Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Kherson inonde la Crimée de cerises à 100 roubles* et de tomates à 150 roubles, mais des saboteurs du SBU arriveront avec les courgettes

C’est le genre de texte que nous aimons Marianne et moi parce qu’il correspond bien à ce que nous connaissons de la région et que nous avons vécu nous-mêmes. Au delà des déclarations des chefs d’État et des plateaux de télévision où de pseudos experts viennent dire n’importe quoi, il y a la cocasserie, le picaresque de la survie des petites gens. Il n’y a que deux niveaux de la compréhension du réel qui ne soient pas manipulation et mensonge: la théorie et la tentative de saisir le mouvement de l’histoire telle que la font les masses et ceux qui choisissent la révolution et ce qui va avec, l’état réel des dites masses… On pense bien sûr à Brecht qui a “théorisé” ce lien mais il n’y a pas d’art, ni de politique sans cette capacité à voir. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)

https://svpressa.ru/society/article/337441/

L’approvisionnement en produits alimentaires venant du sud de l’Ukraine a a fait chuter les prix sur les marchés de Sébastopol et de Yalta.

Texte : Ilya Sergueïev

Branlebas de combat dans les gares ferroviaires et les terminaux de bus de la république. On met en place à la hâte des postes de filtration pour le service frontalier du FSB et les unités de Rosgvardia. Il a déjà été annoncé que les trains de passagers commenceront à circuler entre la Crimée, la région de Kherson et les régions libérées de Zaporojié le 1er juillet.

Les premiers trains seront composés dans un premier temps de seulement trois voitures chacun. Chaque train transportera 160 personnes. Mais ce n’est qu’un début. Le directeur général de la compagnie ferroviaire de Crimée a assuré qu’elle était prête à gérer n’importe quel volume de trafic de passagers. De plus, un service de bus interurbain sera mis en place. Pour l’instant, on parle des trajets Simferopol-Melitopol et Simferopol-Kherson. Toutefois, il est indiqué que les bus ukrainiens reprendront bientôt le service vers la péninsule “dans son intégralité”. C’est-à-dire des dizaines de voyages par jour.

Comment contrôler ce flux humain ? Il paraît qu’il y aura des cabines d’inspection spéciales aux postes de filtration de la station pour détecter les tatouages. Si vous voulez passer, vous devrez enlever vos vêtements du haut et les montrer. Il n’est pas recommandé aux personnages avec des tatouages nazis de voyager vers le sud.

– L’essentiel du temps de nos gardes-frontières sera bien entendu consacré aux procédures de filtrage du contingent masculin. Nous regarderons leurs téléphones et vérifierons leur affiliation aux bataillons nationaux ou à la défense territoriale”, explique Sergei Aksionov.

Essayant de “résoudre” d’une manière ou d’une autre la gabegie des transports, le chef de la Crimée s’est rendu deux fois cette semaine au poste frontière de la région de Kherson. La situation au checkpoint de Dzhankoi est critique. Et à Armiansk, le poste de contrôle russe le plus proche de Kherson même, c’est complètement bloqué. Il y a des files d’attente incroyables de personnes qui veulent entrer et sortir, et il faut attendre plus d’une journée.

En fait, le trafic routier individuel ne peut pas faire face. Les autorités ont décidé que les chemins de fer et les bus pourraient sauver la situation. Les médias de Crimée ont cité les excuses d’Aksionov aux Ukrainiens en voyage : “Nous ne pensions pas que vous viendriez si nombreux…”.

La capacité de la douane russe permet officiellement d’accueillir 100-110 camions agricoles. En fait, plus d’un millier de camions transportant des marchandises ukrainiennes tentent de franchir la frontière chaque jour. Les arrêter et les contrôler minutieusement reviendrait à ruiner leur commerce. Cependant, à part la Crimée, nos voisins n’ont tout simplement aucun endroit où vendre leurs produits.

D’ailleurs, ils ont des produits de haute qualité et bon marché. Il y a des combats sur le continent ukrainien, et l’ancienne logistique s’est effondrée. La population est à la recherche de nouvelles opportunités, et il n’est pas question de laisser des centaines de milliers de personnes à la charge de l’Etat.

Outre les légumes et les fruits, rien qu’en juin, des produits laitiers, de la viande et même du poisson frais des régions de Kherson et de Zaporozhye ont inondé les marchés de Crimée. Les produits périssables ne supportent pas le soleil brûlant. Les carpes à moitié mortes veulent aller au comptoir le plus vite possible. Des remorques chargées de caisses de fraises commencent à perdre leur jus.

Les gens souffrent encore plus. Les familles avec des enfants de moins de trois ans, les femmes enceintes et les personnes handicapées sont exemptées de faire la queue. Des femmes enceintes tirent également des sacs à roulettes remplis de cerises. Tout le monde veut vivre.

Depuis quelques années, des panneaux d’affichage du SBU sont installés dans les villes du sud de l’Ukraine, traitant directement de “traîtres” tous ceux qui se rendent en Crimée “occupée” par la Russie. Ils sont dénoncés par des voisins et des amis. Bien que presque la moitié des Criméens aient des parents, des petits-enfants ou des vieux parents ukrainiens. Beaucoup de gens par-delà Perekop avaient peur de se rencontrer, mais maintenant ils n’ont plus peur de visiter leur famille.

Et d’ailleurs, les gens ont commencé à circuler. Non seulement vers la Crimée, mais aussi vers la Russie via l’autoroute “de Tauride” et le pont. Un homme montre des photos : “Mon petit frère et ma mère sont dans l’Oural, je vais enfin les voir”. Il faut entendre les Zaporogues jurer quand on leur rappelle la promesse de Kiev de faire sauter le pont de Crimée. Compte tenu de la situation actuelle, c’est la voie la plus pratique et la plus sûre.

Un blogueur vedette de YouTube, surnommé “le Criméen”, recueille des centaines de milliers de vues, en badinant ironiquement avec les Ukro-patriotes sur le net. L’une des plus récentes blagues s’est avérée ne pas être drôle du tout. Un jeune combattant des forces armées ukrainiennes racontait comment ils avaient fortifié les environs de Nikolaiev. Il a notamment évoqué les voyages de ses camarades soldats à Kherson. Ils s’habillent prétendument “en civil”, franchissent librement la ligne de contact et se promènent dans les rues de Kherson. Avec des missions spéciales ou juste pour le plaisir.

Il semble que le jeune homme ne mentait pas. Il n’y a pas de ligne de front continue, on peut aller n’importe où par la “ligne verte” et les roseaux des lits de la rivière Kakhovka. Combien d’autres bandits apparaitront en territoire libéré ? Et le plus intéressant est de savoir combien de bandéristes, déguisés en commerçants, chargeurs, chauffeurs, etc. se rendront d’ici à la péninsule de Crimée.

Nous devons établir un fait – la république devient rapidement dépendante des fournitures ukrainiennes. Kherson et Melitopol ont fait chuter les prix locaux d’un seul coup. Il semblait que cela ne pouvait pas aller plus loin, mais ces dernières semaines, les prix des légumes ont diminué de moitié. Cependant si la frontière est partiellement fermée, les coûts antérieurs reviendront instantanément.

Voici une chronique de l'”ukrainisation alimentaire”. D’abord, des voitures avec des plaques d’immatriculation jaunes et bleues sont apparues dans le bazar de la ville frontalière de Dzhankoy. Ensuite, le commerce de gros de Simféropol a été conquis. Puis Sébastopol et la station balnéaire de Yalta se sont volontairement rendues aux concombres et aux tomates ukrainiens. Le dernier point a été la ville héroïque de Kerch. Pour l’atteindre il faut conduire plus loin et plus longtemps.

Les Moscovites peuvent se mordre les lèvres avec envie. Ce n’est pas un crime pour les Pétersbourgeois de pleurer. Maintenant, nous allons tout bêtement citer l’ordre des prix du marché de Kerch “Midia”. C’est ici que sont attribués les emplacements pour les camions de Kherson. Donc, des chiffres bas pour un produit tout à fait décent jusqu’aux prix de luxe :

Cerises 90-150 roubles/kg ;

Fraises 100-120 roubles / kg ;

Tomates 50-150 roubles/kg ;

Cerises 20-250 roubles/kg ;

Jeunes pommes de terre 15-50 roubles/kg

Concombre 20-35 roubles/kg

Courgette 25-30 roubles/kg ;

Carottes 45 roubles/kg ;

Poivrons doux 130 roubles/kg ;

Champignons 150 roubles/kg ;

Chou 25 roubles/kg ;

Brocoli et jeunes betteraves 35 roubles/kg ;

Oignons 25-50 roubles/kg ;

Oignons verts 5-10 roubles la botte (à Moscou, en comparaison, 100 roubles).

Je vous le concède, c’est carrément la fête. Surtout quand on sait qu’au cours du dernier quart de siècle, les Turcs ont réussi à apprendre aux producteurs de Crimée à cultiver des fruits et légumes en plastique. Dieu merci, la science turque n’a pas atteint la majorité des paysans ukrainiens. C’est pourquoi la tomate de Kherson est vraiment du miel.

Avant-hier, j’en ai acheté cinq kilos, et aujourd’hui la famille a tranché les dernières tomates pour la salade. Quelques oignons et concombres frais – légèrement salés, croustillants. Il reste à s’assurer que les saboteurs, qui sont venus en Crimée avec toute cette bonté, seront hachés de la même manière. Un classique du genre : “Vous voyez la marmotte ? Je ne la vois pas non plus. Et pourtant elle est là…”.

* 100 roubles = 1,68 euros

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