’armée en retraite Gennaro Scala, qui nous offre quelques considérations précieuses, pour essayer de regarder au-delà du chaos, de la banalité et de la myopie politique qui nous entourent et auquel nous devons nous-mêmes fixer une limite, avec conscience et participation active.

Cet illustre napolitain, engagé cette année dans une série de cours et de conférences sur l’intelligence économique en Espagne, événements promus par le ministère local des affaires étrangères et l’université d’Alicante, a servi dans les rangs des carabiniers pendant près de quarante ans. Il a dirigé, entre autres, les commandements du Nucleo Investigativo de Vérone et de Palerme, se distinguant particulièrement dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, commune et mafieuse.

Chef du bureau de formation de l’école des carabiniers à Rome, il a ensuite été directeur de section à la direction centrale des services anti-drogue et “expert” en Amérique du Sud, acquérant de nombreux mérites, tant au niveau national qu’international, notamment en ce qui concerne la saisie d’énormes quantités de chlorhydrate de cocaïne, la découverte de syndicats du crime multinationaux et la libération d’otages. Il a participé à des enquêtes transnationales avec la DEA (Drug Enforcement Administration), le FBI, les services de renseignement et les forces de police de nombreux pays, européens et non européens.

Réformé en 2001 à la suite d’événements traumatiques survenus dans l’exercice de ses fonctions, il était responsable de la sécurité de grands groupes industriels. Dans le cadre de ces missions internationales, il a été pendant plusieurs mandats le président de la Comunidad de los Oficiales de Enlace Policial au Venezuela – C.O.D.E.V. et de la section sécurité de l’Asociación Venezolana de Hidrocarbúros – A.V.Hi. Il a également été membre du conseil d’administration de l’Association italienne des professionnels de la sécurité d’entreprise – A.I.P.S.A. et est membre de l’International Crime Analysis Association – I.C.A.A. et des comités scientifiques des instituts d’enseignement supérieur. Il est accrédité au niveau international en tant que conseiller principal en matière de sécurité et expert sur les questions d’Amérique latine.  Il collabore avec des magazines spécialisés et de renseignement, ainsi qu’avec la société espagnole Radix Intelligence Solutions, où il est conférencier et directeur de cours.

Il a donné des conférences dans des écoles et académies militaires et de police, en Italie et à l’étranger, notamment au département d’études juridiques et de droit de l’université d’Alicante. En tant qu’indépendant, il a été conseiller en matière de sécurité auprès du sous-secrétaire au travail. En 2013, par décret du chef de la police – directeur général de la sécurité publique, il a été reconnu comme “victime du devoir”.

Général,  en ce qui concerne le conflit actuel, quels sont les choix faits par les gouvernements des principaux pays impliqués, y compris le nôtre, et dans quelle mesure sont-ils dans l’intérêt réel des peuples qu’ils représentent ou avons-nous affaire à la logique d’élites qui s’affrontent pour un réarrangement des rôles de pouvoir au niveau mondial?

Je pense que la stratégie des gouvernements dits “occidentaux”, du moins au début, a été faible et soumise aux États-Unis. Comme toujours, “le défaut de mémoire” est une de nos caractéristiques. Nous sommes allés rapidement voir Poutine et lui avons donné la preuve de notre faiblesse inhérente.

Si nous pensons à l’énorme contradiction – due à l’absence d’une politique énergétique à moyen et long terme – qui existe encore, à savoir celle d’avoir élaboré et appliqué une série de sanctions et en même temps de continuer à payer plus de deux milliards par jour pour le gaz, le pétrole et le charbon, et pour l’embargo pétrolier nous en parlerons – peut-être – en octobre, le niveau d’hypocrisie institutionnelle européenne me semble indécent.

Nous assistons également à la transformation de la géopolitique, à tel point que nous évitons de parler de la mondialisation, telle qu’elle a été comprise jusqu’à présent. De l’unilatéralisme de Trump, nous sommes passés pendant la campagne électorale au multilatéralisme de Biden, désormais transformé en multipolarisme. La politique, jusqu’ici dépendante de l’économie, semble endosser un nouveau rôle, si l’on peut dire, qui renvoie aux anciennes logiques et élites.

Kissinger l’a encore déclaré récemment. Aucun pays européen, avant le 24 février, ne croyait à la possibilité d’une invasion et ils ont tous été pris par surprise. Les gouvernements ont échoué, les services de renseignement ont échoué. Et depuis 2008 au moins, nous assistons à la présence de militaires et d’agents américains dans la région, ainsi qu’à une augmentation des armements et des entraînements.

Nous aurions dû prendre position en tant qu’Union européenne au moins depuis 1991, après l’éclatement du bloc soviétique, et ne pas assister passivement au niveau d’élargissement soudain d’une alliance – l’OTAN – d’abord purement militaire et maintenant avec les caractéristiques d’un appareil visant à consolider des sphères d’influence.

Le Brexit lui-même, à mon humble avis, n’était pas un phénomène contingent ou extemporané. Il a été planifié, élaboré et mis en œuvre, en rejetant parfois les résultats du référendum en relation avec la capacité de pénétration et d’ingérence de la Russie. Nous avons maintenant l’AUKUS et je fais référence à l’affaire de la construction des sous-marins, d’abord commandés à la France sur la base de la technologie conventionnelle (propulsion diesel-électrique), dont le contrat a été annulé comme du papier brouillon, pour être confiés à l’Australie avec la technologie de propulsion nucléaire. Et c’est là que s’ouvre le scénario indo-pacifique et le “défi” lancé à la Chine.

Au regard des événements de ces dernières semaines, des choix faits ou manqués par les dirigeants politiques d’une part et de l’humeur, de la perception, de la condition des gens ordinaires d’autre part, peut-on encore parler d’une véritable direction de la politique ou sommes-nous de plus en plus dans une réalité de type Léviathan?      

Je confesse mon pessimisme! Malgré la guerre, l’inflation – la Confindustria dit qu’il s’agit déjà d’une récession technique – et le pacifisme facile mais peu concluant, la possibilité qu’en octobre nous soyons en crise noire à cause du manque d’énergie, de produits de haute technologie et même de produits de première nécessité, des pans entiers de la population continuent à prendre parti idéologiquement. Pas seulement lors des récentes élections françaises. Je ne vois pas de leadership politique dans le monde, à l’exception de la Chine, qui devra bientôt décider d’une continuité ou d’un changement de leadership.

En Italie, par exemple, la fracture au sein des forces majoritaires sur une série de mesures d’urgence – approuvées ou refusées – met en péril l’existence même du gouvernement Draghi, au point que le Premier ministre a exhorté le ministre Franco à anticiper la préparation de la loi de stabilité.

De nombreux analystes et experts politiques, même aujourd’hui, craignent des élections en octobre. En ce qui concerne les choix manqués, nous ne pouvons pas blâmer uniquement les classes dirigeantes.

Nous avons tout fait, même un référendum, pour ne pas avoir de politique énergétique; le tsunami du NON nous a fait abandonner la construction de regazéifieurs ces dernières années ; nous ne voulons toujours pas d’usines de valorisation énergétique des déchets, ni de forages dans les mers Adriatique et Sicile. Les minorités prennent le contrôle des politiques gouvernementales au nom de mythes bidons.

La Stampa a évoqué la possibilité d’une nouvelle rencontre entre le pape François et le patriarche Cyril. Quelle valeur sociale, politique, pourrait avoir le message qui en découlerait ? Et à propos de leadership, à ce moment précis de l’histoire, les deux plus hauts représentants du christianisme d’Orient et d’Occident pourraient-ils réussir là où les chefs d’État et de gouvernement ont échoué, c’est-à-dire éveiller et appeler les consciences des deux côtés de la “tranchée” à un dialogue et à un être au monde avec de plus grands traits d’humanité, en vue de l’unité et de la paix?

Il me semble qu’une rencontre entre le pape François et le patriarche Kirill a été opportunément reportée, notamment parce que de nombreux pays demandent également que des sanctions soient appliquées à “cet oligarque chrétien”. A tel point que le souverain pontife lui-même s’est dit prêt à rencontrer directement Poutine à Moscou, déclenchant la colère des Ukrainiens.

Je ne crois donc pas que les plus hauts représentants du christianisme soient aujourd’hui en mesure d’influencer un éventuel processus de négociation, compte tenu également des déclarations initiales de Kirill, qui devaient être placées dans un contexte plus articulé. En revanche, ne pas admettre notre masochisme, en ce qui concerne la perte des valeurs et des principes, montre, une fois de plus, que certaines nouvelles idéologies et certains mouvements anti-tout ont en fait pris le dessus.

Il ne s’agit pas seulement ou simplement de démolir les statues et les vestiges de notre histoire au nom de l’antiracisme, de l’anticolonialisme et des diverses prétentions en circulation, y compris Lgbtqi+. Quant à la perspective de l’unité et de la paix – la devise de Miss Monde ! – Je parle de “défaut de mémoire” : nous avons vécu une longue période de paix apparente, ce qui est incontestable. Mais apparente seulement ! Il y a pas moins de 64 conflits en cours dont personne ne parle ou n’écrit, à l’exception de l’Ukraine, peut-être parce qu’elle est un peu plus proche. De quelle unité et de quelle paix parlons-nous ?

Nous avons oublié la baie des Cochons, ainsi que les guerres en Asie de l’Est, y compris la Corée et le Vietnam, puis l’Iran, l’Irak, l’Afghanistan, la Syrie, la Libye, le Yémen, le Panama, le Guatemala, le Salvador, la péninsule des Balkans, etc.

Aujourd’hui, l’heure est à nouveau aux sources d’énergie et aux minéraux, tels que les “terres rares”, qui sont indispensables pour poursuivre sur la voie du progrès technologique, actuellement imparable. Et, bien sûr, le NGEU (Next Generation EU ou en anglais Recovery Fund), les différents PNRR (Piano Nazionale di Ripresa e Resilienza) et la transition écologique et électrique sont également en jeu. Les dates fixées lors du sommet COP-26, qui s’est tenu à Glasgow à la fin de l’année dernière, pour atteindre les résultats de réduction de la pollution et de limitation de l’augmentation de la température, compte tenu de la complexité de la situation actuelle, semblent inatteignables, si bien que nous assisterons bientôt au retour du terrorisme écologique.

En tout cas, le pape a exprimé sa volonté d’aller à Moscou pour rencontrer Poutine, pour parler de paix. Cette disposition au dialogue, toujours et dans tous les cas, d’une personnalité qui s’adresse et interprète les sentiments d’une communauté mondiale de fidèles, de “sympathisants”, ne devrait-elle pas faire réfléchir, douter et penser ces hommes politiques, ces gouvernants, aux besoins réels et aux attentes de peuples entiers, en Orient et en Occident?

Les trois verbes utilisés dans la question ne semblent pas appartenir, aujourd’hui comme hier, aux hommes politiques et aux gouvernants. Et les atrocités de la guerre, avec des milliers de morts civils, le prouvent. Je pense que les déclarations du pape François sur l’élargissement de l’OTAN à l’Est sont une tentative d’apaiser Poutine et, en même temps, de faire réfléchir les États-Unis. La guerre n’a jamais pris en compte les sentiments des différentes communautés mondiales.

Sun Tsu nous l’enseigne dans L’art de la guerre et même Machiavel, ainsi que, bien sûr, les occurrences répétées de la guerre. C’est l’histoire de l’humanité.


Print Friendly, PDF & Email

Vues : 251

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.